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Politique

La question du validisme sera-t-elle prise au sérieux par les candidats à la présidentielle 2022 ?

La mobilisation pour l’individualisation de l’Allocation adulte handicapé a rendu particulièrement visible le sujet du validisme. Harriet, militante des Dévalideuses, nous explique comment la question du handicap devrait être abordée dans la campagne de 2022.

À l’approche du premier tour de l’élection présidentielle de 2022, nous avons décidé d’interroger des associations et des militantes féministes peu entendues dans le cadre de la campagne.

Elles ont pourtant des critiques à émettre sur les cinq ans de mandature d’Emmanuel Macron, mais aussi plus globalement une analyse sur la façon dont les candidats et candidates décident ou non de s’emparer de certains sujets.

Celui du handicap, par exemple, est porté par Les Dévalideuses qui articule cet enjeu à travers une approche féministe : « On va faire de la pédagogie, des explications de certains termes, définir la notion de validisme », résume Harriet, l’une des membres de l’association créée en 2019 — après le constat du manque de visibilité des femmes handicapées lors de la première marche féministe de Nous Toutes.

Les Dévalideuses veulent « changer le discours ambiant en France — qui est centré autour d’une vision du handicap très misérabiliste, ou à l’inverse, très héroïsante ».

L’association travaille notamment à traduire et à rendre accessible la crip culture, concept encore peu connu en France, porté par des personnes handicapées qui se réapproprient le mot crip issu de cripple qui signifie « estropié », comme certaines personnes gays ou les lesbiennes se réapproprient les insultes « pédé » ou « gouine ».

Ce mouvement radical cherche à faire changer le regard porté sur le handicap et à repenser l’idée de norme. II s’inscrit dans une démarche intersectionnelle, comme le rappelle Harriet :  

« Avec les Dévalideuses, on a des choses à dire en dehors des questions de handicap, on a un point de vue sur plein d’autres questions car la notion de handicap vient aussi questionner le féminisme, le capitalisme… »

Cinq ans de Macron et pas mal de déceptions

Sur les cinq ans de présidence d’Emmanuel Macron, le bilan est peu satisfaisant pour Les Dévalideuses. « Le handicap, comme les violences faites aux femmes, ça devait être une priorité du quinquennat, avec les preuves qu’on a eu : on en a beaucoup parlé effectivement, mais après, dans le pragmatique, le bilan est un peu plus mitigé », résume Harriet. 

« Sur la question du handicap, beaucoup de problèmes ont été soulevés autour de la scolarisation et de l’emploi. Concernant la scolarisation, il y a eu des grèves constantes tout le long de l’année des AESH, les accompagnantes des élèves en situation de handicap, pour dénoncer leurs conditions de travail, la précarité dans laquelle elles exercent leur travail.

En France, il y a un accueil des élèves qui est fait certes, tant bien que mal — mais on sait que ce sont des élèves qui subissent des discriminations, qui ont du mal à faire valoir leurs droits, leurs besoins d’aménagement, parfois du fait soit des équipes enseignantes, parfois même des autres parents d’élèves, et ça, en toute impunité. » 

Harriet rappelle le cas de Julie, étudiante à l’Université Paris-Descartes, dont le harcèlement et les violences subies de la part de l’université ont fait l’objet d’un article de Mediapart. En raison de son handicap, l’étudiante demande des aménagements pour passer ses examens.

« Tout ça se passe dans une quasi impunité, alors que dans le cas de Julie, il y a énormément de preuves. On peut supposer que pour la plupart des étudiants et des élèves handicapés, c’est extrêmement difficile de faire valoir leurs droits. »

Côté emploi, des initiatives pour favoriser l’inclusion des personnes handicapées dans le monde de l’entreprise ont eu lieu, mais elles sont loin d’être convaincantes pour Les Dévalideuses. 

« On a vu fleurir des campagnes de sensibilisation, plein de choses de type « voyons les personnes avant le handicap », pleines de bons sentiments mais elles ne changent rien aux obstacles systémiques auxquels on fait face. »

Harriet, des Dévalideuses

Permettre à une personne handicapée de rejoindre une entreprise pour observer les tâches et les missions d’un salarié, c’est possible : cela s’appelle le DuoDay, une initiative instaurée en 2018 en France, sous la houlette de la Secrétaire d’État chargée des personnes Handicapées Sophie Cluzel.

