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Mon stress post-traumatique suite aux attentats du 13 novembre 2015

Le 13 novembre dernier, Laura était dans un bar rue de la Fontaine-au-Roi. Depuis, elle souffre d’un syndrome de stress post-traumatique qui a bouleversé son quotidien et dont elle veut parler.

J’ai 28 ans.

Le 13 novembre dernier, j’étais à Paris dans un bar en bas de la rue de la Fontaine-au-Roi, dans laquelle les terroristes de Daech ont fait cinq morts par fusillade. Le patron de notre bar a fermé les rideaux, des soldats se sont postés devant la porte et nous avons attendu des heures, avec les sirènes en fond sonore. Je n’ai pas ressenti de réelle panique ; j’étais avec mes amis, j’avais peur mais je me sentais protégée.

C’était surréaliste, on ne réalisait pas ce qui était en train de se passer dehors. L’une des clientes a appris devant nous, au téléphone, que sa mère avait été touchée par une balle. Nous avions vraiment du mal à comprendre ce que nous étions en train de vivre.

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Fausse alerte et terreur

Je n’ai pas voulu abréger mon séjour à Paris, je ne voulais pas laisser les gens avec qui j’avais vécu ça. Je suis restée. Le dimanche, avec un ami déjà présent le vendredi soir, nous avons décidé de sortir. On ne voulait pas avoir peur. On voulait reprendre le cours de nos vies et avancer comme tout le monde. Il y avait foule dans les rues, on se sentait bêtement forts.

Nous nous sommes installés dans un bar, rue Oberkampf. Tout se passait bien, la musique était très forte et particulièrement kitsch. Nous discutions de notre ancienne et douloureuse rupture, les choses étaient enfin dites. Tout se passait vraiment bien.

Jusqu’à ce que deux personnes en scooter balancent des pétards sur notre terrasse.

La panique a pris tout le monde, en une demi-seconde. Les vitres ont été brisées, les verres et les tables renversés, les gens hurlaient. On n’entendait plus la musique.

Nous avons rampé parmi les débris de verre, nous avons vu le patron du bar s’enfuir devant nous, sans fermer les rideaux de fer.

Nous étions seuls dans une panique absolue. Les gens se sont précipités dans la cave, mon ami m’a hurlé que si nous descendions, nous n’aurions aucune issue, qu’on allait « crever là ». Je me suis vue mourir. Littéralement. Nous sommes partis en courant, sans nous arrêter, sans nos affaires. En débardeur, gelée, je pleurais en courant. Je m’accrochais à mon ami de toutes mes forces. J’étais terrorisée.

C’était une fausse alerte, une blague dangereuse et vicieuse, mais une fausse alerte.

Je suis rentrée chez moi, à Nantes, le lendemain.

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L’ombre de moi-même

Dans les semaines qui ont suivi, je ne me suis pas sentie différente. Fatiguée, je dormais mal mais je n’ai pas fait le lien. On m’a prescrit des anxiolytiques pour la nuit, et j’ai doublé mon temps de sommeil habituel sans me poser de questions. De cinq à six heures par nuit depuis des années, je suis passée à plus de dix heures. J’étais à partir de cette période sous Alprazolam (Xanax) toutes les nuits.

J’ai tenté d’arrêter les cachets avant de dormir, ce qui a entraîné de violents cauchemars et bien des heures à fixer le plafond en pleurant en silence. Moi qui étais une lève-tôt dynamique dès le saut du lit, il me fallait une heure pour commencer à sortir de sous les draps.

Fin décembre, je suis devenue l’ombre de moi-même. Extrêmement agressive, à fleur de peau, exténuée malgré des nuits de dix à douze heures, j’ai consulté ma généraliste. Je n’avais pas peur de me faire du mal mais je me sentais parfaitement capable de blesser quelqu’un.

Elle m’a diagnostiquée en « urgence psychiatrique » et faite immédiatement prendre en charge par le centre de victimologie de Nantes. Après un très long examen et de nombreuses questions, un psychiatre m’a mise sous Fluoxétine (Prozac) avec un suivi deux fois par semaine : il a diagnostiqué un syndrome de stress post-traumatique.

