De Lady Di, vous connaissez la traque par les paparazzis, la tromperie de son mari, ses querelles avec la famille Windsor, son carré brushé et bien sûr son décès tragique.
Mais dans quel état psychologique son statut d’oiseau à abattre l’a t-il menée ? Comment traverser l’existence quand on est un agneau dans une louverie ?
Pablo Larrain propose quelques réponses dans son uchronie Spencer, un drame précieux et singulier (écrit par le grand Steven Knight) qui obsède sitôt qu’on lui cède.
Spencer, la plongée effrayante dans la psyché de Lady Di
Diana conduit sa voiture seule. Dans la campagne anglaise, elle fend les champs sans aucun garde du corps ni même sans aucun chauffeur.
Perdue, dans la région mais aussi en elle-même, la jeune femme au costume à carreaux doit s’arrêter dans une auberge pour demander sa route.
Lorsqu’elle retrouve le chemin de la résidence secondaire des Windsor, c’est donc après la reine. Une faille au protocole qu’aucun résident de la maison n’entend passer sous-silence, et même les domestiques réprimandent la princesse sur son attitude délibérément désinvolte.
Il faut dire que Diana n’a aucune envie de voir sa belle-famille, au point qu’arriver à l’heure pour dîner, prendre le thé ou une photo lui est insupportable.
D’abord parce que son mari l’a trompée, elle le sait, l’affaire fait la une des tabloïds, ensuite parce que même après dix ans, sa belle-famille continue de lui vouer un mépris absolu, la reine la comparant même à une simple monnaie d’échange.
Ainsi, Diana n’a d’alliés dans cette maison que ses deux enfants, une habilleuse (qui pourtant n’est jamais la dernière à rapporter) et un cuisinier revêche qui lui fait des soufflés aux abricots.
Le reste du château grouille d’ennemis qui veulent sinon sa mort, au moins sa perte.
Les dîners silencieux se succèdent, après lesquels Diana se fait vomir, avant de remanger en quantité dans les réserves à provisions de la demeure.
Souffrant de troubles alimentaires sévères, Diana est obsédée par son poids qui décroît sans cesse tandis qu’elle est persuadée qu’il augmente, et par son apparence.
« How do I look ? », interroge t-elle sans cesse ses domestiques ainsi que son époux, qui ne lui répond qu’avec méchanceté.
Dans cette louverie, Diana est un agneau, soumise au bon vouloir de ses bourreaux qui choisissent ses tenues pour elle, décident de la priver de lumière en cousant ses rideaux, l’empêchent de se balader dans le jardin.
Diana est prisonnière de la maison, de son mariage, de sa famille, de son image, et de l’Angleterre.
Alors qu’elle se reconnaît dans la figure de martyr d’Anne Boleyn, la seconde épouse d’Henri VIII qui la fit décapiter, elle sombre dans la dépression et la boulimie, sans personne pour l’en tirer.
Spencer, la meilleure réalisation de Pablo Larrain
Le biopic uchronique de Pablo Larrain s’ouvre sur un oiseau mort sur lequel roulent plusieurs des voitures qui mènent la famille royale à sa résidence secondaire.
Cet oiseau, c’est précisément Diana, qui en dépit de ses beaux atours — les costumes du film sont d’ailleurs somptueux — n’est qu’une créature insignifiante dans la vie de ses bourreaux, qui lui roulent dessus sans pitié.
De la pitié, Diana en a donc forcément pour les faisans que son fils doit, pour répondre à la tradition royale, abattre le lendemain de Noël. Elle s’adresse alors à l’un des spécimens qui se dandine dans la cour de la maison, lui intime de partir avant qu’il ne soit trop tard, comme un avertissement qu’elle se soufflerait à elle-même.
De tous les documentaires et films qui ont été réalisés sur Lady Di, tous plus informatifs que sensibles ou artistiques, Spencer se pose en ovni.
Dans ce biopic fictif très taiseux, il n’y a de place que pour Diana et sa souffrance. Les autres protagonistes font figure d’anecdotes, n’existent que pour servir la descente de leur agneau à l’abattoir.
Pablo Larrain a fait le choix de concentrer l’intrigue uniquement sur ce personnage, décimant les premières couches de sa psyché pour ausculter ses tréfonds, dans un film qui flirte avec l’horreur.
C’est sur fond de musique lancinante, presque effrayante qu’il déroule sa (sublime) photographie, et dans un chateau presque hanté qu’il nous perd comme dans un labyrinthe.
Spencer finit par créer un effroi supérieur à celui de la majorité des films d’épouvante, en nous faisant craindre non seulement pour la santé mentale de Diana mais aussi pour sa sécurité.
Dans cette maison où les murs ont des oreilles, elle risque à tout moment de sombrer définitivement, et c’est ce seul suspens qui compose l’intrigue entière du biopic.
La mise en scène de Spencer est pour ce faire minutieuse, millimétrée, et transforme le château en dédale infernal dans lequel on se perd comme se perd l’héroïne.
Ce drame déroutant est le plus courageux de son réalisateur, Pablo Larrain, qui avait déjà redonné vie à Jackie Kennedy dans Jackie.
En détricotant les codes classiques du biopic historique, le cinéaste chilien se rapproche, en terme de style, de Yórgos Lánthimos, créateur des précieux The Lobster, La Mise à mort du cerf sacré et surtout de La Favorite, un grand film se moquant justement des mécaniques habituelles du drame historique pour n’exister que sous une forme violente et singulière.
Peu de films récents sont parvenus à nous surprendre autant que Spencer.
Spencer, le meilleur rôle de Kristen Stewart
De ce film nommé à la Mostra de Venise et aux Golden Globes, c’est surtout Kristen Stewart qui a retenu l’attention. Du moins des médias.
La plupart la revendiquent excellente et en effet, il serait malvenu de ne pas constater qu’elle tient sans doute le meilleur rôle de sa carrière, loin de ses seules moues boudeuses pour les films d’Assayas ou de ses premiers pas en apprentie vampire.
Toutefois, et si Kristen Stewart est métamorphosée dans les tenues extravagamment luxueuses de Lady Di, elle n’en demeure pas moins Kristen Stewart qui fait du Kristen Stewart.
Ainsi, on la voit jouer de bout en bout, à grands renforts de pupille mouillée et de lèvres pincées, et d’après nous, une actrice est vraiment excellente quand on ne la voit pas jouer.
Kristen Stewart ne devient pas Lady Di, elle est une version esthétisée et intellectualisée de ce qu’aurait pu être son personnage.
Le seul point noir du film, si vous voulez notre avis.
Quoi qu’il en soit, Spencer demeure l’indispensable cinéma du moment, auquel vous devriez succomber dès ce soir.
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Les Commentaires
Pour finir, on n'est plus à une époque où maintenir son rang dans la monarchie est une question de vie ou de mort. Une transition vers un autre régime politique pourrait être envisageable et on l'a vu à travers divers exemples, ceux qui souhaitent sortir du système peuvent le faire. Donc les membres de la famille royale qui restent sont là parce qu'ils le veulent et franchement, je crois que si les contraintes l'emportaient sur les privilèges, ils partiraient.