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Franco-libanaise, je pensais être en sécurité en France

Loonea est Franco-libanaise. Obligée de rester à distance du Liban à cause des dangers encourus, jamais elle n’avait imaginé pouvoir avoir cette même peur en France.

Je suis franco-libanaise. Je suis née en France lorsque la guerre était encore bien vivace sur le sol libanais. Mon deuxième prénom est celui de ma tante paternelle morte au Liban sous un obus : elle a sauté sur son fils pour le protéger, il est aujourd’hui père de deux filles.

Française et Libanaise

J’ai grandi nourrie par une mère française qui cuisinait aussi bien de la nourriture française que libanaise. J’ai appris à monter à vélo par un père franco-libanais — il avait été naturalisé Français quelques années avant ma naissance, et avait alors ressenti une très grande fierté.

J’ai été entourée d’amour de toute part, par ma famille maternelle que je voyais souvent et par cette famille paternelle que j’ai beaucoup moins vue, n’étant allée au Liban qu’une fois. À 8 ans, j’ai ainsi découvert l’envers du décor de ce si beau pays où mon père avait grandi : la maison de ses grands-parents qui avait été détruite par les bombes, ces immeubles dont les façades avaient été soufflées et où vivaient des familles entières comme si de rien n’était… Ma naïveté d’enfant a cru que la statue des corps entrelacés place des Martyrs avait été criblée de balles pendant la guerre.

J’ai découvert les pannes de courant, les générateurs électriques. J’ai vu des cèdres centenaires immenses, des paysages à couper le souffle, de la gentillesse chez les gens, ces gens qui vivaient malgré tout, malgré les check points, les militaires armés et ce climat d’insécurité qu’ils connaissaient depuis des années. Et j’ai découvert des pâtisseries énormes dédiées à tous ces petits gâteaux sucrés que j’aime tant, et où la glace à la vanille fait des fils comme du fromage fondu… et mon dieu, qu’est-ce qu’elle était bonne cette glace à la vanille !

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À lire aussi : Nos Racines — Soley, Française d’origine libanaise

Le Liban, ses attentats et sa culture qui survit

En France comme au Liban, les démarches administratives sont compliquées et comme je suis née pendant la guerre, je n’ai pas pu devenir officiellement Libanaise avant mes 12 ans.

J’ai continué de manger des pains au chocolat et des atayefs, et d’entendre chanter le libanais à mes oreilles quand mon père parlait à ses amis ou à sa famille, sans jamais en apprendre suffisamment pour comprendre tout ce qui se disait.

J’ai grandi dans la religion catholique car mon père était maronite (une importante communauté chrétienne du Liban), et à 16 ans j’ai pu voir mes parents se marier dans une petite église parisienne selon les rites syriaques. Ma grand-mère maternelle était émue d’être présente pour enfin assister au mariage religieux de sa fille – mes parents attendaient de se marier un jour au Liban, mais cela n’a jamais pu se faire – et j’ai été émue d’être là et de voir ce mariage de mes yeux d’adolescente, fascinée par la lente procession de mes parents autour de l’autel avec des couronnes sur la tête.

À mes 17 ans, après avoir fait beaucoup de danse, j’ai voulu apprendre la danse orientale que j’ai pratiquée pendant quelques années. J’ai ainsi pu me rapprocher de mes origines, et surtout j’ai enfin su comment danser sur cette musique arabe que j’entendais depuis toujours dans la voiture de mon père et qui nous mettait de si bonne humeur. Grâce à tout cela, j’ai pu le surprendre lui et ses invités durant sa fête de départ à la retraite en arrivant en tenue, et en effectuant une chorégraphie sur sa musique préférée.

Et j’ai continué de grandir, d’espérer un jour retourner au Liban, mais ce n’était jamais le bon moment. Un été, ma sœur a fait un stage là-bas : elle avait du passer une nuit totalement terrorisée dans une cave car des avions survolaient le bas des immeubles. Mes parents y sont allés en 2012 et des attentats étaient revendiqués un peu partout.

J’ai grandi dans la terreur d’apprendre que quelqu’un qui m’était proche était mort.

J’ai grandi comme cela, avec une tante partie beaucoup trop tôt, des gens abimés par la guerre qui leur avaient volé tant et mon père qui en parlait peu par pudeur et nécessité.

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J’ai grandi ainsi.

Quand la peur prend un autre visage

Et il y a eu le 13 novembre 2015. Il était tard, j’étais heureuse d’une soirée passée avec des amies à rire au restaurant et excitée à l’idée de mon futur week-end : je devais rejoindre à Paris quelqu’un qui compte énormément pour moi, et m’offrir trois jours loin de ma petite vie tourangelle.