Cela dure, comme son nom l’indique, une journée, et ressemble à peu de choses près à une journée de stage de troisième… sauf que les bénéficiaires du dispositif sont bien des adultes. Pour Les Dévalideuses, c’est surtout un exemple parfait de la mise en scène infantilisante des personnes handicapées dans le monde du travail, et non une solution pérenne.

« On est dans un contexte de chômage massif, sans vraiment de solution pragmatique proposées ; on a vu fleurir des campagnes de sensibilisation, plein de choses de type “voyons les personnes avant le handicap”, pleines de bons sentiments mais elles ne changent rien aux obstacles systémiques auxquels on fait face qui sont de l’ordre du refus des aménagements. »

En témoigne la campagne gouvernementale « Changer de regard » révélée en octobre qui malgré ses bons sentiments a une portée très limitée.

https://www.youtube.com/watch?v=WZotCpghzOg

Ces questions sont symptomatiques d’une « obsession de l’emploi » pour Harriet : 

« Cela fait un peu abstraction de toutes les personnes qui ne peuvent pas travailler, qui ne pourront pas travailler même dans les meilleures conditions possibles.

On est dans un système où pour vivre décemment il faut être capable de travailler 35 heures par semaine, alors que la plupart des transports sont très peu accessibles. Il y a beaucoup de choses de dites, très peu de choses de faites.

Le processus d’accès aux ressources est toujours aussi difficile — je pense notamment à l’AAH, qui est toujours sous le seuil de pauvreté, alors que ça faisait partie des questions qui avaient été soulevées par Macron pendant sa campagne. »

L’AAH, un enjeu révélateur

La question de l’Allocation adulte handicapé et de sa déconjugalisation a été très visible ces derniers mois, notamment grâce à des mobilisations qui ont permis de « faire entendre au grand public les problématiques rencontrées par les personnes handicapées, en dehors des discours qu’on a l’habitude d’entendre », rappelle Harriet. 

En janvier 2021, une pétition sur le site du Sénat a recueilli plus de 100.000 signatures, permettant ainsi d’inscrire l’individualisation de l’AAH à l’agenda législatif.

Cette prestation sociale versée aux personnes handicapées en France vise à compenser l’inaccessibilité du monde du travail. D’un montant maximal de 902,70€, son calcul prend en compte les revenus du ou de la partenaire de l’allocataire : si une personne handicapée vit avec une personne qui travaille, elle verra son AAH diminuer, voire disparaître. Être bénéficiaire de l’AAH et en couple, c’est donc prendre le risque d’être dépendant financièrement.  

Alors que l’individualisation de l’AAH a fait consensus à gauche comme à droite, elle a rencontré l’opposition de la majorité et a donc été retoquée au profit d’un abattement forfaitaire sur le revenu du conjoint en décembre 2021.

« La déconjugalisation ça a été le gros combat qu’on a mené cette année, sur lequel on s’est beaucoup mobilisées, c’était toujours bloqué par des procédés législatifs questionnables notamment par le fait du gouvernement et par Sophie Cluzel, censée être la personne qui nous défend, et qui fait tout pour que cette loi ne passe pas, alors que c’est une loi qui fait l’unanimité à droite comme à gauche.

On a beaucoup parlé des conséquences que ça avait dans les couples, notamment des risques accrus pour les femmes et les minorités de genres dont on sait qu’elles sont plus à risques. »

Un lien direct sur la question de la lutte contre les violences faites aux femmes, grande cause du quinquennat, et un sujet qui n’échappe pas aux Dévalideuses. 

« On a eu un grenelle, on en a beaucoup parlé, c’était aussi une priorité, mais les moyens financiers n’ont pas été investis. Ce n’est toujours pas traité comme une urgence alors que c’est une urgence.

