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Société

L’interdiction de l’avortement en Irlande met la vie des femmes en danger

Esther a échangé avec une infirmière irlandaise qui travaille en soins intensifs. Cette dernière a rédigé une lettre qui expose son point de vue, traduite ci-dessous.

Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.

Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des Sénégalaises, puis avec des libanaises, et sa troisième étape l’a menée en Irlande du Nord (Royaume Uni) et en Irlande ! Elle y réalise interviews, portraits, reportages, publiés sur madmoiZelle au fur et à mesure : voici le premier.

Tu peux aussi suivre au jour le jour ses pérégrinations sur les comptes Instagram @madmoizelledotcom et @meunieresther, avant de les retrouver ici bientôt !

Debbie Twomey est infirmière en soins intensifs dans un hôpital irlandais. Elle livre ici son témoignage sous forme d’une lettre, ponctuée de témoignages que l’on peut trouver par dizaines sur la page Facebook In her shoes – Women of the Eighth, qui publie chaque jour les histoires des femmes ayant été touchées par l’interdiction de l’avortement en Irlande d’une manière ou d’une autre.

Ce 25 mai 2018, un référendum se tiendra en Irlande pour abroger le 8ème amendement de la Constitution.

En effet, celui-ci consacre « le droit à la vie des enfants à naître », considéré égal à celui de la mère. Dans les faits, ça veut dire que l’avortement ne peut être légal que s’il y a un « risque sérieux et réel » pour la vie de la mère.

Voter pour le « oui » viserait à remplacer cette disposition par la suivante :

« La loi peut prévoir les conditions de régulation des interruptions de grossesses. »

En VO dans le texte : « Provision may be made by law for the regulation of termination of pregnancy. »

Cela permettrait de faire évoluer la loi concernant l’avortement en Irlande, sans définir immédiatement en quels termes. L’enjeu de ce référendum est donc d’obtenir la possibilité de légiférer différemment sur la question de l’avortement, ce qui n’est pas permis aujourd’hui par la Constitution.

La lettre de Debbie Twomey, infirmière

J’ai décidé de faire entendre ma voix dans le débat autour du retrait du 8ème amendement en tant que mère, en tant que femme ayant enduré une fausse couche, mais par dessus tout en tant qu’infirmière dans un service de soins intensifs.

J’ai commencé ma formation en tant qu’infirmière en 1999 et depuis le début, on nous a dit de traiter les patient·es comme des membres de notre famille ou des ami·es. À titre personnel, je tiens à m’occuper des femmes enceintes. Parce ce que ça pourrait être moi, dans ce lit.

Pendant des années, j’ai vu de quelles manières le 8ème amendement affectait mes patient·es, bien au-delà du choix d’avoir ou non un enfant.

Faire une fausse couche en Irlande, sous le 8ème amendement, peut mettre votre vie en danger

J’ai vu des femmes incapables de tisser des liens avec leur nouveau-né parce qu’elles étaient trop malades.

J’ai aussi vu des partenaires et des parents ramener un tout petit bébé à la maison, alors qu’ils devaient s’organiser pour les funérailles de la mère.

J’ai vu des femmes s’accrocher à la vie suite à un choc septique déclenché par un embryon, en train de mourir dans leur ventre et sans aucune chance de survie une fois né… mais sans que les médecins ne puissent intervenir car le cœur battait toujours.

J’ai vu des femmes utilisées comme des incubateurs sur pattes, forcées de poursuivre une grossesse non viable qui n’est ni plus ni moins qu’un nœud pendant autour de leur cou.

« Il y a 8 ans, j’étais enceinte. Tout allait bien et selon mon échographie de la 16ème semaine j’avais deux jumeaux en parfaite santé. Moins de deux semaines plus tard, j’ai eu de grosses pertes accompagnées de douleur.

Je suis allée à l’hôpital, où l’on m’a prescrit des antibiotiques en m’assurant que tout allait bien. Mais le lendemain, j’ai commencé à saigner, je me suis de nouveau précipitée aux urgences. On m’a dit que j’étais en train de perdre mes bébés. […]

On m’a mise sous antibiotiques pour éviter toute infection, puisque mon col de l’utérus était désormais ouvert. Le lendemain, j’ai été envoyée en clinique prénatale : les bébés s’accrochaient à la vie en dépit du fait qu’il n’y avait plus de liquide amniotique autour d’eux. On nous a dit que leurs cœurs devraient bientôt s’arrêter, qu’il fallait simplement laisser la nature suivre son cours. Je me souviens d’un médecin mentionnant que dans un autre pays, on pourrait nous donner un médicament qui accélèrerait la procédure.

