Live now
Live now
Masquer
Crédit : instagram de Manyloy, Carole B & Wild Wonder Woman
Arts & Expos

À la rencontre des femmes du street-art français, entre précarité et sororité

Le street-art frappe sans prévenir, au détour d’une rue, entre deux immeubles. Mais qui sont les femmes qui se cachent derrière certaines de ces oeuvres ? Vivent-elles de leur passion ? Comment évoluent-elles dans un milieu prétendument masculin ?

En 1979, à New York, Lady Pink était l’une des rares street-artists à rejoindre les groupes de mecs dans les souterrains du métro pour taguer sur les wagons. Maintenant, de Paris à Marseille en passant même par Loudéac, le street-art s’est énormément développé en France — et il n’est évidemment pas réservé aux hommes !

Dans un milieu comme le street-art, l’oeuvre est toujours au premier plan, bien souvent exécutée furtivement dans une rue déserte entre 2 heures et 4 heures du matin. Et surprise, il n’y a pas que des hommes qui prennent des risques pour décorer vos villes. 

Le street-art évolue, entremêlé au féminisme, depuis un long moment. Alors on a rencontré les femmes qui ornent les murs français de leurs œuvres singulières.

À la rencontre du street-art féministe

Si vous n’êtes pas une passionnée, il peut être difficile de citer plus d’un nom de street-artist. Allez, deux, disons : Banksy, et JR. Mais où sont les meufs dans cette histoire ? 

Elles sont partout évidemment, du collage au tag en passant par de grandes fresques ; elles aussi créent dans les rues, et évoluent dans un milieu plutôt précaire. Et c’est pour vous faire connaître leurs noms que Feminists In The City existe.

« Pour moi, c’est féministe pour une femme de faire du street art, parce que c’est un milieu avec une majorité d’hommes. »

Julie Marangé, cofondatrice de Feminists in the City

Feminist In The City est une organisation fondée par Cécile Fara et Julie Marangé, qui planifient des visites guidées des rues ornées de street-art fait par des femmes. Les parcours se déroulent dans Paris, mais aussi Toulouse, Bordeaux, Marseille et Lyon, depuis 2018.

Leur ambition ? « Mettre en lumière les femmes et le féminisme à travers l’art, l’histoire et la culture » — car pour cette organisation, street-art rime forcément avec féminisme.

La Butte-aux-Cailles fait partie des coins de la capitale où Feminists In The City organise beaucoup de visites. Situé dans 13è arrondissement de Paris, ce quartier aux allures de petit village voit fleurir énormément de street-art. Julie Marangé, co-présidente du collectif, nous a expliqué que beaucoup de femmes venaient poser leurs oeuvres sur ces murs. 

« Le 13ème arrondissement de Paris est un haut lieu du street art féministe. La visite est sans cesse renouvelée, notamment depuis le confinement — on a parlé avec une trentaines d’artistes de la Butte-aux-Cailles qui ont contribué aux nouvelles oeuvres de street-art dans ce quartier pendant le Covid, comme par exemple Nina Van Kidow, Loriot The House, et bien d’autres. Le confinement était même l’occasion pour certaines d’entre elles de se lancer dans le street-art ! » 

Faire du street-art quand on est une femme, est-ce forcément féministe ?

Être une femme dans un milieu majoritairement composé d’hommes, est-ce forcément être féministe ? Pour Julie Marangé de Feminists In The City, la démarche est déjà, en quelque sorte, engagée.

« Pour moi, c’est féministe pour une femme de faire du street art parce que c’est un milieu avec une majorité d’hommes […] C’est une forme de courage contre le système de domination masculine.  »

Du coup, le street-art créé par une femme est-il nécessairement féministe ? C’est une question qu’on a posée à trois femmes street-artists ayant toutes un point commun : l’art comme passion. Vous découvrirez que leurs avis divergent !

Manyoly célèbre les femmes à Marseille

Manyoly est une street-artist originaire de Sanary-sur-Mer qui a posé ses bagages à Marseille et y a découvert sa passion : le street-art. Elle explique que lorsqu’elle a commencé, dessiner était son « exutoire ». Au fur et à mesure, le sujet de la féminité est devenu une évidence dans son art.  

« J’ai toujours été super attirée et passionnée par le féminin et ce que représente la femme. »

Manyoly connaît déjà le monde de l’art de par sa famille qui travaille dans ce milieu. Mais lorsqu’elle a découvert le street-art, c’est une nouvelle histoire qui s’est créée. 

