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Shia LaBeouf, son viol et son traitement médiatique, symptômes d’un tabou tenace

Shia LaBeouf a déclaré avoir été violé par une femme lors d’une performance artistique. Le traitement par divers médias de cette information est symptomatique de la façon dont la société perçoit les violences sexuelles sur les hommes.
Ce sujet précis n’est plus « d’actualité », mais le viol des hommes et la façon dont il est considéré par la société, malheureusement, si. Piqûre de rappel donc, à l’attention de toutes celles et ceux qui pensent qu’un homme ne peut être abusé sexuellement, qu’érection est synonyme de consentement ou autres mythes dévastateurs pour des victimes déjà hautement fragilisées.

À lire aussi : La Suède ouvre le premier lieu d’accueil pour hommes violés

Initialement publié le 4 décembre 2014

Fin novembre 2014, Shia LaBeouf avait l’honneur d’une longue interview dans le magazine Dazed. Elle était accompagnée d’une vidéo conceptuelle dans laquelle l’acteur et une journaliste, chacun pourvu d’une GoPro sur le front, se fixaient sans parler pendant une heure.

Dans la correspondance écrite entre Shia LaBeouf et la journaliste, Aimee Cliff, il revenait sur sa performance artistique #IAMSORRY (#JESUISDÉSOLÉ), menée à Los Angeles en février 2014. L’acteur était installé, seul, dans une galerie d’art, la tête couverte d’un sac en papier où était inscrit « I AM SORRY » ; visiteurs et visiteuses pouvaient entrer, une personne à la fois, pour se retrouver face à lui. Pendant ce happening de cinq jours, il n’a pas prononcé un mot, n’a pas quitté les lieux.

À lire aussi : Shia LaBeouf, la détresse plein les yeux — Les Fantasmes de la Rédac

Le viol de Shia LaBeouf

Shia LaBeouf a confié à Aimee Cliff avoir été violé lors de cette performance.

« Une femme, venue avec son petit ami (qui attendait dehors à ce moment-là), a fouetté mes jambes pendant dix minutes, m’a déshabillé et a commencé à me violer… Il y avait des centaines de personnes en train de faire la queue lorsqu’elle est sortie, avec ses cheveux en bataille et son rouge à lèvres tout étalé. Ce n’était pas bien, non seulement pour moi, mais aussi pour son homme. De plus, ma petite amie était dans la queue, car c’était la Saint Valentin et je vivais dans la galerie pendant cette performance — nous étions séparés pour cinq jours, sans jamais communiquer. Donc ça l’a vraiment blessée, elle aussi, car l’information est remontée dans la file d’attente. Quand elle est entrée, elle m’a demandé des explications, mais je ne pouvais pas parler, donc nous étions là, assis, avec ce traumatisme inexpliqué, en silence. C’était douloureux. »

https://youtu.be/_6rDDZioHoM

Deux autres artistes impliqués dans la performance, Nastja Säde Rönkkö et Luke Turner, ont confirmé ses dires. La première a posté sur son compte Twitter :

« Quelques clarifications importantes au sujet du projet #IAMSORRY ayant eu lieu plus tôt cette année. Nous n’avons indiqué nulle part que les gens pouvaient faire tout ce qu’ils voulaient à Shia pendant #IAMSORRY. Dès que nous avons eu vent de l’incident en train de se dérouler, nous avons interrompu les choses et nous sommes assurés que la femme quittait les lieux. Pour être plus précise : nous n’étions pas au courant de l’incident en temps réel, puisque nous n’étions pas dans la même pièce que Shia. Dès que nous en avons pris conscience, nous avons agi, et la femme est rapidement sortie avant que nous n’entrions. Au-delà de ça, nous n’avons aucun commentaire. »

Luke Turner est lui aussi passé par son compte Twitter pour répéter le texte ci-dessus, et a ajouté :

« Nous n’étions pas sûrs au début de ce qu’il s’était passé, notre priorité était de garantir la sécurité de tous les gens présents dans la galerie. La femme est partie en courant, au lieu de s’en aller normalement. Au-delà de ça, nous n’avons aucun commentaire. »

Le viol des hommes, ce fléau invisible, qui ne touche pas que Shia LaBeouf

Rappelez-vous : en mars, l’insoutenable vidéo Pourquoi le viol, c’est vraiment hilarant abordait déjà le sujet particulièrement tabou du viol des hommes, surtout lorsqu’il est perpétré par une femme. Cliquez sur l’image ci-dessous pour lire notre article à ce sujet.

le viol c'est hilarant

Condamner la femme qui aurait agressé Shia LaBeouf, c’est l’affaire de la justice, s’il porte plainte un jour. Par contre, de nombreux médias ne se sont pas gênés pour condamner… la victime. Preuve que le viol, surtout lorsqu’il touche les hommes, est un des rares crimes qui met plus souvent la victime que le/la coupable en cible des critiques.

Shia LaBeouf n’avait qu’à se défendre, voyons !

Sur le Huffington Post français, qui dédie un article neutre et factuel

aux déclarations de Shia LaBeouf, on peut ainsi lire en top commentaire :

shia-labeouf-commentaire

« C’est lui qui le dit ». Et qui d’autre serait bien placé pour dénoncer un viol, d’ailleurs confirmé publiquement depuis par deux autres artistes ? La présomption d’innocence est une chose, nier la parole d’une victime en l’accusant de vouloir faire « le buzz » en est une autre. De quel droit déciderions-nous de la véracité ou non des paroles de Shia LaBeouf ?