Les chiffres sur les féminicides n’ont pas diminué, le traitement des violences est toujours catastrophique, les places d’hébergements sont toujours trop rares, et on n’a toujours aucune proposition de ce qui est de l’éducation des plus jeunes, donc c’est un bilan plutôt mauvais. »

Harriet estime que cette question des violences faites aux femmes, et des droits des femmes en général, sera incontournable dans la campagne :

« C’est beaucoup trop important, beaucoup trop relayé, et c’est tant mieux. Le relais d »une parole comme celle de Sandrine Rousseau montre bien que ce sont des enjeux qui sont importants pour une part non négligeable de la population. »

Si elle craint une forme de backlash, les manifestations récentes lui donne un certain espoir :

« On l’a vu encore fin novembre, il y a beaucoup de mobilisation dans les rues, sur les réseaux pour parler des problématique du sexisme. Il y a une nouvelle génération qui arrive et qui va voter, je pense que c’est une question qu’on ne peut simplement pas ignorer. Le sujet va être abordé, la question, c’est comment ? »

Les personnes handicapées, un électorat comme un autre

Certains candidats et candidates sont venues au devant des Dévalideuses — preuve que l’association est identifiée comme interlocutrice. Une bonne nouvelle, certes, mais attention à ne pas se laisser berner par de bonnes intentions, souligne Harriet.

« Les solutions, on les connaît, sauf qu’on ne les applique pas. »

Harriet, des Dévalideuses

La réponse qui est faite aux politiques est qu’il n’y pas besoin de faire de nouvelles propositions mais plutôt de faire respecter les lois qui existent déjà, notamment sur l’accessibilité. Car la France n’a pas spécialement une bonne élève sur la scène internationale :

« La France a signé la convention relative au respect des droits des personnes handicapées depuis des années… mais on se fait régulièrement taper sur les doigts par l’ONU parce qu’on ne respecte pas cette convention. Les solutions, on les connaît, sauf qu’on ne les applique pas. »

Le constat est simple : pour garantir les droits des personnes handicapées, il n’y a pas de grandes mesures phares à annoncer, juste faire appliquer celles qui existent — « Du coup ça marche moins bien dans le cadre d’une campagne présidentielle, où il faut que ce soit nouveau, jamais fait avant », raille Harriet.

« Respecter ce qui existe déjà, c’est beaucoup moins vendeur. »

Harriet constate qu’on ne pense aux handicapés qu’en période de campagne, un électorat qu’il faut veiller à ne pas oublier, même si les promesses restent « floues » et « peu pertinentes » et émanent d’associations « près du handicap mais qui ne sont pas composées de concernés » :

« C’est toujours les petites phrases pour dire “on ne vous a pas oubliés”. Comme on fait avec les agriculteurs, comme on fait avec les retraités, pour que chaque groupe social puisse se dire “hey, il a pensé à moi”. »

Reste que les Dévalideuses ne souhaitent pas s’allier à un ou une candidate, même si le collectif assume son positionnement à gauche et ses idées anticapitalistes et antiracistes.

« On est là si on a besoin d’être sollicitées, mais on se méfie un peu de l’instrumentalisation. Si c’est juste nous demander des conseils sur des questions auxquelles on a déjà des réponses depuis des années, on ne va pas pouvoir faire grand-chose de plus que répéter encore que l’accessibilité ce n’est pas négligeable, tout comme le logement (car oui, on a besoin de vivre quelque part) ; que détricoter la loi Élan, ça a été une catastrophe, que ce serait bien de revenir dessus… »

Dans l’espace public comme dans les milieux féministes, penser l’accessibilité des espaces, des événements, ne pourra plus être une donnée négligeable. Et il en sera de même dans cette campagne, espère Harriet.

« On va faire en sorte que ces sujets soient incontournables cette année et pousser encore pour qu’on continue à en parler, pour qu’on continue à montrer que c’est quelque chose d’important.

On représente quand même 15% de la population, et le handicap c’est souvent une problématique qui n’est pas très abordé, et sur laquelle on fait l’impasse très facilement. »

Après la mobilisation sur l’individualisation de l’AAH, les Dévalideuses et d’autres collectifs anti-validisme comme le Collectif lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipation ne comptent pas relâcher la pression avec le ou la successeure de Macron. 

À lire aussi : Les violences sexuelles envers les femmes handicapées, un mal invisible

Crédit photo : Libération (capture Dailymotion)


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Les Commentaires

1
Avatar de Ariel du Pays Imaginaire
16 janvier 2022 à 14h01
Ariel du Pays Imaginaire
@Maëlle Le Corre : merci pour cet article qui analyse bien la situation. Petite question sur le chiffre qui est donné de 15% de la population qui a un handicap : d'où vient ce chiffre?
0
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