« En arrivant à Marseille j’ai découvert l’art de rue et là ça a fait boum. Je me suis dit : mais c’est ça que je veux faire, c’est là que je veux être, là où tout le monde est. En ayant eu l’expérience des galeries où les gens ne rentrent pas — et ceux qui rentrent ne parlent même pas… il y a très peu d’échange dans ce milieu. Une personne sur dix va venir poser une question, parce que les gens ne se sentent pas légitimes à parler dans une galerie. »

Ce qui a plu à Manyoly dans le street-art, c’est l’absence de filtres, ce caractère brut et cette relation directe entre l’art et le spectateur ou la spectatrice. Son univers, très coloré, représente des visages féminins aux accents vibrants et aux traits spontanés. 

« Toutes les femmes que je croisais étaient une source d’inspiration constante. Mais je me suis pas servie de modèles connus : moi, c’était les femmes de tous les jours. » 

En évoluant dans le street-art, Manyoly s’est rendu compte qu’elle voyait beaucoup d’hommes faire du bruit dans ce milieu, et elle s’est demandé… pourquoi uniquement eux ? Parce que l’art n’échappe pas au reste de la société, qui est patriarcale.

« Il faut être présente, le revendiquer, lever la tête et se rendre compte qu’il y a beaucoup de femmes dans ce milieu : il faut juste aller les chercher un peu plus. »

« Je transforme mes projets pour qu’il aient une portée féministe et politique. J’ai envie de ramener la femme dans l’espace public. » 

Manyoly, street-artist marseillaise

Cependant, Manyoly estime que lorsqu’elle a commencé à créer du street-art, ce n’était pas nécessairement dans une démarche féministe ou politique. C’est plus au fur et à mesure du temps que cette notion est apparue dans son esprit. 

« Je pense qu’il est possible de faire du street-art avec ou sans message politique. Moi, quand j’ai commencé, y avait aucun propos : je faisais ça car j’aimais le faire. Aujourd’hui, je transforme mes projets pour qu’il aient une portée féministe et politique. J’ai envie de ramener la femme dans l’espace public. » 

Carole B, des timbres colorés et féministes 

Tout comme Manyoly, Carole b. — une street-artist dont les oeuvres ornent majoritairement les rues de Paris — a réalisé que la rue était l’endroit idéal pour exprimer son art, et qu’il y avait un combat féministe à travers cela.

« Je me suis rendu compte que le meilleur endroit pour exprimer ses idées engagées et revendicatives : c’est la rue. »

Des timbres représentant ses héros et surtout ses héroïnes, c’est ce qui constitue les oeuvres de Carole b., qui y ajoute des couleurs vibrantes pour attiser la curiosité des spectateurs et spectatrices sur ces personnes qui ont marqué sa propre vie. 

« Je suis une grande férue d’histoire, de faits divers… J’écoute beaucoup d’émissions comme Affaires Sensibles, parce que j’y découvre notamment des personnalités inspirantes. Je trouve intéressant de les porter à la connaissance du public à travers une œuvre et de piquer ainsi sa curiosité. »

« Liberté, Égalité, Humanité » est la devise favorite de Carole b. qu’elle accole à beaucoup de ses oeuvres.  L’artiste ressent, comme Manyoly, cette liberté avec le street-art. Elle y a trouvé sa place et a même collé certaines de ses images à l’autre bout du monde — au Brésil par exemple !

carole-b-wonder-woman
Carole b. et sa Wonder Woman (via Instagram)

Pour Carole b., le street-art n’est pas nécessairement politique. Cela dit, c’est dans une démarche engagée qu’elle veut exposer ses oeuvres dans la rue. 

« Pour moi, s’il y a bien un terrain qui supporte une pensée plutôt politique, c’est la rue. Je n’ai rien contre les artistes qui font des choses moins engagées, parce qu’il faut de tout dans la rue. Mais personnellement j’ai choisi de me démarquer avec des créations symboliques et des messages militants.. » 

Au-delà du féminisme, pour Carol b. le street-art est un moyen d’expression fort et impactant. Elle est très attachée aux valeurs féministes et veut évidemment les inclure dans ses oeuvres !

Wild Wonder Woman, des oeuvres rêveuses 

Wild Wonder Woman est une street-artist qui colle également à Paris. Elle est tombée dedans par passion : elle suivait beaucoup les disciplines des arts de rue, puis un jour, elle s’est lancée.

