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Culture

Anita Sarkeesian : les femmes dans les jeux vidéo, épisode 1

Anita Sarkeesian est de retour avec Tropes vs women in video games. Dans le premier épisode de cette nouvelle étude sur la représentation des femmes dans les scénarios des jeux vidéo, elle nous parle de la fameuse Damoiselle en Détresse.

Il y a quelques mois, Anita Sarkeesian annonçait qu’elle lançait un Kickstarter pour pouvoir étudier la représentation des personnages féminins dans les jeux vidéo et attisait par la même occasion la colère de quelques utilisateurs de 4chan. Elle a bien fait de tenir bon face au harcèlement moral dont elle a fait l’objet puisqu’elle a réussi à récolter pas moins de 150 000 $ alors qu’elle n’en demandait que 6 000 pour mener à bien son projet.

Hier, Anita Sarkeesian a mis en ligne le premier épisode de cette étude, qui s’attarde sur le cliché de la demoiselle en détresse. (Pour celles qui ne comprennent pas forcément bien l’anglais, Myriam H a traduit le contenu entier de cette première vidéo ; si vous avez un souci avec la vidéo, vous pouvez la voir ici) :

Pour bien préciser avant la traduction : ici, un « trope » est un cliché, une idée reçue, une allégorie etc. qu’on retrouve régulièrement dans une oeuvre culturelle.

« Bienvenue sur notre série de vidéos en plusieurs parties qui explore les rôles et représentations des femmes dans les jeux vidéo. Ce projet va examiner, d’un point de vue systémique et large, les tropes, outils scénaristiques et schémas les plus communément associés aux femmes dans le monde vidéoludique.

Cette série comportera une analyse critique de plusieurs jeux et personnages très appréciés, mais rappelez-vous qu’il est possible (et même indispensable) d’aimer un média tout en gardant un esprit critique sur ses aspects les plus problématiques ou pernicieux.

Alors sans plus attendre, passons directement à la Damoiselle en Détresse.

Commençons avec l’histoire d’un jeu auquel personne n’a jamais pu jouer.

En 1999, le studio de jeux vidéo RARE travaillait dur sur un nouveau titre inédit pour la Nintendo 64, intitulé Dinosaur Planet. Le jeu devait comporter une héroïne de 16 ans, appelée Krystal, en tant qu’un des deux personnages jouables. Elle pouvait voyager dans le temps, combattre des monstres préhistoriques grâce à ses aptitudes magiques et sauver le monde. Elle était forte, débrouillarde et héroïque.

(Vidéo de Dinosaur Planet : « Et qui êtes-vous, fille animale ? » « Mon nom est Krystal ! »)

C’est assez cool, pas vrai ? Enfin… ça l’aurait été, sauf que le jeu n’est jamais sorti. Alors que le projet était quasiment terminé, le légendaire designer de jeux vidéo Shigeru Miyamoto plaisanta en disant qu’il faudrait plutôt faire le troisième élément de sa franchise, Star Fox. C’est exactement ce que fit Nintendo pendant les deux années qui suivirent : ils ont réécri et redesigné le jeu, qui sortit en tant que Star Fox Adventures pour Game Cube en 2002.

Dans cette version rénovée, Krystal, qui devait être une héroïne, a été transformée en Damoiselle en Détresse et passe la grande majorité du jeu enfermée dans une prison de cristal, attendant d’être secourue par le nouveau héros du jeu, Fox McCloud.

Les séquences d’action jouables, créées à la base pour Krystal, ont été modifiées pour inclure Fox à la place. Krystal est affublée d’une tenue plus légère et sexuée.

(Vidéo de Star Fox Adventures : « Wow, elle est belle ! Qu’est-ce que je suis en train de faire ?! »)

Et oui, vous entendez bien un saxophone kitsch pour certifier qu’il est « clair comme du Krystal » qu’elle est maintenant un objet de désir, même suspendue en l’air – et pour ne rien arranger, Fox utilise dorénavant SES aptitudes magiques pour avancer dans le jeu afin de la sauver.

L’histoire de Krystal, partie du statut d’héroïne de sa propre aventure épique pour finir en victime passive dans le jeu d’un autre personnage illustre à quel point le trope de la Damoiselle en Détresse retire du pouvoir aux charactères féminins et leur vole la chance d’être les héroïnes de leur propre légende.

