Le 2 décembre 2017, une étudiante du lycée militaire de Saint-Cyr vous a adressé une lettre, Monsieur le Président.
Elle exprimait son dégoût, son désarroi d’avoir eu à subir tant d’insultes et d’humiliations pour avoir simplement voulu devenir officière de l’armée de Terre.
Cette étudiante, qui aspirait à servir la France, regrettait l’accueil qui lui a été réservé au sein de cet établissement, en raison de son genre :
« J’ai honte d’avoir voulu aller dans une armée qui n’est pas prête à recevoir des femmes. J’ai appris que porter un vagin ruine une carrière, une vocation, une vie. »
La honte et l’inacceptable se retrouvent placardés en Une de Libération, ce vendredi 23 mars. La honte, c’est cette citation, insolente et désolante : « les filles sont le diable », une tache d’obscurantisme affligeant.
L’inacceptable, c’est cette caricature douloureusement révélatrice : trois officiers de l’armée française, en bleu, blanc et rouge, imitent les fameux « singes de la sagesse », yeux, oreilles et bouche couvertes : « Ne pas voir le Mal, ne pas entendre le Mal, ne pas dire le Mal ».
Mais le mal est fait, même si on ne le voit pas, même s’il est perpétré dans les couloirs d’un internat, même si on n’en parle pas.
« Le Mal » que les officiers ne voient pas, n’entendent pas, ne dénoncent pas, c’est une culture misogyne profondément ancrée dans les moeurs et les « traditions » que l’on se passe de génération en génération de « tradis ».
L’École de la République, « une machine à broyer les femmes » ?
« Une machine à broyer les femmes » titre Libération, à propos de l’ambiance qui règne au lycée de Saint-Cyr. Plusieurs témoignages de femmes et d’hommes viennent corroborer le gâchis des talents et des ambitions qui se pressent aux portes de l’une des plus prestigieuses institutions de l’État.
Et comme au moment de l’affaire Weinstein, la surprise fait défaut : l’on s’étonne peu d’apprendre que l’entre-soi militaire suinte le sexisme et le virilisme.
Je m’étonnerais néanmoins que l’on tolère encore cette situation. Faute d’action concrète, c’est cette culture qui continue d’être transmise de génération en génération, auprès des futures élites de l’Etat-Major français :
« En réalité, selon eux*, les filles ne devraient tout simplement pas être là.
Les femmes sont des êtres merveilleux, doux et gentils, mais mieux à la maison à faire des enfants. »
« Ils n’ont aucune vision complexe du monde, assène un de leurs* anciens professeurs. La sensualité, la sexualité, ils ne connaissent pas. Pour certains, une fille c’est une sœur ou une maman. »
En clair, elles n’ont rien à faire là. »
*référence aux « tradis », ces garçons qui verrouillent l’ambiance du lycée de Saint-Cyr.
La résistance viriliste s’organise : n’en soyez pas complice
Je travaille sur les violences sexistes et sexuelles depuis plus de cinq ans. Mais la lecture de l’enquête réalisée par Libération, publiée ce vendredi 23 mars, m’a fait l’effet d’un coup de poing dans l’estomac.
Ce ne sont pas les derniers sursauts de la bête à l’agonie, c’est au contraire la démonstration que les barons d’une idéologie profondément misogyne organisent savamment leur résistance, la transmission de leurs valeurs.
Ce serait une erreur, que de considérer l’ambiance hostile aux femmes décrite au sein du lycée militaire de Saint-Cyr comme une anomalie, une exception au progrès qui semble entraîner la société française dans son ensemble au moins depuis l’affaire Weinstein : la nécessité d’agir concrètement pour l’égalité fait son chemin dans les consciences.
Mais l’exemple de ce lycée militaire témoigne d’une autre réalité : celles des bastions du pouvoir viriliste, où la résistance s’organise et resserre ses rangs.
Les femmes ne sont pas les bienvenues à l’armée, c’est ce que dénonce Mathilde dans la lettre qu’elle vous avait adressé, Monsieur le Président. Cette idée devrait vous alerter, elle devrait vous être insupportable.
Des citoyennes de notre République une et indivisible sont volontairement, sciemment découragées
à poursuivre leurs ambitions et leurs carrières au sein de l’armée française.
C’est injuste. Le traitement qu’ont subi ces femmes est profondément injuste.
Monsieur le Président, la lutte contre le sexisme est une bataille culturelle
Nous sommes au coeur d’une bataille culturelle contre le sexisme.
Ces témoignages sur le lycée Saint-Cyr, et ceux qui ne manqueront pas d’émerger à propos de l’École Supérieur militaire de Saint-Cyr ou les autres lycées militaires, appellent une réponse ferme de votre part, Monsieur le Président.
Si vous avez réellement l’ambition de faire de la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause nationale du quinquennat, alors le chef des armées que vous êtes ne peut laisser ces témoignages sans réponse.
Il est important que vous, Monsieur le Président, en qualité de chef des armées, vous condamniez ouvertement et fermement ces agissements.
Ce n’est pas une guerre que nous entendons mener contre l’armée française, ni contre son élite, c’est une guerre contre le sexisme et la misogynie que nous entendons gagner avec toutes celles et ceux qui refusent d’être associé·es à cet ordre ancien, à cette idéologie profondément contraire aux valeurs d’égalité et de fraternité chères à la République :
« Selon des sources internes, des croix gammées auraient été retrouvées dessinées à la craie sur certaines chaises, avec l’inscription Deutschland über alles (un extrait de l’hymne allemand utilisé par les nazis).