Ses oeuvres sont très rêveuses. Des personnages féminins sur des collages de différentes tailles, avec des couleurs parfois vibrantes, parfois plus douces… Elle évoque des figures imaginaires et très bienveillantes. 

« À la base j’ai pas de formation d’art, mais c’est ma façon de m’exprimer. Quand j’ai commencé c’est très vite devenu addictif, parce que ça procure un sentiment de liberté assez important. Du coup j’ai continué, j’ai collé mes petits dessins que je faisais à la maison dans la rue. Au début je le faisais dans ma ville en banlieue, mais c’était enlevé presque dans l’heure. Alors je l’ai fait à Paris. » 

Pour Wild Wonder Woman, le street-art est avant tout une expression artistique. Comme elle le dit, c’est addictif ! Cependant son besoin premier n’est pas forcément d’exprimer un avis politique. 

« Je pense que quand on va faire des dessins dans la rue ou coller, il y a un message, même si ce n’est pas la volonté directe. Moi quand j’ai commencé je pensais pas à afficher des idées féministes dans la rue. Au fur et à mesure on m’a dit que mes dessins véhiculaient des idées féministes.

Il y a beaucoup de femmes qui collent ou qui font du street-art en se revendiquant féministes mais pas toutes. C’est pas forcément le premier moteur pour créer dans la rue. »

Pour Wild Wonder Woman, le street-art peut donc être tout ce que l’on souhaite, car au final c’est de l’art, et l’expression artistique est tout ce qui compte.

Le street-art est cependant un très bon moyen de militer, comme l’ont montré beaucoup de collages ces dernières années !

L’impact des collages féministes 

Ces dernières années, les collages féministes se sont totalement inscrits dans le paysage urbain. Ils ne sont pas là pour faire joli, mais pour exprimer des messages forts — interpeller, encore une fois sans filtre, le public.

Julie Marangé de Feminists In The City estime qu’il s’agit d’une « réappropriation engagée et féministe de l’espace public ». Ces oeuvres fortes s’inscrivent dans l’histoire du féminisme !

Les collages ont indéniablement eu un impact dans le mouvement de dénonciation des féminicides en France, mais aussi dans la diffusion d’autres causes liées au féminisme. Il est intéressant d’observer que, bien qu’ils ne soient pas issus d’une démarche artistique à proprement parler, ils sont dans la rue pour les mêmes raisons que le street-art : il n’y a pas de filtre entre le message et le public

Le street-art, un métier de précarité malgré tout

Une problématique que beaucoup de street-artists rencontrent, c’est la précarité financière. Car les murs ne payent pas toujours les factures. Julie Marangé déplorent :

« Dans les universités, il y a 60% de femmes qui étudient l’art, mais en sortant des universités, c’est les hommes qui arrivent à vivre de leur art.

Encore une fois, y’a un double enjeu pour les femmes avec le syndrome de l’impostrice, l’auto-censure et un rapport à l’argent qui est angoissé car elles ne sont pas conditionnées à gagner de l’argent de la même manière que les hommes. » 

Wild Wonder Woman se confie : 

 « Non je n’arrive pas du tout à vivre du street-art. J’ai un boulot à côté. Cela dit, maintenant je suis déclarée en tant qu’artiste : ce n’est plus “un loisir”, mais je ne gagne absolument pas ma vie avec ça. » 

Pourtant, il est possible de gagner sa vie grâce au street-art, par exemple avec les commandes d’œuvres faites par les mairies ou les commerces — ces dernières sont autorisées et payées. Il y a aussi les expositions qui peuvent permettre aux street-artists plus de visibilité et la vente de leurs oeuvres.

Mais là aussi, ça peut être compliqué. Julie Marangé explique : 

« Dans les expositions d’art contemporain, on a entre 20 à 30% de femmes exposées. Alors qu’il y a beaucoup plus de femmes artistes que d’hommes artistes. Après, évidemment, il y a des femmes qui y arrivent très bien comme Miss Tic. Mais pour une majorité des femmes street-artists c’est plus un passe temps. » 

« J’essaye toujours de soutenir les femmes quand je le peux. »

Carole B., street-artist parisienne

Il est parfois nécessaire pour les street-artists de combiner art de rue et vente de tableaux pour pouvoir vivre de leur art — c’est ce que fait Manyoly, par exemple. 

« Aujourd’hui je gagne ma vie grâce à la vente de mes tableaux. Peindre des murs ne suffirait pas : on est généralement mal ou pas payée, souvent sous le prétexte de nous faire de la pub… » 

La seule façon de vivre de son art en tant que femme street-artist, c’est de s’y mettre non-stop, si on le peut. Carole b. explique qu’elle est très investie pour pouvoir se rémunérer.