Le terme « Damsel in distress » est une traduction du français « damoiselle en détresse ». Damoiselle veut simplement dire « jeune femme » et détresse signifie « anxiété ou désespoir causée par une impression d’abandon, de fatalité ou de danger ».

En tant que trope, la Damoiselle en Détresse est un outil scénaristique grâce auquel un personnage féminin est placé dans une situation périlleuse, de laquelle elle ne peut pas se sortir toute seule, et doit être secourue par un personnage masculin, ce qui lui offre généralement une motivation-clé pour sa quête.

Dans les jeux vidéo, cela arrive souvent via un kidnapping mais ça peut aussi prendre la forme d’une pétrification ou d’une possession démoniaque par exemple.

Traditionnellement, la femme en détresse est un membre de la famille ou l’objet de l’amour du héros ; princesses, épouses, petites amies et soeurs sont généralement choisies pour ce rôle.

Bien évidemment, la Damoiselle en Détresse a précédé l’invention des jeux vidéo – de plusieurs milliers d’années. L’histoire de ce trope peut être remontée jusqu’à la mythologie grecque, avec le conte de Persée.

Selon le mythe, Andromède est sur le point d’être dévorée par un monstre marin après avoir été enchaînée, nue, à un rocher, en tant que sacrifice humain. Persée vainc la bête, sauve la princesse et la réclame ensuite en tant qu’épouse.

Au Moyen Âge, la Damoiselle en Détresse était un élément récurrent de plusieurs chansons, légendes et contes de fées médiévaux. Secourir une femme sans défense était souvent présenté comme LA raison d’être dans les contes romantiques ou poèmes de l’époque incluant un chevalier errant, partant à l’aventure pour prouver sa chevalerie, ses prouesses et ses vertus.

Au tournant du XXème siècle, les jeunes femmes en position de victimes devinrent un cliché de choix pour l’industrie naissante du film américain, car elles permettaient un outil scénaristique facile et sensationnel pour le grand écran. Un des premiers exemples, assez célèbre, est le court-métrage de 1913 de Keyston Kops, La course pour la vie de Barney Oldfield, qui inclut la scène (aujourd’hui culte) d’une femme se faisant attacher sur les voies ferrées par un méchant maléfique à la moustache bouclée.

À peu près à la même époque, la figure du singe géant transportant une femme hurlante commença à gagner en popularité dans tous types de médias. Citons notamment Jane, l’amoureuse de Tarzan, capturée par un primate brutal dans le film d’aventure populaire de 1912 par Edgar Rice Burroughs, Tarzan et les singes. En 1930, Walt Disney utilisa cette figure dans un des premiers dessins animés de Mickey Mouse, intitulé Le mystère du gorille.

Cette image fut même utilisée par l’armée américaine dans cette affiche de recrutement pour la Première Guerre Mondiale.

Mais c’est en 1933 qu’arrivèrent deux choses qui, 50 ans plus tard, ont préparé le terrain pour que la Damoiselle en Détresse devienne un élément fondateur des jeux vidéo. Tout d’abord, Paramount Pictures sortirent leur série animée Popeye le Marin au cinéma.

La formule de la plupart des épisodes implique Popeye secourant Olive Oyl, qui a été kidnappée.

(Vidéo de Popeye le Marin : « Épouse-moi ? » « Oh, Popeye, à l’aide ! »)

Ensuite, en mars de la même année, RKO Pictures sortirent leur énorme succès, King Kong, dans lequel un primate géant capture une jeune femme et finit tué car il essaye de la garder pour lui.

Avance rapide jusqu’en 1981, quand une entreprise japonaise nommée Nintendo fit confiance à un jeune designer appelé Shigeru Miyamoto pour créer un nouveau jeu d’arcade destiné au marché américain.

À la base, le projet était conçu comme un jeu incluant Popeye le Marin, mais puisque Nintendo n’avait pas réussi à obtenir les droits, Miyamoto finit par créer ses propres personnages, lourdement influencé par le film King Kong.

Le héros du jeu, Jump Man, a pour tâche de secourir une damoiselle, « La demoiselle », emportée par un singe géant. Dans les versions suivantes, elle est renommée Pauline.

Bien que Donkey Kong soit peut-être le plus célèbre des jeux d’arcade incluant une Damoiselle en Détresse, ce n’était pas la première fois que Miyamoto utilisait ce trope. Deux ans auparavant, il avait designé un jeu d’arcade de 1979, intitulé Sheriff.