Le 20 novembre dernier, jour de la mort de Franco, des témoins rapportent les avoir entendus louer les « valeurs » du dictateur espagnol. Sur Facebook, les tradis « likent » des groupes qui militent contre l’avortement.
Ces jeunes adultes, de 17 à 21 ans, sont nostalgiques « de la religion d’Etat, des colonies… » observe un de leurs anciens professeurs : « Et ils pensent qu’accorder des congés paternité, c’est contre-nature. »
Ah, elle est belle, la future élite de l’armée française… C’est ça, les valeurs que cette élite est censée incarner, défendre, transmettre ?
Insulter, harceler, décourager les jeunes femmes qui aspirent à défendre la Patrie, embrasser des carrières militaires au service de la Nation Française — que sommes tous et toutes censées incarner, est-ce compatible avec les valeurs de la République ?
Nous ne gagnerons pas cette guerre si vous refusez de la déclarer
Ce que le dossier d’enquête publié par Libération fait émerger au grand jour, c’est la réalité d’une culture misogyne, homophobe, raciste, profondément enracinée dans les lieux où se forme l’élite de l’armée française.
Ce n’est pas une bataille que l’on pourra mener à coups de hashtags sur les réseaux sociaux, ni par tribunes interposées.
La culture des armées n’est pas brassée par le reste de la population, elle n’est pas renouvelée par l’évolution progressive des consciences tant qu’elle reste aux mains d’une élite qui tient à ces valeurs, qui en fait ses valeurs, et le revendique.
De toutes les publications émises par Libération ce vendredi 23 mars, cette citation me glace le sang, Monsieur le Président :
« Le colonel a fortement recommandé à la compagnie d’arrêter de perdre du temps à témoigner auprès des journalistes et de nous concentrer uniquement sur nos études », raconte un témoin de la scène.
« Il a ensuite comparé le futur article de Libération aux offensives allemandes de 1918.
En nous rappelant qu’à la fin de cette guerre, c’était les soldats français et leur solidarité exemplaire qui avaient fini par triompher, complète une autre source, présente dans les rangs ce matin-là.
Nous sommes la Nation Française, pour reprendre vos mots, Monsieur le Président. Cette expression a bien fait rire la Toile, mais elle n’en restait pas moins une belle promesse, mise à mal par chaque nouvelle enquête, chaque nouveau rappel que les femmes ne sont toujours pas les bienvenues dans diverses sphères publiques, politiques, militaires.
Les Marie, Mathilde, Coralie d’hier et de demain devraient pouvoir fièrement défendre la Nation Française, être et revendiquer leur appartenance à ce corps qui promettait pourtant de les accueillir « sans distinction d’origine, de race ou de religion », aux termes du Premier article de notre Constitution, dont vous êtes également le garant, et qui dispose en son deuxième alinéa:
« La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »
L’Etat-Major Français est-il au-dessus de nos principes constitutionnels ?
Nous ne gagnerons pas cette guerre si vous refusez de la déclarer, Monsieur le Président.
En attendant, la bataille fait rage, et ses victimes brisent enfin le silence.
À lire aussi : Marlène Schiappa réagit à l’enquête de Libération révélant l’hallucinante misogynie au lycée militaire de Saint-Cyr
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Les Commentaires
Quand j'avais 19 ans, j'ai suivi une préparation militaire Marine Nationale qui m'a beaucoup apportée. Dès le début de la prépa, on nous a annoncé sur un ton très dur : ici il n'y a pas d'homme, il n'y a pas de femme, il n'y a que des marins.
Pour dormir lors des périodes sur bases, nous étions séparés, dans des ailes distinctes avec interdictions d'aller chez les autres. Et avec ça on ne rigolait pas !
Ensuite j'ai fait mes 5 ans d'engagement à servir la défense pendant les vacances d'été (oui, pas 3 mais 5 ans ! Quelle chance pour payer ses études ^^) dans un état major avec surtout des hommes et en poste embarquée. A aucun moment quelqu'un a eu une réflexion ou un geste déplacé, au contraire, les hommes plus vieux étaient assez protecteurs et les plus jeunes savaient ce qu'ils risquaient s'ils osaient mal se comporter. J'y ai appris le métier de secrétaire militaire et j'ai adoré travailler pour une grande cause, surtout que j'étais appliquée et que l'on m'a confié des choses intéressantes.
J'ai terminé mes études et je suis arrivée dans la fonction publique territoriale où je me suis prise comme une claque, le harcèlement et les remarques sexistes.
Maintenant : 1) c'était pendant une PMM puis une période de réserve 2) j'étais chez les secrétaires pas les fusiliers 3) à une période déjà il y a 10 ans où on se demandait si les armes étaient réellement ouvertes aux femmes et s'il n'y avait pas mieux à faire comme rendre mixte les sous-marins 4) où il venait d'y avoir des histoires et que l'Etat Major n'avait vraiment pas envie de laisser passer des agressions au risque de faire fuir des candidates prêtes à s'engager 5) c'était un milieu que je connaissais bien avant d'y arriver.