Je fais de l’hypersomnie (le fait de trop dormir), de l’hyperréactivité aux bruits, de l’hypervigilance. Je ne supporte plus les bruits de sirènes et les feux d’artifice. Mon corps est couvert de petites plaques d’eczéma de somatisation, je fais des aphtes à répétition et je souffre de dorsalgies à force de contracter mes muscles quand je sursaute ou quand j’ai peur. Et j’ai tout le temps peur.

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J’ai été mise en arrêt pour quarante jours, renouvelables. Je suis épuisée et mon humeur change au gré du vent. J’étais la présidente et la créatrice d’une association féministe de lutte contre certaines formes de violences faites aux femmes, et je n’ai pas pu continuer. Je ne peux plus lire les témoignages, les appels à l’aide, les soutiens et les insultes.

Le syndrome du stress post-traumatique est, d’après Allodocteurs, « un trouble anxieux qui survient suite à un événement traumatisant, qu’on en soit directement victime, ou seulement témoin. Attentat, guerre, il peut également survenir après des événements comme, par exemple, un accident de voiture ou un vol de sac à main ».

Il toucherait 10 % des femmes et 5 % des hommes ayant vécu ces événements. Son diagnostic n’est pas toujours évident car ce stress ne se manifeste pas tout de suite. Le ministère de la Défense explique ainsi :

« Les symptômes d’un état de stress post-traumatique débutent habituellement dans les trois premiers mois qui suivent un traumatisme. Cependant, il peut parfois se passer plusieurs mois ou même plusieurs années avant que les symptômes apparaissent. »

De fait,

« au début, la personne semble faire face, et puis, sans cause apparente, les troubles vont apparaître : cauchemars, images violentes, la victime est emprisonnée dans des souvenirs qui lui font sans cesse revivre le traumatisme. Et ces souvenirs vont entraîner un changement de son état émotionnel et physique. Elle évite tout ce qui peut lui rappeler les faits, c’est ce que les spécialistes appellent un comportement d’évitement. Elle peut aussi être en état d’hypervigilance et sursauter au moindre bruit. Ces troubles peuvent s’accompagner d’un manque de concentration et d’insomnies.

Progressivement, c’est toute l’identité qui est fragilisée. Les victimes sont convaincues que leur vie est détruite et qu’elles ne peuvent plus rien entreprendre. Elles sont comme paralysées. »

Un suivi par un spécialiste permet de soigner ce syndrome : Allodocteurs évoque notamment les succès de l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing), une thérapie cognitive utilisant les mouvements oculaires.

À lire aussi : Franco-libanaise, je pensais être en sécurité en France

Une aide vitale

Sortir ma chienne, la balader, est un calvaire. Ce qui était une routine simple est devenu une source d’angoisses supplémentaires. Je n’ai la force de rien.

Je n’ai pas la télévision, je n’ai pas suivi tous les reportages plus ou moins racoleurs qui ont été diffusés dans les jours et semaines suivants. J’ai Internet cependant, et je suis terrifiée dès que je lis un début d’article qui commence par « Un nouvel attentat… » ou encore « De nombreux morts… ». Je m’efforce de ne pas cliquer, de faire abstraction et de me dire que là, sous ma couette, au deuxième étage, je ne risque rien.

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Je vis à travers mes amis. J’ai beaucoup de chance, ils en ont pris plein la gueule et ils sont restés. Ils m’emmènent à la mer, dans des bars que je connais bien tout en me laissant vérifier les issues de secours, et ils font attention à ne pas taper violemment un verre sur la table, à ne pas crier trop fort, à ne pas me faire peur. Ils m’écoutent me plaindre et avoir peur, sans montrer une once de lassitude.

La cellule de victimologie m’a fait un certificat, qui va me permettre de porter plainte et de constituer un dossier pour la prise en charge des frais médicaux et psychiatriques qui vont découler de tout ça. Mon cas ne sera peut-être pas reconnu, je ne remplis peut-être pas les critères pour obtenir de l’aide… mais je n’ai pas honte de faire la démarche. J’ai besoin d’aide. C’est vital.

