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Marketing genré et éducation des enfants — Le Petit Reportage

Alors que les premiers catalogues de Noël font irruption dans vos boîtes aux lettres, les supermarchés U se distinguent cette année en proposant une sélection « qui va au-delà des genres ».

Des photos de petits garçons qui jouent à la poupée ou à la dînette, des petites filles qui s’amusent avec un jeu de construction et des voitures électriques… Après avoir essuyé des critiques en 2011 de la part de clients mécontents, les Supermarchés U ont choisi cette année de proposer un catalogue de jouets de Noël moins soumis à la division sexuelle des activités.

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La critique est plutôt récente : non, les filles ne sont pas obligées de s’épanouir en apprenant dès l’âge de 6 ans à composer avec leur futur rôle de mère et fée du logis, non les garçons n’ont pas l’apanage de l’aventure et des jeux de construction. Si le paradigme « rose pour les filles, bleu pour les garçons » a longtemps coulé de source, selon Faith Popcorn (CEO d’une agence de conseils en marketing), le marketing genré toucherait bientôt à sa fin :

« Les femmes sont de plus en plus influentes, puissantes. Et les hommes deviennent plus sensibles, collaboratifs et connectés. »

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— Extrait du catalogue des Supermarchés U

Le futur est-il aux produits qui combinent valeurs dites masculines (technologie, efficacité) et valeurs dites féminines (douceur, capacité d’adaptation) ? « La répartition des rôles entre hommes et femmes a connu de profonds changements dans la seconde moitié du vingtième siècle. Ces transformations ont eu des conséquences importantes sur les comportements de consommation. 50% des conducteurs de voitures sont aujourd’hui des femmes et plus de 60% des nouveaux acheteurs de voitures de moins de 50 ans aux États-Unis sont des femmes. Des femmes travaillent, bricolent, certains hommes se parfument ou s’occupent des enfants. », nous expliquent Elisabeth Tissier-Deshordes et Allan J. Kimmel dans Sexe, genre et marketing.

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— Extrait du catalogue des Supermarchés U

En attendant, les stratégies commerciales sont nombreuses à prendre en compte cette division sexuelle de la clientèle. Ainsi, chez Sanogyl, la brosse à dents pour femme est « douce » quand celle pour homme est « sport et technique ». Mais plus pernicieux encore qu’un « simple » dédoublement de l’offre pour le consommateur mâle ou femelle, le marketing genré touche aussi aux jouets. Sachant qu’un jouet est un objet d’éveil permettant à un enfant d’apprendre à mieux appréhender le monde qui l’entoure et à booster sa curiosité et son imagination, on peut s’interroger sur les risques d’une telle catégorisation. En effet, comment la petite fille à qui on ne lit que des histoires de « princesse coincée dans son donjon, dans l’attente de se faire délivrer » peut-elle développer un esprit aventurier (de future auto-entrepreneure) ? Et comment le petit garçon à qui on n’offre que des jouets de guerre peut-il envisager sans culpabilité qu’être un individu sensible ne fait pas de lui « une fille manquée » ?

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Une campagne lancée par Osez le féminisme Belgique

En ce sens, le marketing genré nourrit les stéréotypes et parachève l’idée de rôles sexuels attendus d’un genre comme d’un autre. Lucie raconte :

« Quand j’étais petite, ma nourrice ne voulait pas que je joue aux fléchettes et aux petites voitures, avec les garçons qu’elle gardait. Elle me disait « Les filles qui font ça, elles finissent gouines ! » si bien que pendant un paquet d’années, j’ai cru que « gouine » voulait dire « garçon manqué ». »

Nathan, lui aussi, a vécu la « présomption d’homosexualité » :

« À la maison, j’étais entouré de femmes : mes 2 grandes soeurs, ma mère et ma petite soeur. J’avais des figurines de Batman et des pistolets en plastique, mais ce qui m’amusait le plus, c’était jouer à la dînette avec mes soeurs. Ce contexte familial m’a fait me sentir plus à l’aise avec les filles de ma classe qu’avec les garçons. Je préférais leur compagnie. Mon beau-père, lui, a tout fait pour « me rattraper » en ne m’offrant que des jeux de guerre et des ballons de foot. Il me demandait aussi assez régulièrement si au fond de moi, je n’aurais pas préféré être une fille. »

