Un nouveau ministre du gouvernement est accusé de viol, cela ne surprend hélas plus personne. Pourtant, le dernier cas comporte un fait moins habituel : Damien Abad a un handicap physique. Très éloigné de la figure commune du violeur, l’affaire suscite mauvaises blagues et incompréhension, et devient un cas d’école de validisme.
Pour rappel, le ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées est accusé de viols par deux femmes, des faits qui remonteraient à 2010 et 2011.
Un révélateur du sexisme et du validisme
Le viol est traditionnellement traité comme une affaire de valides.
Tenues hors du champ de la sexualité, les femmes handicapées peinent déjà à faire reconnaître les violences sexuelles accrues dont-elles sont victimes. Alors un homme handicapé en position de violeur ? Ça semble inconcevable, et pourtant.
Mais attention : nul doute que si son handicap avait été psychique, il aurait été désigné coupable, traité de « fou furieux » incontrôlable, et autres insultes psychophobes, car c’est exactement l’image fantasmée et pathologisée du violeur.
Nous sommes ici précisément à l’intersection du sexisme et du validisme.
La culture du viol, c’est le système de pensée qui minimise et tient à distance la représentation du violeur, entretenant l’image d’une figure monstrueuse, exceptionnelle, pour que jamais l’homme moyen n’y soit associé.
Un ressort essentiel de cette culture repose sur l’idée que le viol serait indissociable d’une violence physique. Alors comment Damien Abad, physiquement dépendant pour des gestes essentiels, pourrait-il contraindre des femmes à avoir des relations sexuelles ?
L’opinion publique tranche rapidement : c’est impossible. Lui-même en fait sa principale défense, prétendant que les faits reprochés lui sont « matériellement impossibles ». Son aide-soignante viendra même témoigner absurdement qu’il est incapable de lacer ses chaussures.
Mais la contrainte morale est une arme tout aussi puissante, qu’elle soit manipulation, sidération, chantage, menace, mais aussi soumission chimique, évoquée dans l’affaire Abad.
Culture du viol et masculinisme chez les hommes handicapés
Pour préserver l’impunité des hommes, on rejette la faute sur la victime, et au-delà des poncifs habituels (elle agit par cupidité, vengeance, calcul…), le handicap remet une pièce dans la machine à victim blaming. Accuser un homme handicapé devient rapidement « profiter de sa faiblesse », et la victime devient bourreau.
Et dans l’esprit des hommes handis, que se passe-t-il ? Qui peut croire qu’ils résistent à l’aubaine que constitue cet angle mort ?
Inconsciemment d’abord. Aux yeux d’un homme, le violeur c’est toujours l’autre, chacun se voit comme un « mec bien » inoffensif.
Dans cet imaginaire, l’homme handi bénéficie d’un supplément d’innocence présumée et lui-même y croit : « Même si je voulais, je ne pourrais pas violer ». Mais nombreux sont les témoignages d’agressions par des hommes handicapés, campés dans une posture de bon copain, incapables de remise en question. De même qu’une majorité d’hommes dominants sûrs d’eux, ils chérissent leur impunité et savent en profiter.
Comment une personne handicapée peut-elle être en position de pouvoir ? De multiples façons. La situation de dépendance physique peut paradoxalement être utilisée pour renverser les forces. Quand un homme handicapé emploie une aide à domicile, souvent féminine, précaire et racisée, de quel côté se trouve réellement la domination ? Ajoutons le devoir admis, comme un sacerdoce, d’aider une personne « dans le besoin »…
Fréquemment éloignées du genre, faute de rentrer dans les normes fonctionnelles de la masculinité ou de la féminité, les personnes handis ont à lutter pour revendiquer appartenir à un genre.
Au risque de la caricature, de nombreux hommes handicapés prennent malheureusement le raccourci du masculinisme brutal. D’handis dominés par les valides, ils se vengent en s’imposant hommes dominant les femmes.
Balayons enfin le mythe de la misère sexuelle, cette machine à incels qui accorderait une circonstance atténuante aux violeurs handicapés. Bien sûr, le handicap complique souvent l’accès à une vie sexuelle libre et épanouie. Et l’on doit parler des mécanismes sous-jacents, mais il est intolérable de parler d’un droit fondamental. Nos sexualités ne sont pas des exceptions.
Il apparaît urgent de s’emparer du thème de la culture du viol chez les hommes handicapés, mais également plus largement de l’intersection entre genres, sexualités et handicaps.
Que sont vraiment ces normes de genre qui nous excluent ? Notre épanouissement doit-il passer par la reproduction de ces outils d’oppression ? Responsabilisons plutôt nos positions marginales, et profitons d’avoir tout à construire pour le faire sur des bases plus saines.
Retrouvez la militante et blogueuse Céline Extenso sur Twitter et sur son blog.
Retrouvez aussi :
- L’association handi-féministe Les Dévalideuses qui regroupe et traduit un grand nombre de ressources en français sur les enjeux féministes, la culture crip, le validisme.
- L’intervention « Comprendre et lutter contre le validisme » par Cécile Morin, porte-parole du CHLEE (Collectif Lutte et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation)
- Je vais m’arranger, le livre de Marina Carlos pour comprendre le validisme systémique et son impact sur le quotidien.
À lire aussi : La question du validisme sera-t-elle prise au sérieux par les candidats à la présidentielle 2022 ?
Crédit photo : Marcus Aurelius via Pexels
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Les Commentaires
Par contre un vrai travail devrait être fait sur la lutte contre le proxénétisme, sur des sous donnés à des assos pour aider à sortir les gens de ce milieux, sur une campagne de donner des droits aux étrangères, sur la sensibilisation des flics lorsque des TDS portent plainte, sur de l'éducation au consentement des mecs, etc.
Et surtout sur plus de droits pour les personnes précaires. On est beaucoup à choisir le TDS quand on a pas d'argent et qu'on doit attendre que l'état nous donne (je suis en attente de l'aah, j'ai très peu de moyens avec le rsa, le TDS malgré mon handicap c'est un moyen pour survivre, et comme j'ai déjà vécu de nombreux traumas sexuels, un peu plus bon...). Après je le pratique en ligne donc c'est un peu différent car je fais pas face directement aux clients. C'est plus ou moins déclarable d'ailleurs.
Bref pour moi l'état prend pas le soucis du bon côté.
Je fais un parallèle avec la drogue. Si tu luttes contre les clients, les petits revendeurs, tu prends pas le soucis à la racine. C'est aux gros derrière les trafics qu'il faut s'attaquer.