Je n’ai pas été blessée physiquement dans ces attentats, j’ai vraiment conscience de ma chance, mais psychologiquement, je me sens bousillée. J’ai l’impression de tout devoir reprendre du début, de devoir réapprendre certaines choses pourtant si simples comme aller à un concert sans regarder en permanence par-dessus mon épaule.

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De la nécessité d’en parler

Je ne dois pas être la seule. D’autres personnes ont comme moi vécu les attentats sans être au Bataclan ou dans l’un des bars touchés par les fusillades, d’autres personnes se sont retrouvées au cœur des fausses alertes du dimanche. Et je pense que parmi tous ces gens, certain•es ont besoin de parler.

Parler à ses proches est un bon début, mais dans mon cas, ça n’a pas suffi. J’avais besoin d’une personne neutre, sans a priori, sans passif avec moi. Parler à ce psychiatre, dans cette cellule dédiée aux gens ayant vécu de gros traumas psychologiques, a été et est salvateur.

Je sais que je ne suis qu’au début d’un long chemin de guérison, je sais que je vais en chier et que tout ne va pas se régler en quelques jours, mais le processus est lancé et c’est un pas important. Je ne veux pas qu’on me plaigne, bien au contraire : je veux juste dire qu’il existe des cellules pour ce genre de crises, qu’on a le droit d’être soutenu•es et pris•es en charge. Que beaucoup de gens ont vécu des dommages psychologiques graves ce week-end de novembre et qu’il ne faut pas laisser les choses se détériorer encore plus.

Il n’y a aucune honte à ressentir encore de la panique quatre mois plus tard.

Il n’y a aucune honte à avoir encore peur.

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Les Commentaires

13
Avatar de Nuuruhuine
17 mars 2016 à 10h03
Nuuruhuine
Grosse pensé et beaucoup de soutien, pour cette Madz et pour tous les autres.
A ceux qui me lisent, et qui galèrent à trouver un psy qui leur correspond/hésitent à y aller: je vais peut-être enfoncer des portes ouvertes, mais allez-y, n'hésitez pas à changer si le(s) premier(s) ne convien(nent) pas (c'est une des rares spécialités médicales où le fait que ça passe au niveau humain est important, si vous êtes pas à l'aise pour parler et vous ouvrir vous n'avancerez ps), mais surtout: ne confondez pas psychologue et psychiatre. Et je ne parle pas du fait que l'un est (au moins en partie) remboursé et l'autre non.
Les deux font un boulot différent, qui est complémentaire, et qui peut faire des miracles quand il est bien associé et que les deux bossent de concert, mais ils ne creusent pas au même endroit, ni avec les mêmes outils.
Je pense surtout à @Bl0ndie , si tu me lis, tente un psychiatre: je pense que ta psychologue t'a fait remonter les cauchemars parce que son boulot, c'est en partie de te rendre attentive à ce qui a d'effrayant dans tes cauchemars (donc à les faire remonter) pour trouver leur source et les déconstruire de la base, mais c'est long, et pas forcément ce que tu as besoin pour le moment. Un psychiatre n'aura pas du tout cette approche.

Et à ceux que les psychiatres effraient: au PIRE, vous serez bien traités. Ça peut paraître idiot, dit comme ça, mais si vous en avez vraiment besoin, ça vous évitera de creuser tout seuls, au mieux, vous avez besoin d'un petit traitement léger et ponctuel (anxiolytiques, somnifère) ou pas de traitement du tout, vous serez rassurés sur votre état, vous saurez exactement ce que vous avez et quoi faire pour aller mieux, et vous serez accompagnés au mieux, même si vous n'avez besoin que de 4 rdv étalés sur 6 mois. Et vous vous sentirez bien mieux.

On ne se rend pas forcément compte d'à quel point ces spécialistes peuvent aider et vous méritez tous d'aller super bien.


Je m'excuse si j'ai pu paraître un peu ... vive (je sais, c'est pire que ça :slap, c'est un peu mon combat du moment.
Plein de <3 et plein de à tous et toutes, et prenez bien soin de vous
3
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