À lire aussi : Je veux comprendre… la culture du viol

Dans les médias francophones, la palme revient sans aucun doute au Figaro, qui commence dès le titre pourvu de guillemets bien méprisants : Shia LaBeouf avoue s’être fait «violer par une femme». Si l’article est lui aussi assez factuel, il débute avec des phrases lourdes de jugement. Les fautes d’orthographe et de grammaire sont d’origine.

« L’acteur-réalisateur vient de révéler, dans une interview pour Dazed and Confused, qu’il s’est fait agressé lors d’une performance artistique dans laquelle il devait rester muet, face au public. Pour sombrer un peu plus dans le ridicule.

Le ridicule ne tue pas… Après avoir été arrêté pour avoir interrompu une représentation de Cabaret au Studio 54, être passé sur le tapis rouge de la Berlinale avec un sac en papier sur la tête, être l’objet d’une rixe dans un bar et avoir participé à une performance artistique en collants violets et débardeur vert à Amsterdam, Shia LaBeouf annonce avoir été violée par une femme. »

« Sombrer un peu plus dans le ridicule ». Tant de violence dans cette phrase. Qu’est-ce qui est ridicule, exactement ? De faire une performance artistique ? De subir un viol ? De le dire ? Tout ça à la fois, peut-être. « Ridicule ».

Même sur l’interview originelle de Dazed, dans laquelle la journaliste fait preuve de tendresse et de compassion envers Shia LaBeouf, l’un des commentaires ayant reçu le plus de succès est celui-ci :

shia-labeouf-dazed-commentaire

— Violé ? Eh ben, au moins il n’accuse pas Bill Cosby. Bon, sérieusement, est-il vraiment enfermé dans sa performance artistique au point de pas pouvoir empêcher quelque chose comme ça, genre, je sais pas, en la repoussant ? Ou peut-être que ce n’était pas si désagréable qu’il le prétend… Je dis ça je dis rien.

— Ouais, je ne suis pas sûre d’être OK avec l’utilisation du terme « viol »… le viol c’est terrible.

Si j’avais un bingo « accusations qu’on renvoie perpétuellement à la gueule des victimes de viol », il commencerait à être sérieusement plein. « Il n’y avait qu’à le/la repousser », « si tu ne t’es pas débattu•e c’est que tu as probablement aimé ça », « le viol ce n’est pas ça »… et tous les « y avait qu’à » qui ignorent totalement les mécanismes psychologiques entrant en action chez de nombreuses victimes.

À lire aussi : Viol : une vidéo drôle et déprimante sur la culpabilisation des victimes

Par exemple, l’effet de sidération peut nous clouer sur place, tant nous sommes incrédules et totalement perturbé•e•s par cet acte d’une grande violence (avant d’être violé, rappelons que Shia LaBeouf a été physiquement agressé). Il y a la peur aussi, l’incompréhension, la panique… Autant de choses qui peuvent expliquer que non, « y avait qu’à te défendre », ce n’est pas une réalité.

« Croire la parole des victimes masculines n’est pas en opposition avec le féminisme : c’est un impératif »

shia labeouf charlie countryman

Heureusement, d’autres avis se font entendre. Sur le site du Guardian, Lindy West a publié le salutaire I believe Shia LaBeouf – a person doesn’t have to be likable to be a victim (Je crois Shia LaBeouf — une personne n’a pas à être « aimable » pour être une victime). Morceaux choisis.

« Il n’y a pas besoin de s’identifier facilement à une victime, de lui faire confiance, qu’elle soit « normale » ou même une bonne personne pour vous la croyez. Il est possible d’être littéralement dérouté par toutes les actions d’une personne et de la prendre au sérieux quand même lorsqu’elle dit être une victime. Le comportement étrange de LaBeouf et le viol qu’il a subi ne s’excluent pas mutuellement, tout comme ce dernier et son genre. « Il ne demandait que ça », « Pourquoi ne s’est-il pas débattu ? », « Pourquoi ne pas avoir dit non ? », « Il devait en avoir envie », « Il a l’air fou » : ce sont des choses inacceptables à dire à quelqu’un, peu importe son genre. Dans une culture qui stigmatise les victimes masculines en les considérant comme féminines et faibles (la masculinité toxique est, plus que tout, une extension de la misogynie), croire la parole des victimes masculines n’est pas en opposition avec le féminisme : c’est un impératif du féminisme. […]

Que vous pensiez ou non que LaBeouf s’est mis lui-même dans une position vulnérable, qu’il « aurait dû » ou « aurait pu » se défendre, que vous pensiez ou non qu’#IAMSORRY est une bonne œuvre d’art, la seule chose qui importe, c’est qu’une femme a choisi de l’agresser sexuellement. Le point-pivot, le moment où #IAMSORRY est passé d’« imbécile » à horrifique, n’a pas été provoqué par un choix de LaBeouf, mais par cette femme. Elle l’a fait. Personne d’autre. »

À lire aussi : « Sois un homme ! », la dangereuse injonction sociale masculine décryptée dans « The Mask You Live In »

Tout autant qu’une femme, un homme doit être soutenu, cru, protégé lorsqu’il est victime de viol, ou d’agression en général. Tout autant qu’une femme, un homme peut subir cet acte terrible, et tout autant qu’une femme, il n’en est pas responsable : c’est le/la coupable qui l’est.

Malheureusement, les réactions à l’interview de Shia LaBeouf montrent qu’il reste encore un long chemin à faire avant que les victimes masculines ne reçoivent l’aide et le respect qu’elles méritent.


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Les Commentaires

119
Avatar de sakura5192
4 décembre 2016 à 21h12
sakura5192
Juste un truc : ça : cette vidéo qui à mon sens aurait eu sa place dans vos colonnes sur madmoizelle
0
Voir les 119 commentaires

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