D’un seul coup, une publication sur Facebook d’Isabelle – la personne qui gère la communauté française du NaNoWriMo – a annoncé qu’elle avait pu récupérer tous les nanoteurs d’une soirée et les mettre à l’abri dans le café où ils étaient en train d’écrire. Cela parlait de fusillades, de Paris.

À lire aussi : J’ai testé pour vous… participer au NaNoWriMo

Et tout s’est vite enchaîné : conversation avec mon frère, conversation avec une amie et conversation avec une amie d’enfance qui m’a appris qu’il y avait aussi eu un attentat à Beyrouth le 12 novembre.

Je ne comprenais plus rien. Je pensais pouvoir monter à Paris pour vivre mon week-end comme prévu. Et là, mon frère m’a dit qu’à ma place il n’irait pas. Là, mon cerveau a compris que c’était grave. Vraiment grave.

La peur a pris un autre visage, un autre lieu, un lieu que je connais bien, dans le pays où je vis, dans le pays dont je partage la langue et la culture, dans ce pays qui m’a éduquée, nourrie et offert la chance de tellement de choses. Le pays qui a fait de moi ce que je suis, qui a permis à mes parents de vivre ensemble sans les juger, ce pays qui m’a permis d’être à l’abri, d’avoir un travail, de pouvoir me balader en jupe dans la rue. Ce pays, la France, des attaques terroristes.

Mon cerveau a retenu ces mots : attaques terroristes, état d’urgences, frontières fermées.

Le choc, l’effroi.

La vie française allait changer.

Mon sommeil fut rare cette première nuit, trois heures à peine.

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J’attendais le réveil de mes parents pour les appeler et pouvoir enfin épancher ma peine.

J’ai récupéré un ami proche, franco-anglais, qui en se réveillant a compris que son monde aussi venait de changer ; il a compris que plus rien ne serait jamais comme avant et j’ai subi cette détresse que je lisais entre ses mots.

Et j’ai pensé à mes nièces, heureusement à l’abri à Paris, mais qui n’allaient pas comprendre, qui avaient peut être perdu des amis, qui se retrouvaient bloquées dans leur appartement avec des parents affolés…

J’ai réveillé mon père par téléphone et lui ai expliqué, il a compris sans comprendre : attaques terroristes, état d’urgences, frontières fermées. Il ne comprenait pas. Il ne comprenait pas. Il m’a rappelée plus tard, il avait entendu à la radio et était choqué, déstabilisé, je le sentais dans sa voix. Il m’a appris dans la journée qu’il n’y avait pas eu de blessé dans notre famille libanaise ; toute la journée lui et ma mère ont contacté leurs amis proches ayant de la famille à Paris. Ma mère a proposé à ma sœur de récupérer ses filles et de les garder à l’abri en Touraine.

Malgré la peur idiote et viscérale tapie dans mon ventre, j’ai décidé d’aller prendre le soleil en ce lendemain de notre 11 septembre à nous Français. Voir des amies, voir des amies, voir des amies. Être entourée de gens que j’aime. Partager de jolis moments, parler de notre détresse.

À lire aussi : Ce vendredi 13 novembre 2015, j’étais au Stade de France — Témoignage

Plus rien ne sera comme avant

Et j’ai fini par apprendre que la joueuse de roller derby parisienne de La Boucherie était morte alors qu’elle était recherchée partout. Et là, j’ai compris. J’ai réalisé. Le 13 novembre avait enfin un visage, son visage, le visage de Lola, d’un sourire qu’on ne reverra plus en jeu sur le track. Là, j’ai compris et j’ai pu m’effondrer : la communauté derby internationale pleurait cette joueuse, parce qu’il y avait eu trop de chocs répétés pour garder mes yeux au sec, parce que je comprenais enfin.

Pour moi qui ai grandi dans une famille aimante où les différences étaient mises en avant, comprises et simplement normales, le monde se fissurait car des gens pensaient que notre bonheur à nous Français n’avait pas lieu d’être, que nous ne respections pas les préceptes de cet islam radical auquel tout le monde aurait dû se plier. Et j’ai pensé :

« Ce sont des Français qui ont tué d’autres Français. »

Et là, j’ai compris que plus rien ne serait comme avant. Plus rien.

Alors j’ai continué à sourire, rire, voir mes amis et apporter de la lumière là où je le pouvais car j’ai cette chance folle d’être franco-libanaise, d’aimer les gens et d’être pleine de vie.

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Les Commentaires

5
Avatar de Matarela
19 novembre 2015 à 16h11
Matarela
Je rejoins Laetiposa sur ce point.
On s'excuse, hein :/
0
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