On y voit un tas de pixels d’aspect vaguement féminin, dont on parle comme « La Beauté », devant être secourue d’un groupe de bandits. Le héros est ensuite récompensé pour sa bravoure par un « bisou de la victoire ».

Quelques années plus tard, Miyamoto recycla ses personnages de Donkey Kong : Pauline devint la trame d’une nouvelle damoiselle nommée Princesse Toadstool et Jump Man devint un certain plombier très célèbre.

Princesse Peach est, par beaucoup d’aspects, la quintessence de la Damoiselle en Détresse. La princesse malchanceuse apparaît dans 14 jeux de plateforme Super Mario Brothers et elle se fait kidnapper dans 13 d’entre eux.

La version nord-américaine de Super Mario Brothers 2, en 1988, reste le seul jeu de la série-mère dans lequel Peach ne se fait pas kidnapper, et également le seul dans lequel elle est un personnage jouable. Il faut cependant noter que ce n’était pas du tout censé être un jeu Mario, à la base. Le jeu est d’abord sorti au Japon sous un titre totalement différent, Yume K?j?: Doki Doki Panic, qu’on peut globalement traduire par : L’usine à rêves : Panique frénétique.

Nintendo Amérique décida que la version japonaise de Super Mario Brothers 2 était trop difficile et trop similaire au premier, donc ils ont redesigné Doki Doki Panic pour y inclure Mario et Luigi. Toutefois, le jeu japonais avait déjà quatre personnages jouables, donc les designers ont décidé d’y inclure Toad et la Princesse pour remplir les deux vides restants, en les collant directement sur les modèles de personnages pré-existant. Donc, pour être vraiment honnête, c’est un peu un accident si Peach est un personnage jouable.

Elle avait quand même le pouvoir génial de flotter sur de courtes distances, ce qui se révélait vraiment pratique, surtout dans les niveaux de glace.

Malheureusement, Peach ne fut plus jamais un personnage jouable de la franchise. Même avec de nouveaux jeux incluant 4 options de personnages jouables, comme New Super Mario Brothers Wii et Wii U, la Princesse reste exclue de l’action. Elle a été remplacée par un autre Toad pour que Nintendo puisse la remettre de force dans sa robe de Damoiselle, encore et toujours.

Peach apparaît, bien sûr, dans beaucoup de spin-offs comme Mario Party, Mario Sports et les séries Mario Kart, ainsi que dans les jeux de combat Super Smash Brothers Nintendo Universe. Cependant, tous ces spin-offs sont bien loin de la série-mère de jeux de plateforme Super Mario. Elle est la star d’une seule aventure, ce que nous verrons plus tard.

Une des façons de considérer les personnages « Damoisellés » est ce qu’on appelle la dichotomie sujet/objet. En gros, les sujets agissent, et les objets subissent des actions. Le sujet est le protagoniste, celui sur lequel est centrée l’histoire et celui qui fait le plus d’actions. Dans les jeux vidéo, il s’agit presque toujours du personnage jouable principal, et on voit la plus grande partie de l’histoire de son point de vue.

Donc le trope de la Damoiselle met typiquement les hommes en position de « sujets » des histoires, tout en réléguant les femmes au rôle d’« objets ». C’est une forme d’objectification car en tant qu’objets, les femmes « damoisellées » subissent des actions, la plupart du temps en devenant ou en étant réduites à un prix à gagner, un trésor à trouver ou un objectif à atteindre.

La brève séquence d’introduction accompagnant beaucoup de jeux d’arcade classiques tend à renforcer la place des femmes en tant que possessions du protagoniste, qui lui ont été volées.

La lutte du héros pour récupérer sa propriété volée offre ensuite une justification facile du gameplay.

Au fond, le trope de la Damoiselle ne parle pas du tout des femmes : elles deviennent simplement l’objet principal d’une compétition entre hommes (dans ses manifestations traditionnelles, au moins). J’ai entendu une fois que « Dans le jeu de la patriarchie, les femmes ne sont pas l’équipe adversaire, elles sont la balle ». Donc par exemple, on peut considérer la franchise Super Mario comme un grand match entre Mario et Bowser. Et le rôle de la Princesse Peach est principalement d’être la balle.

Les deux hommes la font valser d’un côté à l’autre pendant la série principale, chacun essayant de garder et posséder la damoiselle-balle.

