C’est le genre d’histoire qui suscite automatiquement l’émotion : Raphaël et Noémie sont jeunes parents et vivent à Vitré, près de Rennes. Pour alerter sur une procédure qu’ils jugent abusive, ils ont témoigné sur les réseaux sociaux de leur histoire, devenue virale en quelques jours : tout semblait aller pour le mieux pour ce couple qui élève Nausicaa, 2 ans, et qui venait d’accueillir Lou le 3 juin dernier.
L’accouchement non assisté (ANA) s’est déroulé sans encombre à leur domicile. Les choses se corsent lorsque le 7 juin, Raphaël va déclarer son enfant en mairie. On lui refuse l’enregistrement au motif qu’il n’a aucun certificat attestant que l’enfant est en bonne santé, comme le relate Noémie :
« La dame a paniqué en voyant que nous n’avions eu aucune assistance médicale chez nous. »
Le 8 juin, Raphaël se présente de nouveau au bureau d’état civil, cette fois avec Noémie et le nouveau né, ce qui permet de constater son existence, à défaut de son état de santé, et donc de procéder à l’enregistrement. Les services de la Protection Maternelle et Infantile (PMI) sont alors avertis par l’officier d’état civil.
Le 10 juin, le couple et l’enfant finissent par se rendre chez un pédiatre, qui selon eux, ne remarque rien d’anormal chez Lou. Une visite est aussi prévue avec les services de la PMI, à domicile cette fois.
Mais c’est la gendarmerie qui arrive en fin de journée. Les deux enfants en bas âge sont retirés suite à un signalement des services sociaux et au motif d’une « suspicion de maltraitance ». Un « enlèvement » pur et simple; pour Raphaël et Noémie qui contestent fermement cette décision.
Dans une vidéo, Noémie, visiblement sous le choc, raconte les circonstances cruelles dans lesquelles elle a depuis appris qu’elle ne pourrait pas voir ses deux enfants pendant trois semaines, dans l’attente de la décision du juge.
Depuis, le couple tente de faire valoir ses droits et a reçu beaucoup de soutien. Une mobilisation s’organise, notamment soutenue par des féministes engagées sur les enjeux de violences gynécologiques ou obstétricales, dont Marie-Hélène Lahaye, qui estime sur Twitter que « ces placements ont lieu dans le contexte global d’une chasse aux sorcières menée contre les femmes qui font le choix (lucide et éclairé) d’accoucher en dehors de l’hôpital. En dehors du contrôle de médecin ».
Une cagnotte pour financer les démarches juridiques de Noémie et Raphaël a été mise en ligne.
L’accouchement non assisté est-il en cause ?
Si l’histoire émeut indéniablement, les motifs du retrait des enfants sont-ils réellement abusifs comme le clament les parents, qui estiment que la PMI a pris cette décision en raison de l’accouchement non assisté ?
Dans un communiqué publié mardi 14 juin, la mairie de Vitré détaille les circonstances qui ont amené à un signalement à la PMI. Elle souligne que l’acte de naissance du nouveau-né a bien été enregistré sans contestation de la part de l’agent, qui a toutefois « rappelé l’importance de faire visiter l’enfant par un médecin afin de s’assurer de son état de santé, sans que ce conseil semble trouver d’écho favorable près du père. » :
« Dans ces conditions, au regard du risque pour la santé de l’enfant, l’officier d’état civil a transmis la naissance à la PMI, comme prévu par la réglementation pour chaque naissance, en l’informant cependant des circonstances particulières et de l’absence de visite médicale.
Le service d’état-civil a ainsi respecté la réglementation en enregistrant dans les délais la naissance, sans solliciter de pièces qui n’étaient pas prévues par la réglementation.
Si les enfants ont été retirés de la famille, cela ne peut être que par les services sociaux pour des circonstances qui ne nous ont pas été communiquées.
Le parquet de Rennes a aussi clarifié le motif du placement « sans lien direct avec le fait que l’accouchement a eu lieu à domicile » :
Seules des considérations relevant de la santé de ces deux enfants et de leur prise en charge ont motivé cette décision du parquet.
Pourtant, c’est bien l’accouchement qui est cité en premier dans l’Ordonnance de placement provisoire citée par Checknews, auxquelles s’ajoutent d’autres observations concernant la santé du bébé, mais aussi de sa sœur de 2 ans :
« Lou X (1) est née le 03/06/2022 à domicile dans des conditions précaires ; qu’elle n’a pas fait l’objet d’un suivi de PMI ; qu’elle a pris seulement 10 grammes depuis sa naissance ; que les rencontres à domicile avec la PMI sont mises en échec par les parents ; que l’état de santé de Nausicaa X est inquiétant, qu’elle se trouve en état de dénutrition apparent ; que la mère, Noémie X refuse de se faire examiner et qu’un projet de départ dans l’est de la France pour une durée de quinze jours a été émis et qu’aucun suivi PMI ne peut être mis en place. »
Se poser les bonnes questions au-delà de l’affaire de Vitré
Si les conditions de l’accouchement pourraient donc être une des raisons ayant conduit le parquet à retirer les deux enfants, âgés de 2 ans et de quelques jours, à leurs parents, les autres motifs ne sont pour le moment pas développés, concernant les risques et les dangers auxquels seraient exposés les deux enfants.
Pour le moment, les deux enfants demeurent éloignées de leurs parents. Que la mesure soit perçue comme disproportionnée ou justifiée, elle met le doigt sur une forme de défiance envers la médecine, et les conditions dans lesquelles on accouche aujourd’hui dans les maternités françaises.
Pour l’association Parents et Féministes, il faut prendre en compte dans cette affaire le regard désapprobateur encore souvent porté sur l’accouchement non assisté en France : « Le procureur de Rennes, en charge du dossier, a déclaré que l’ANA ne figurait pas dans les raisons du placement. Pouvons-nous cependant écarter que cette situation peu commune n’a pas eu d’influence sur le dossier quand on constate la solution radicale et inhumaine mise en œuvre ? ».
L’association estime qu’il faudra aussi s’interroger sur ce qui pousse tant de femmes à prendre cette décision :
« Cette histoire révèle les manquements de notre système et impose d’en faire une priorité : pour que chaque femme accouche comme elle le souhaite, avec ou sans péridurale, accompagné du co-parent ou non, en position physiologique ou accroupie, chez elle ou en milieu médical, maîtresse de ses choix et de ce moment unique. Pour le comprendre, il faut une analyse féministe de la parentalité. Elle manque encore, cruellement. »
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Crédit photo : Emma Bauso via Pexels
Les Commentaires
L'Aide sociale à l'enfance à bout de souffle
Édit: un ancien enfant placé devenu éduc spé a aussi écrit un livre.
Si le sujet vous intéresse, il y a eu il y a peu de temps des enquêtes journalistiques sur ces enfant ou ados qui restent seuls, en hôtel, déscolarisés, avec parfois une sorte de surveillant qui les empêche de se mutiler. Beaucoup finissent pas se suicider. C'est facilement trouvable sur le net.