Initialement publié le 24 avril 2014
Sans vouloir m’avancer, je pense que mon lectorat de ce jour, clairement avide de lire sur la pierre philosophale, va pouvoir se ranger en quatre groupes distincts et fort peu équitables :
- Le grand groupe de celles et ceux qui pensent à Harry Potter à la moindre mention de la pierre philosophale.
- Le groupe suivant qui tient ses connaissances à ce sujet du manga Fullmetal Alchemist, et va avoir du mal à s’en défaire.
- Le petit groupe des gens dont la culture provient de vrais livres (ça va, on rigole, roh).
- Et les laissé-e-s pour compte qui ne savent pas trop de quoi je parle.
Bah, ça va bien se passer. Après tout, on va juste essayer de parler de la manière la plus objective possible de l’alchimie et du grand fantasme de la pierre philosophale, et de faire la part des choses – comme le titre l’indique – entre le mythe et la réalité. Facile.
Par contre, la première qui mentionne Dumbledore a un gage. À un moment, il faut savoir passer le cap, hein.
La pierre philosophale et son alchimie, science ou charlatanisme ?
Commençons par le commencement : la pierre philosophale est une légende issue du domaine de l’alchimie. Et qu’est-ce que l’alchimie ? Vaste sujet.
On a dit non.
Les interprétations de cette pratique archaïque se bousculent au portillon ! Courant spirituel, science occulte ou véritables expérimentations scientifiques ? C’est sûr qu’il est facile d’avoir l’image mentale d’un vieux barbu qui trifouille on ne sait quoi dans un sombre laboratoire au-dessus d’alambics qui font des bulles et de bocaux remplis de salamandre. Sorcier, scientifique fou, ancêtre de Gordon Ramsay ? On ne sait pas trop.
En fait, l’alchimie a cela de bien qu’elle peut rentrer dans un peu toutes les cases, alors on peut se faire plaisir. Mais l’alchimie a été pendant des siècles notre première version de la chimie et de la recherche scientifique. Tout simplement.
« Ouiii, enfin, c’est la pseudo-science obscurantiste du Moyen Âge, hein ! » : bon, déjà, il va falloir arrêter avec l’obscurantisme, parce que c’est un vieux cliché qui ne va pas faire avancer le schmiblik ! Ensuite, l’alchimie se pratique aux quatre coins du monde ou à peu près depuis les alentours du 1er siècle avant J.-C., et se fonde en général sur une curiosité de la nature et du monde qui nous entoure. Cela explique l’image de l’alchimiste qui fait plein de trucs avec des plantes et des cailloux, et la raison pour laquelle chimie et alchimie sont demeurés synonymes très longtemps.
Quand, au XVIIIème siècle, la chimie a commencé à se détacher de l’alchimie pour devenir les prémisses de la chimie moderne avec Lavoisier, l’alchimie, considérée comme une science archaïque, tomba en désuétude.
Il faut dire, aussi, que la conception alchimique du monde n’excluait pas une dimension spirituelle, qui tranchait avec le matérialisme de la chimie moderne. Le but de l’alchimie était de percer les secrets de la matière, de la composition des métaux, dans l’idée d’atteindre un idéal de pureté. D’où le principe de transmutation des métaux en or ou en argent, l’or étant considéré comme le métal le plus pur, voire une métaphore de la divinité.
Forcément, en partant de ce principe, il est facile d’apposer un aspect mystique à la chose, et de recouvrir l’alchimie d’un voile de secrets transmis d’initiés en initiés, de langages et de symboles cachés, et progressivement de légendes à base d’hommes devenus maudits en perçant des secrets trop grands pour eux.
Voilà comment, de démarche scientifique, l’alchimie devint une simple philosophie, voire une pratique spirituelle, jusqu’à prendre des allures de magie ou de science occulte dans l’imaginaire collectif. Savants et érudits passèrent dans le camps de la chimie, pendant que les alchimistes jouaient avec les sciences interdites dans l’obscurité de leurs laboratoires souterrains, à la recherche de la pierre philosophale.
La pierre philosophale et le « Grand Oeuvre »
Bon sang, mais que faisaient-ils, ces inconscients, à jouer ainsi avec leurs âmes ? Ils cherchaient de l’or. Pour vivre ailleurs que dans un vieux labo tout pourri. Ça se tient, non ?
La pierre philosophale est le but ultime du principe alchimique, une hypothétique substance qui permettrait de transformer tout métal insignifiant en or. (jusqu’ici il y en a qui vont être contents, on ne s’éloigne pas trop d’Harry Potter). La merveille, que l’on appelle « pierre » sans être certains de sa nature ou de sa consistance, aurait également la capacité de prolonger la vie humaine… voire de rendre immortel.