Bien que Nintendo n’a certainement pas inventé la Damoiselle en Détresse, la popularité de leur formule « sauvez la princesse » a posé les bases de l’industrie. Le trope devint rapidement un hameçon prisé des développeurs, car il offrait une voie facile pour titiller les fantasmes de pouvoir des adolescents, avec l’objectif de vendre plus de jeux aux jeunes garçons et hommes hétérosexuels.

À travers les années 80 et 90, le trope devint si omniprésent qu’il serait quasiment impossible de citer toutes ses utilisations. Il existe littéralement des centaines d’exemples, que ce soit dans les jeux de plateforme, les beat’em ups, les FPS et les jeux de rôles.

Beaucoup de ces jeux ont été inspirés par les mythes dont nous avons parlé plus tôt : les légendes médiévales, la mythologie grecque et les contes populaires arabes étaient des thèmes populaires.

Prenons un petit instant pour nous débarrasser de beaucoup d’idées fausses à propos de ce trope. En tant qu’outil scénaristique, la Damoiselle en Détresse est souvent accompagnée d’autres tropes : la victime désignée, le sauvetage héroïque et le bisou de la victoire. Cependant, il est important de se souvenir que ces clichés, souvent associés à tort, ne font pas partie intégrante du trope de la Damoiselle en Détresse.

Donc la femme en question peut être, ou non, la victime pendant tout le jeu – ou la série – et notre brave héros peut, ou non, la secourir avec succès. Tout ce qu’il faut pour avoir un trope « Damoiselle en Détresse » est un personnage féminin réduit à un état d’impuissance, dont elle ne peut se sortir que grâce à l’aide d’un héros masculin typique, dont l’histoire en bénéficiera.

Ce qui nous amène à une autre célèbre Princesse de chez Nintendo. En 1986, Shigeru Miyamoto rebondit sur sa fomule « Damoiselle en Détresse » avec la sortie, sur NES, de The Legend of Zelda, le premier opus de ce qui deviendra une des franchises de jeu d’action/aventures les plus appréciées de tous les temps.

À travers plus d’une douzaine de jeux, s’étendant sur un quart de siècle, toutes les incarnations de la Princesse Zelda ont été kidnappées, maudites, possédées, changées en pierre ou ont été déchues de tout pouvoir à un moment ou à un autre.

Zelda n’a jamais été la star de ses propres aventures, ni un réel personnage jouable dans la série-mère.

Toutefois, il faut bien dire que toutes les damoiselles ne sont pas nées égales et Zelda peut jouer, de temps en temps, un rôle plus actif que sa collègue du Mushroom Kingdom. Contrairement à Peach, Zelda n’est pas totalement définie par son rôle de victime perpétuelle des kidnappings de Ganondorf et dans quelques jeux plus tardifs, elle est même à la limite entre Damoiselle et sidekick (le bras droit du héros). Souvenez-vous que le trope « Damoiselle en Détresse », en tant qu’outil scénaristique, est quelque chose qui arrive à un personnage féminin, pas forcément quelque chose que le personnage est du début à la fin.

De temps à autres, elle pourrait même avoir l’opportunité d’avoir un rôle légèrement plus actif pour faciliter la quête du héros – typiquement, en ouvrant des portes, donnant des indices, des power-ups et autres objets utiles. Dans de rares occasions, elle peut même donner un coup de main de dernière minute au héros, une fois que tout est bouclé, à la fin du voyage. J’appelle cette variation du thème « La Damoiselle utile ».

En effet, Zelda est au top quand elle prend la forme de Sheik dans Ocarina of Time (1998) et Tetra dans The Wind Waker (2003).

Dans Ocarina of Time, Zelda esquive le kidnapping pendant les trois premiers quarts du jeu. Déguisée en Sheik, elle est un membre utile et actif de l’aventure et est présentée comme plus débrouillarde ; cependant, dès qu’elle se reprend sa forme, typiquement féminine, de Princesse Zelda, elle se fait kidnapper en 3 minutes. Littéralement 3 minutes, j’ai chronométré. Son sauvetage devient ensuite l’élément central de la fin de la quête de Link.

De façon similaire, dans The Wind Waker (2003), Tetra est une jeune capitaine pirate fougueuse et impressionnante. Mais dès qu’elle se révèle être la Princesse Zelda et reprend cette forme typiquement féminine, on lui dit qu’elle n’est plus autorisée à accompagner Link pour l’aventure parce que c’est soudainement « trop dangereux » pour elle. On lui ordonne d’attendre au château, ce qu’elle fait jusqu’à, forcément, se faire kidnapper, alors qu’elle patiente gentiment au même endroit. Il est intéressant de noter qu’à la toute dernière étape du combat contre le boss, elle aide Link à combattre Ganondorf, pendant quelques brèves minutes, ce qui est un changement rafraîchissant.