« Garçon manqué », « tapette »… Les mots sont catégoriques lorsqu’il s’agit de désigner une fille qui aime jouer à la balle au prisonnier et un garçon qui n’aime pas la bagarre. Plus prosaïquement, nous sommes nombreu-x-ses à sous-estimer ce « sexisme de la vie quotidienne » dont pâtissent les plus jeunes. Dans un article du Parisien consacré à la crèche Bourdarias (Saint-Ouen), laboratoire de lutte anti-stéréotypes sexués, Arnaud, père de famille, explique :

« Au début, on a été surpris. […] On ne voyait pas bien ce que le sexisme avait à voir avec des petits bouts de moins de 3 ans. Et puis, on s’est rendu compte que nous-mêmes on perpétuait plein de clichés. Notre Adrien était un gars, un grand, un costaud. Jamais on ne lui aurait dit « T’es mignon… » »

David, éducateur, raconte :

« On ne force aucun enfant, mais on leur donne le choix et je peux vous dire que les garçons adorent changer les couches des poupons. »

La crèche Bourdarias s’inspire du modèle suédois : à Järfälla, dans la banlieue de Stockholm, les premières écoles maternelles égalitaires ont vu le jour au début des années 2000. Au programme : des plages horaires non mixtes pour permettre aux filles de foncer à vélo et bricoler pendant que les garçons apprennent à s’exprimer entre eux sans se couper la parole.

Stéphanie, jeune maman, se dit très sensible à ce décloisonnement des genres dans l’éducation des enfants. Mais elle fait part de certaines appréhensions, à l’égard de sa petite Alice :

« J’ai toujours veillé à ce que ma petite tête blonde n’évolue pas dans un univers rose et girly, parce que c’est aussi une attention que mes parents avaient eue pour moi, et je leur en suis reconnaissante. La chambre d’Alice n’est pas peinte en rose, pas en bleu non plus puisque je ne suis pas dans une logique d’inversion du processus – mais en orange. Le problème, c’est que depuis qu’Alice fait des goûters d’anniversaire chez ses copines, elle n’a plus qu’une chose en tête: posséder des poupées Barbie et un faux aspirateur en plastique. Soit les deux trucs que je me suis le plus efforcé de ne pas lui mettre en les mains. »

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Et Stéphanie d’expliquer qu’elle ne sait plus comment trancher le dilemme :

« En tant que mère, j’ai deux positions : la première, c’est de faire plaisir à ma fille; la seconde, c’est de contrôler les jouets avec lesquels elle grandit. Pas sûr qu’une poupée aussi galbée qu’iréelle et un faux appareil ménager soient du meilleur acabit pour faire d’elle la jeune femme émancipée que je souhaite… » soupire t-elle.

En effet, comment orienter l’enfant dans une éducation « mixte » sans courir le risque de le voir développer une fascination disproportionnée pour les jouets genrés ?

« Les gamins font souvent des fixettes sur ce qu’on refuse de leur acheter. Quand j’étais petit, le simple fait que mes parents refusent de m’acheter un faux pistolet m’a transformé en petit garçon fasciné par les jeux de guerre. J’avais fini par en voler un, chez un de mes camarades de classe, alors que je n’avais jamais rien volé avant. Mes parents, furax, m’avaient forcé à aller le rendre en m’excusant auprès des parents de mon ami. La plus grosse honte de ma vie, à l’époque. », raconte Rémi.

Les parents les plus puristes refuseront jusqu’au bout, mais certains essayent d’amadouer l’enfant autrement. Jacqueline, mère de la petite Léa, raconte :

« Quand Léa m’a demandé de lui offrir un faux kit ménager « pour faire comme maman », je suis tombée des nues. Je suis allée la voir, et je lui ai dit « Tu es sûre que tu veux ça ? C’est pour faire comme maman ? Mais tu sais que maman ne fait pas que le ménage, maman est aussi docteur et soigne tous les jours des gens à l’hôpital ! » Puis mon mari et moi sommes tombés d’accord pour lui offrir le faux kit ménager, mais aussi une trousse de médecin. Résultat, elle s’amuse beaucoup plus avec la seconde qu’avec le premier, et ne présente aucune fascination pour un balai en plastique et des lingettes essuie-glace. »