Cette situation s’est poursuivie pendant 6 jours, et le cœur de l’un des bébés s’est finalement arrêté. Je l’ai expulsé, mais le cœur de l’autre continuait de battre, impossible de retirer le placenta sans lui porter préjudice.

On m’a laissée avec le placenta du premier dans l’utérus, en retirant tous les antibiotiques afin de ne pas masquer un choc septique éventuel. Il fallait encore attendre.

7 jours d’échographies. 7 jours de battements de cœur. 7 jours d’examens et de prises de sang. 7 jours d’attente. […]

Laisser un placenta dans l’utérus d’une femme après accouchement peut provoquer des infections. Les médecins savaient ça, mais ils avaient les mains liées par le 8ème amendement, parce que le cœur de mon fœtus de 19 semaines battait toujours. Même s’il n’avait aucune chance de survie une fois né, alors que les risques que ma santé se détériore étaient quasiment certaines.

Ce dimanche soir, je me sentais bien. Soudain j’ai commencé à vomir, à trembler de manière incontrôlée. Un choc septique se produit en un éclair.

Finalement, ma vie était directement en danger donc les médecins pouvaient agir. J’ai été amenée immédiatement en salle de travail, mise sous antibiotiques. Mes reins ont commencé à dysfonctionner. Mes poumons se sont emplis de fluide. Je souffrais horriblement, essayant de respirer alors que je devais donner naissance à un fœtus qui allait mourir. […]

On m’a précipitée en soin intensifs aussitôt le fœtus expulsé où une équipe de médecins s’est battue pour me maintenir en vie. […] J’ai passé encore deux semaines de plus à l’hôpital. […] »

Et au-delà de votre vie, on s’acharnera sur celle d’un bébé pourtant incapable de vivre

J’ai entendu une mère, ayant accouché d’un bébé auquel on avait diagnostiqué une malformation fœtale fatale, dire que c’était une décision égoïste que d’avoir amené le bébé à naître. Son petit garçon a vécu 8 mois, qu’il a passés intégralement à l’hôpital.

Il a fait 3 arrêts cardiaques

qui ont conduit à des côtes fracturées à chaque fois. Les médecins ne trouvaient pas toujours de veines pour lui administrer des médicaments en urgence, et devaient donc percer un trou dans l’os pour les infuser directement de cette manière.

Comment peut-on dire qu’un bébé devrait naître pour vivre une existence comme celle-ci, qui n’est certainement pas une vie ?

Irlandaises malades, ne tombez pas enceinte, au risque de vous voir retirer votre traitement

Il y a de nombreuses maladies nécessitant un traitement incompatible avec une grossesse, puisque ce dernier nuirait au fœtus. C’est le cas pour des pathologies telles que l’épilepsie, la mucoviscidose, ou même le cancer.

Sous le 8ème amendement, ces traitements doivent être arrêtés sitôt que la personne tombe enceinte. Avec des conséquences sérieuses pour la santé des personnes concernées.

Par exemple dans le cas d’une épilepsie sévère, arrêter les médicaments anti-crise pourrait donner lieu à des crises incontrôlées mettant en danger la vie de la femme enceinte.

À cause de cet amendement, j’ai vu une jeune fille atteinte de mucoviscidose mourir après une défaillance de sa contraception. Sa maladie rendait le voyage impossible pour elle mais sa vie n’était pas considérée suffisamment en danger pour avoir recours à un avortement dans le cadre de la constitution ici, en Irlande.

J’ai vu des personnes atteintes de cancer se voir retirer des traitements suite à une grossesse, comme ce fut le cas pour Michelle Harte dont la situation a été médiatisée. Michelle était en rémission d’un cancer et avait commencé un essai clinique dont elle a été forcée de se retirer après être tombée enceinte.

Elle a dû attendre deux semaines avant que le comité d’éthique de l’hôpital ne prenne la décision de ne pas lui administrer un avortement puisque sa vie n’était pas immédiatement en danger.

Et elle a dû attendre trois semaines supplémentaires afin que l’avortement soit organisé en Angleterre. Pendant tout ce temps, elle ne recevait pas de traitement contre son cancer.

Elle est décédée quelques mois plus tard.

« J’étais au milieu de ma vingtaine, heureuse, avec une famille aimante. Ma fantastique soeur était enceinte et nous étions tous très excités à l’approche de la naissance.

Cependant, alors qu’il restait deux mois avant le terme, le bébé est né. Prématuré, mais en bonne santé. Mais à la suite de la naissance, j’ai dû assister impuissante à la mort de ma sœur, pendant trois semaines. Je ne me suis JAMAIS remise de ça.