Cependant, quand Tetra réapparaît dans The Phantom Hourglass (2007), elle est directement kidnappée pendant l’introduction. Elle est ensuite changée en pierre, puis kidnappée à nouveau.

C’est décevant de voir que même avec ses instants d’héroïsme, Zelda est toujours « damoisellée » – elle est écartée de l’action, et rendue impuissante au moins une fois dans tous les jeux dans lesquels elle apparaît.

Ce qui nous amène à une des raisons principales pour lesquelles ce trope est si problématique et pernicieux pour les représentations des femmes. La Damoiselle en Détresse n’est pas juste un synonyme de « faible » : c’est un travail pour dépouiller les personnages féminins de leur pouvoir, même celles qui sont utiles et débrouillardes. Peu importe ce qu’on nous dit de leurs pouvoirs magiques, de leurs capacités ou de leurs forces, elles finissent toujours par se faire capturer ou devenir impuissantes d’une autre façon, et doivent donc attendre les secours.

Quand on se penche sur l’essence de cet outil scénaristique, on voit qu’il fonctionne en échangeant l’incapacité des personnages féminins contre un renforcement des personnages masculins.

Comparons la Damoiselle au mythe du héros traditionnel, dans lequel le personnage masculin typique peut aussi être blessé, rendu impuissant ou être brièvement emprisonné pendant sa quête.

Dans ces situations, le personnage utilise son intelligence, son astuce et ses capacités pour échafauder sa propre échappée – ou, bon, faire un trou dans les murs de sa prison, ça marche aussi.

Mon propos ici est qu’ils finissent toujours par être capables de gagner leur propre liberté. En fait, triompher de l’épreuve est un pas important dans la transformation du personnage en héros.

Une femme « damoisellée », d’un autre côté, est montrée comme incapable de s’échapper par elle-même et doit donc attendre qu’un sauveteur arrive et le fasse pour elle.

Ainsi, l’épreuve de la Damoiselle n’est pas sienne, mais devient un test pour le héros. En conséquence, ce trope confisque aux femmes en danger l’opportunité d’être les architectes de leur propre évasion, et donc de rentrer dans le personnage du héros.

De nos jours, beaucoup de jeux « Damoiselle en Détresse » vintage sont ressuscités sur les consoles moderne, car les studios se précipitent pour encaisser de l’argent sur la nostalgie des joueurs et font du chiffre sur n’importe quel personnage du temps jadis.

Par exemple, le jeu de plateforme de 1993 par Sega, Sonic, qui comporte une Amy Rose « damoisellée », a été amélioré et est disponible en téléchargement sur diverses plateformes modernes.

Les célèbres Karateka (1984) et Prince of Persia (1989) par Jordan Mechner, sortis à la base sur le PC Apple II dans les années 80, ont tous les deux eu droit à un remake moderne en HD.

Et le jeu animé sur Laserdisc de 1983 Dragon’s Lair, avec sa Princesse Daphne écervelée, a été adapté sur à peu près n’importe quel support imaginable.

(Vidéo de Dragon’s Lair : « Sauve-moi, je t’en prie ! La cage est fermée à clé ! Le dragon la garde autour de son cou ! Pour vaincre le dragon, utilise l’épée magique ! »)

Vous vous souvenez de Pauline, Damoiselle du jeu d’arcade Donkey Kong ?

Eh bien, elle a également été ramenée à la vie, d’abord dans Donkey Kong sur Gameboy en 1994, puis dans la série Mario VS Donkey Kong pour Nintendo DS. Chaque jeu comporte une version remâchée de la vieille excuse scénaristique avec Pauline emportée par le singe géant durant le générique d’ouverture.

Les secondes d’ouverture, aujourd’hui icôniques, du beat’em up d’arcade Double Dragon (1987) voient Marian frappée à l’estomac, jetée par-dessus l’épaule d’un voyou puis emportée. Dans de nombreuses version, sa culotte est clairement montrée au joueur pendant qu’elle se fait enlever.