Chloé, étudiante dans une école de stylisme, confie :

« Ma mère m’avait acheté Dessinons la mode, un cadeau combinant 2 choses qui lui semblaient essentielles à mon éducation : la féminité et la création. Je me retrouve aujourd’hui à dessiner des vêtements, parce que de près ou loin, ce jeu m’avait complètement fascinée. Je ne lui jette pas la pierre, loin de là, tant mieux si elle m’a en quelque sorte ouverte à une passion. Mais clairement : que ce serait-il passé si j’avais aussi eu le droit à des jeux de construction, comme mon frère ? Peut-être que la profession d’architecte m’aurait semblé moins « masculine » qu’elle ne l’est vraiment… »

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Mais les parents ne sont pas les seuls à participer à l’éducation de leurs têtes blondes. La cour de récré, la garderie, le reste de la famille… jouent un rôle également dans la construction de l’imaginaire de l’enfant.

« Quand on organise l’anniversaire de la petite, j’envoie toujours un e-mail aux invités pour leur préciser que je suis plus team jeux de constructions que jeux de fée du logis. Certains me trouvent tatillonne, mais après tout, j’éduque ma fille comme je le veux, non ? », s’exclame Jacqueline.

Mais Nouara, aujourd’hui 28 ans, relativise le poids du rose bonbon sur l’éducation des enfants :

« Je suis la dernière d’une fratrie de 4. Mes parents ont été tellement soulagés d’avoir finalement une fille qu’ils ont mis le paquet dans la catégorie « stéréotypes girly – Charlotte aux Fraises », heureux de voir d’autres jouets que des voitures Hot Wheels, des vaisseaux Goldorak et des des Kalachnikov à eau traîner dans le salon… Mon enfance a donc ressemblé aux pages « filles » du catalogue JouéClub 1992. Mais le conditionnement par les jouets exclusivement réservés aux filles n’a pas du tout pris sur moi : je suis tout sauf une fifille et j’ai plus de copains que de copines. »

L’heure est aujourd’hui à la sensibilisation des parents, et le catalogue des supermarchés U abonde en ce sens : un enfant peut s’épanouir en jouant avec toutes sortes de jouets, et son genre ne doit le prédisposer à aucun type d’activités. L’avènement d’une littérature pour enfants « mixte » qui s’éloigne du dyptique « garçon : pirate et fille : princesse » témoigne d’ailleurs de ce nouvel enjeu.

Pour aller plus loin :


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Les Commentaires

32
Avatar de Luz-
14 décembre 2012 à 12h12
Luz-
On ne se trompe pas de débat, il y en a juste une multitude et on ne va pas s'attaquer aux 300 débats possibles à la fois C'est UNE des composantes du sexisme parmi tant d'autres. J'en ai ras-le-bol de réentendre cet argument à tout bout de champ: Mademoiselle? C'est pas le plus important. Le clitoris? C'est pas le plus important. Le slut-shaming? C'est pas le plus important. C'est sûr que les choses vont changer comme ça

Merci! Merci vraiment

Puis-je réutiliser cette phrase chaque fois qu'on me sortira cet argument via facebook ?
Quand je publie des articles sur l'interdiction de l'IVG dans certains pays EUROPEENS, j'ai toujours droit a cet argument... "C'est pas ton combat, c'est pas en Belgique, arrête l'égalité de l'homme et de la femme en Belgique c'est fait blablabla" venant de fille! MAIS BON DIEU.

Sinon en rapport avec l'article : Ouais les trucs genré c'est vraiment une plaie. j'ai été ultra soulagée quand mon petit cousin a demandé une cuisinière pour son anniversaire Ca me rassure... Mais bon c'est vrai que la pression de l'école peut-être parfois destructrice.
j'ai lu dans les commentaires qu'une "n'osait" pas demander un jouet typé "garçon", je pense vraiment que c'est une réalité : ramener un GI joe ou des petites voitures a l'école en tant que fille c'est pas top j'en suis la preuve vivante. Ca m'a totalement mis de côté > les enfants c'est méchant.
Je ne comprends donc pas pourquoi ce ne serait pas un vrai combat, contre la publicité mais aussi contre une éducation formatée...
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