Trois semaines plus tard j’ai découvert que j’étais enceinte. […] Mais cinq semaines plus tard, mon médecin traitant m’a également appelée pour m’informer qu’on m’avait diagnostiqué un cancer du col de l’utérus. […]

Ma première pensée est allée à mes parents. Perdre une deuxième fille les tuerait tous les deux. J’ai décidé que je voulais vivre.

Éventuellement avoir des enfants dans le futur. Pour l’heure nous avions un enfant sans mère dans notre famille, en avoir un deuxième serait insupportable pour quiconque.

J’ai pris l’avion pour l’Angleterre pour avorter, mener cette bataille et recevoir un traitement. […] Si je me suis remise du cancer, je ne me remettrai jamais de la perte de ma sœur, du fait d’avoir dû m’extrader à l’étranger pour pouvoir SAUVER MA VIE.

J’ai toujours de la peine pour cette grossesse avortée, mais j’ai fait le bon choix. Je ne suis pas enterrée à côté de ma sœur. Je suis en vie. […] »

Les personnes souffrant d’un handicap sont davantage discriminées en termes d’accès à l’avortement

Ce type de discriminations est encore accentué pour les 143 000 filles, femmes, personnes transgenres, intersexes et non binaires qui ont un handicap en Irlande. Pour beaucoup d’entre elles et eux, tomber enceinte signifierait devoir arrêter des traitements pourtant vitaux et/ou mettre leurs corps à l’épreuve au point que des séquelles à vie pourrait en résulter, voire la mort.

Et si avorter à l’étranger peut être une option, ce n’est pas envisageable pour beaucoup de ces personnes, justement à cause de leur condition.

Infirmière en Irlande, je suis en colère

En tant qu’infirmière, il est tellement difficile de ne rien pouvoir faire pour soigner une femme enceinte à cause du 8ème amendement.

Ce qui me met en colère c’est aussi le nombre d’absurdités et de mensonges que j’ai vu propagés par la campagne du « non ».

L’un est que l’avortement serait cruel, une torture pour le fœtus qui sentirait ce qu’il se passe. La vérité, c’est que le fœtus n’a pas un cerveau suffisamment développé ni un système nerveux qui lui permette de ressentir la douleur jusqu’à environ 24 semaines, ce qui a été étudié par le Royal College of Obstetrician and Gynaecologists.

C’est d’autant plus absurde d’utiliser cet argument qu’en Angleterre et au Pays de Galles, 92% des avortements ont lieu avant 13 semaines de gestation et 81% de ceux-ci avant même 10 semaines en 2016 selon des données du ministère de la Santé.

Pour celles qui vont au-delà, comment ne pas avoir de compassion et d’empathie ? Si elles font ce choix d’avoir recours à l’avortement à 18, 20, 24 semaines, c’est que la situation est dramatique, que ce soit dû à la santé du fœtus lui-même, à la leur, ou à d’autres conditions qui rendent tout simplement impossible le fait d’avoir un bébé.

« 1992. Une grossesse que j’avais longuement attendue, qui ne s’est jamais reproduite, se termine par une tragédie.

J’ai perdu les eaux à 18 semaines. Le bébé n’avait aucune chance de survie. Trop jeune pour respirer, trop jeune pour le sauver. L’équipe médicale a été adorable, mais ils ne pouvaient pas légalement déclencher l’accouchement.

J’ai donc patienté à la maternité, pendant deux semaines complètes, en attendant qu’il arrive. Il n’a jamais respiré.

Chaque jour de cette attente fut une angoisse. Ça a laissé des cicatrices qui ne s’effaceront jamais.

Ne laissez pas ça arriver à vos filles, vos sœurs, vos amies. Votez Oui. S’il vous plaît, votez Oui. »

Je pourrais continuer longtemps, vous parler du danger encore accru pour les adolescentes de mettre un enfant au monde alors que leur corps n’est pas formé et des répercussions que ça peut avoir pour la santé.

Vous parler des femmes qui tombent enceintes après un viol, et qui ont besoin d’accéder à l’avortement sur demande car beaucoup d’entre elles ne peuvent pas prouver suffisamment vite qu’il s’agissait d’un viol, d’ailleurs 65% d’entre elles n’ont même pas rapporté l’agression aux autorités.

Tous ces cas, qui peuvent paraître exceptionnels, justifient la nécessité d’abroger le 8ème amendement. Et en réalité, ne serait-ce qu’un seul de ces cas devrait être suffisant pour légiférer au plus vite.

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Les Commentaires

11
Avatar de Freehug
28 septembre 2018 à 16h09
Freehug
C'est très dur à lire comme témoignages. Et ça démontre une fois de plus l'hypocrisie des anti-choix (pro-vie, mes fesses, et la vie des femmes ?
3
Voir les 11 commentaires

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