Le jeu a été remanié, et est ressorti sur des douzaines de supports durant les 25 dernières années, histoire d’être sûrs que Marian continuera à se faire battre et « damoiseller » pour le plaisir de chaque nouvelle génération. Le plus récent, Double Dragon Neon (2012), a présenté encore une fois aux nouveaux joueurs cette merde régressive – cette fois en full HD.

Le schéma présentant les femmes comme fondamentalement faible, inefficaces ou totalement incapables a également des ramifications plus larges que les personnages eux-mêmes et les jeux spécifiques qu’ils peuplent. Nous devons nous rappeler que ces jeux n’existent pas dans le vide, qu’ils sont une part de plus en plus importante et influente de notre écosystème social et culturel.

La réalité, c’est que ce trope est utilisé dans le monde réel, où les attitudes sexistes rampent déjà. Il est triste de constater qu’un large pourcentage de la population mondiale continue à croire au cliché profondément sexiste voulant que les femmes doivent être protégées, abritées par les hommes qui doivent prendre soin d’elles.

La croyance que les femmes sont d’une façon ou d’une autre un « genre naturellement plus faible » est un mythe socialement construit très profondément implanté dans l’esprit collectif, et, bien sûr, complètement faux – mais cette notion et renforcée et perpétuée quand les femmes sont continuellement montrées comme des créatures faibles, fragiles et vulnérables.

Juste pour être claire : je ne dis pas que tous les jeux utilisant l’outil scénaristique de la Damoiselle en Détresse sont automatiquement sexiste, ou n’ont aucune valeur. Mais il est indéniable que la culture populaire est une influence puissante dans nos vies, et le trope de la Damoiselle en Détresse est une mode récurrent qui aide à normaliser des attitudes extrêmement toxiques et paternalistes envers les femmes.

J’ai grandi avec Nintendu, j’ai été une fan des franchises Mario et Zelda quasiment toute ma vie et elles auront toujours une place spéciale dans mon coeur, comme, j’en suis sûre, dans celui de nombreux joueurs. Mais il reste important de reconnaître et d’avoir un avis critique sur les aspects les plus problématiques, surtout en considérant le fait que beaucoup de ces franchises sont plus populaires que jamais et que leurs personnages sont devenus des icônes mondiales.

La bonne nouvelle, c’est que rien n’empêche les développeurs de dépasser leurs représentations genrées et de mettre plus d’héroïnes dans leurs futurs jeux. Ce serait tellement génial de voir Zelda, Sheik et Tetra devenir personnages de leurs propres jeux… et je ne parle pas simplement de jeux DS, je parle d’aventures complètes sur consoles.

Ok, on a donc établi que le trope de la Damoiselle en Détresse est un des clichés genrés les plus communément utilisés dans l’histoire des jeux vidéo et a été au coeur de la popularisation et du développement des jeux vidéo en tant que média. Mais quid des jeux modernes ? Est-ce que ça a changé pendant les dix dernières années ? Eh bien, rendez-vous à la partie 2, dans laquelle je me pencherai sur des exemples plus contemporains du trope de la Damoiselle en Détresse. Nous allons regarder toutes les circonvolutions cachées et voir de quelle façon cette convention a été sur-utilisée, jusqu’à aujourd’hui. Ensuite nous verrons quelques jeux pour lesquels les développeurs ont essayé de changer l’histoire des Damoiselles.

Je voudrais adresser un énorme remerciement à tous mes supporters sur Kickstarter qui continuent à me soutenir et ont aidé cette série de vidéos à devenir réalité ! »

 


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Les Commentaires

6
Avatar de Ysia
26 mars 2013 à 20h03
Ysia
Je trouve ça choquant que ces vidéos provoquent autant de réactions négatives (pas sur celle là mais sur des précédentes ça avait été violent), hier encore je suis tombé sur un forum d'un site de Jeux vidéos, je n'y était pas depuis 5 minutes que j'ai lu que "les féministes s'excitent pour des trucs futiles".

Quand je pense qu'à notre époque il y a encore des "mâles" qui ne jurent que par leur testostérone et pour qui la femme est une cruche en talon.
C'est clair, je comprend pas comment les gens peuvent s'exiter de la sorte face à ses vidéo, tant de haine ça me dépasse
Cette fille a beaucoup de courage de continuer ses vidéos, perso rien que de lire certains commentaires ça m'attriste et en même temps ça me rend folle de rage.
Heureusement qu'il existe des sites comme Madmoizelle pour de temps en temps se retrouver entre filles sur internet  
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