On ne sait pas à quoi elle ressemble ni comment la créer/trouver, mais la pierre philosophale rend immortel ET très riche. Il n’en faut pas plus pour créer un mythe ! Une pierre précieuse, un liquide, une poudre, un élixir, un composant chimique non identifié… Il y en a même qui disent, non pas qu’ils l’ont vue voler, mais qu’elle ne serait en fait qu’une métaphore, symbolisant la perfection et l’élévation spirituelle.
Pour en arriver là, il faut suivre un vaste programme que l’on appelle « le Grand Oeuvre », avec les majuscules s’il vous plaît. C’est tout un processus de « transmutation », un terme qui peut vouloir dire beaucoup de choses, mais qui en l’occurrence désigne l’évolution d’une matière à une autre — ici, du métal nul à l’or. Impossible sans la pierre philosophale, bien sûr.
Si cet objet merveilleux a fait fantasmer quantité d’alchimistes pendant des siècles, et si sa flamme brille encore à travers la littérature, c’est qu’il n’est pas loin du Saint Graal, ou en tout cas du pouvoir divin. Un objet capable de défier les lois de la Nature que nous connaissons pour transformer une matière en une autre matière… Capable de créer à partir de rien, en somme ! Comme Dieu.
Les lecteurs de Fullmetal Alchemist vont frétiller en reconnaissant le mot, mais les autres, connaissez-vous la légende de l’homonculus ? Enfin, on dit « homoncule », quand on ne veut pas se la péter avec son latin et qu’on n’a pas peur de dire un truc cochon. L’homoncule (ou « petit homme ») est une sorte de clone miniature auquel la pierre philosophale donnerait la vie.
Gravure de l’homoncule de Faust
Usurper le Créateur en tentant de créer la vie : ils ont le melon, les alchimistes ! Enfin, ça n’a pas l’air d’avoir marché du tonnerre.
« Mais alors, comment on fait la pierre philosophale ?! » : bon, j’ai bien une recette, mais le résultat se rapproche davantage du brownie au chocolat. Ça mène à une sorte d’élévation spirituelle aussi, le brownie, non ?
Et Nicolas Flamel, alors ?
Ah, Nicolas Flamel ! Le second grand mythe de l’alchimie, c’est ce bon vieux Nico, grand alchimiste, et l’histoire selon laquelle il aurait percé le secret de la pierre philosophale, sans rien dire à personne.
Oui, je sais, c’est dans Harry Potter aussi. Mais pas seulement : la croyance selon laquelle Nicolas Flamel était le plus grand et le plus savant des alchimistes perdure encore, et a inspiré une quantité incroyable de romans et de films.
Il n’est même pas certain qu’il ait ressemblé à ça.
En vrai, ou en tout cas officiellement parce que je n’aime pas trop casser autant de mythes dans une seule journée, Nico était un bourgeois du XIVème siècle. Et le mythe est né à au moins 95% de deux caractéristiques du personnage dans un contexte propice à la légende urbaine :
- Nicolas était copiste et libraire-juré, ce qui témoigne d’une certaine érudition à une époque où tout le monde ne savait pas lire, et d’un accès à un bon nombre de manuscrits.
- Nicolas était riche.
Sa fortune provenait très sûrement d’un bon mariage et de bons investissements, mais à une époque où le mystère des alchimistes avait son petit succès et où tout le monde rêvait de trouver, comme ça, la pierre philosophale, il n’en fallait pas plus que la combinaison érudition + fortune pour lancer les rumeurs. Il est riche ? Il a sûrement découvert le secret de la transmutation des métaux en or, et il garde précieusement son savoir pour lui. Mais qui percera les secrets de Nicolas Flamel ?!
Peu importe si ce n’était qu’un paisible bourgeois : si la rumeur est devenue légende puis mythe encore vivace dans l’imaginaire collectif aujourd’hui, c’est que l’idée a quelque chose de fichtrement séduisant. Nicolas Flamel a trouvé une réponse, et a caché ses lourds secrets quelque part, entre les lignes de ses grimoires…
Voilà. Maintenant vous pouvez parler de Dumbledore.
Pour percer les secrets de l’alchimie :
- Le Mythe de l’alchimie, Mircea Eliade
- Les secrets de l’alchimie — Émission La marche des sciences sur France Culture
- L’alchimie, entre mythe et réalité, conférence aux Imaginales 2011
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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