Nouveau coup de massue pour les droits des femmes et l’accès à l’IVG en Pologne. Mardi 14 mars 2023, la justice polonaise a condamné l’activiste Justyna Wydrzyńska à huit mois de travaux d’intérêt général pour avoir fourni des pilules abortives à une femme dans le besoin. Alors que la loi polonaise s’est considérablement durcie en matière d’avortement ces dernières années, cette décision est une première en Europe. Éclairage avec Amnesty International, qui mène une action d’urgence pour soutenir cette défenseure des droits humains.
Cinq questions à Lola Schulmann, Chargée de Plaidoyer Droits des femmes et minorités de genre chez Amnesty International France.
Madmoizelle. Quelle est la situation actuelle en Pologne concernant l’accès à l’avortement ?
Lola Schulmann. Aujourd’hui, la loi sur l’avortement en Pologne est l’une des plus restrictives d’Europe. Il y a eu récemment différentes décisions concrètes qui ont été prises pour restreindre toujours plus l’avortement.
Fin 2020, une décision de la Cour constitutionnelle a statué que l’avortement, pour des raisons de malformation grave mortelle du fœtus, était contraire à la Constitution. Cet arrêt est entré en vigueur début 2021. Pour résumer, cela fait que pratiquement 90 % des avortements légaux ne sont maintenant plus autorisés. Cela a des conséquences dramatiques pour les femmes polonaises. On compte aujourd’hui près de trois femmes qui ont perdu la vie parce qu’elles n’ont pas eu la possibilité d’avoir un avortement légal.
Qui est Justyna Wydrzyńska ?
C’est une militante féministe qui fait partie de l’ONG polonaise Abortion Dream Team, elle-même appartenant à Avortement Sans Frontières. Le travail de l’association est d’aider des femmes qui ne peuvent pas recourir à un avortement légal en Pologne à obtenir des médicaments, ou à se rendre à l’étranger pour avorter. C’est une ONG essentielle qui fournit aussi des informations à toutes les femmes qui souhaitent connaître leurs droits et les différentes possibilités qui s’offrent à elle.
Justyna, à travers son travail, a fourni des médicaments à une femme qui avait besoin de pilules abortives. La police a fait une perquisition au domicile de Justyna en juin 2021 et en novembre de la même année, le procureur a accusé Justyna d’avoir aidé à pratiquer un avortement et de posséder des médicaments sans autorisation. Son procès, qui a duré un an et demi, avec de nombreuses audiences repoussées, est arrivé à terme lundi 14 mars : elle est condamnée à huit mois de service d’intérêt général.
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Quel message cette condamnation envoie-t-elle ?
C’est une première en Europe qu’une femme soit condamnée pour avoir aidé une autre personne à avorter. Cela risque de dissuader des femmes d’aider d’autres femmes à l’avenir, ce qui est évidemment terrible, mais aussi de dissuader certaines femmes de se procurer des médicaments pour pouvoir avorter alors que, dans certains cas, leur grossesse peut les mettre en danger.
Cela envoie un message terrible, aux associations, aux femmes et de manière générale à l’ensemble de la société en Pologne, puisqu’on sait très bien que la question des droits sexuels et reproductifs a un impact beaucoup plus large sur la question des droits et des libertés dans le pays. Et, au niveau législatif, cela pourrait engendrer un dangereux précédent, ouvrir la voie à d’autres condamnations similaires et créer une jurisprudence en Pologne.
Quelles sont les prochaines étapes pour Amnesty International ?
Justyna n’aurait jamais dû se retrouver face à la justice. Nous demandons évidemment l’annulation de cette décision et poursuivrons notre action urgente. Les avocats de Justyna prévoient par ailleurs de faire appel de la décision. Pour les mois à venir, nous allons renforcer notre travail de soutien, pour que les femmes polonaises sachent qu’elles ne sont pas seules face à ces lois terribles. Les messages de solidarité sont extrêmement importants. Et nous continuerons également, de manière générale, en Pologne, à faire en sorte que soient révoquées ces lois contraires au droit humain.
Le cas de Justyna est-il révélateur des pressions qui pèsent sur les militantes ?
Oui, on le voit bien dans le contexte polonais : les différentes législations en place concernant l’accès à l’IVG montrent que c’est à la fois le droit à l’avortement qui est en péril, mais qu’il s’agit aussi d’une menace pesant sur l’ensemble des mouvements féministes dans le pays. Il y a une volonté très claire de la part du gouvernement polonais de viser cette solidarité qui existe dans le pays, c’est extrêmement inquiétant. Et à travers cela, ce sont l’ensemble des droits des femmes, des droits sexuels et reproductifs mais aussi des droits humains, des droits des personnes LGBTQI+, qui sont en jeu aujourd’hui.
Cet article est co-financé par le programme Erasmus+ de l’Union européenne.
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