« J’ai la chance de pouvoir en vivre, oui — après pas mal de galères parce qu’il faut trouver son public. Mais il faut dire je bosse à 200%, je ne compte pas mes heures. » 

La sororité, c’est aussi dans le street-art

Il est indéniable que les femmes sont moins reconnues dans le street-art que les hommes. Et en plus des organisations comme Feminists In The City qui œuvrent pour plus d’égalité, la sororité peut tout changer !

Les femmes street-artists se rejoignent souvent pour des projets communs et se soutiennent les unes les autres. Carole b. explique : 

« J’essaye toujours de soutenir les femmes quand je le peux, ainsi Sabrina Beretta et moi nous entraidons dès que possible : il n’est pas toujours facile de travailler en solo. » 

Le street-art, avant d’être une action féministe, est une expression artistique. Le féminisme y sera lié par essence si l’artiste est sensible à cette cause — car finalement, les oeuvres qui ornent les rues sont à l’image des artistes qui les créent !

À lire aussi : J’ai commencé à graffer pour avoir « l’air rebelle », et je n’ai jamais cessé !

Crédit photo : Instagram de Manyloy, Carole B & Wild Wonder Woman


Ajoutez Madmoizelle à vos favoris sur Google News pour ne rater aucun de nos articles !

Les Commentaires

3
Avatar de Chess Fenrir
15 mars 2022 à 18h03
Chess Fenrir
Parmi les artistes féminines que je suis, je vous conseille vivement d'aller admirer et soutenir celles-ci :
- https://www.instagram.com/a_ydar/
- https://www.instagram.com/petitepoissone/
- https://www.instagram.com/demoisellemm/
- https://www.instagram.com/7licea/
- https://www.instagram.com/marquise.streetart/
- https://www.instagram.com/anna.conda.art/
- https://www.instagram.com/emyarts.emyarts/
Ce sont les premières qui me vienne à l'esprit, j'en oublie !
0
Voir les 3 commentaires

Plus de contenus Arts & Expos

« Cosmic Latte se demande à quoi ressemblerait le monde sans racisme » : Sonya Lindfors, chorégraphe // Source : Uwa Iduozee / Zodiak - center for new dance, UrbanApa, Sonya Lindfors
Arts & Expos

« Cosmic Latte se demande à quoi ressemblerait le monde sans racisme » : Sonya Lindfors, chorégraphe

Mode

Quelle est la meilleure culotte menstruelle ? Notre guide pour bien choisir

Humanoid Native
Le photographe de mode Paolo Roversi s’expose au Palais Galliera, et c’est hypnotique
Mode

Comment l’expo photo de Paolo Roversi au Palais Galliera va vous hypnotiser

Dolorès Marat, "La femme aux gants", 1987. Tirage pigmentaire Fresson Collection MEP, Paris, acquis en 2006. // Source : © Dolorès Marat
Arts & Expos

Annie Ernaux, en textes et en photos, s’expose à la MEP jusqu’au 26 mai 2024

MAD paris
Arts & Expos

Paris : Avant les Jeux Olympiques 2024, 5 expos autour du sport, au musée et ailleurs

Berthe MORISOT (1841-1895) Autoportrait, 1885 Huile sur toile, 61 x 50 cm Paris © musée Marmottan Monet, Paris
Culture

Berthe Morisot : à la découverte de la peintre invisibilisée du mouvement impressionniste

Rocky 6 sera joué du 31 janvier au 4 février 2024 au Lavoir Moderne Parisien // Source : Madeleine Delaunay
Culture

« Pour sortir l’intersexuation du seul champ de l’intime, j’ai écrit la pièce de théâtre Rocky 6 » : Alice Etienne

Giselles Photo Pascal Elliott 7
Arts & Expos

Trois raisons de découvrir Giselle(s), le ballet romantique remis au goût du jour

Source : affiche officielle de l'expo avec une oeuvre d'Annette Messager
Culture

L’exposition Affaires personnelles explore les liens entre art contemporain et solidarité

Léa MKL // Source : Cactussand
Culture

Léa MKL : « C’est important d’exprimer ce qu’on a sur le cœur et d’en faire des archives »

Dans les coulisses du Cabaret de Poussière avec Bilal Hassani // Source : Inès Pollon
Arts & Expos

Dans les coulisses du Cabaret de Poussière avec Bilal Hassani

La pop culture s'écrit au féminin