Les échecs sont-ils un sport comme les autres ? Vu que le milieu cède à son tour à une panique transphobe, on peut dire que oui. Alors que des joueuses françaises viennent de dénoncer les violences sexistes et sexuelles qui y régnent, voilà que la Fédération internationale des échecs (FIDE) a publié le 14 août 2023 un communiqué concernant les personnes transgenres.
La Fédération internationale des échecs veut interdire aux joueuses trans les compétitions pour femmes
D’abord, la FIDE s’y engage à reconnaître « l’identité de genre d’un individu si elle est cohérente avec l’identité qu’elle entretient dans sa vie en dehors des échecs, et qui a été confirmée par les autorités nationales lors d’un changement légal et formel ». Seulement, en attendant l’établissement d’une nouvelle réglementation qui pourrait prendre deux ans avant d’advenir, l’autorité souhaite agir au cas pas cas pour les femmes transgenres, poursuit-elle en des termes qu’on aurait préférés croire restés aux oubliettes : « Dans le cas où le sexe a été changé d’homme à femme, la joueuse n’a pas le droit de participer aux épreuves pour femmes, jusqu’à ce qu’une nouvelle décision de la FIDE soit prise. » En attendant, les femmes transgenres doivent se contenter des compétitions mixtes (où il n’y a quasi que des hommes cis).
Alors que le Championnat de France d’échecs se déroule du 18 août au 27 août 2023, bientôt suivi par la Coupe d’Europe des clubs d’échecs du 30 septembre au 8 octobre 2023, ce nouveau communiqué déstabilise particulièrement les joueuses d’échec trans, à l’instar d’Ana Valens et de Yosha Iglesias.
Les fédérations des échecs allemande et française soutiennent les personnes trans
Heureusement, face à la polémique grandissante, des fédérations nationales ont choisi de prendre le contrepied de celle internationale, comme en Allemagne et en France. La Fédération allemande des échecs a ainsi tweeté le 18 août 2023 :
« La Fédération allemande des échecs (DSB) a une position claire : nous n’excluons pas les femmes trans. En Allemagne, une femme trans est déjà devenue championne d’Allemagne dans les années 2000 et les femmes trans seront bien sûr autorisées à participer à tous les tournois allemands pour femmes à l’avenir. La Fédération allemande des échecs ne change pas cette pratique. Ce faisant, nous nous associons à des partenaires européens, comme la Fédération française des échecs, qui gère cela exactement de la même manière.
Nous craignons sérieusement que ces nouvelles règles FIDE ne soient compatibles avec la situation juridique de plusieurs pays. Si une personne est légalement reconnue comme une femme, nous ne comprenons pas ce que la FIDE veut encore vérifier et pourquoi elle a besoin de deux ans pour cela – comme le stipulent les nouvelles règles.
Du point de vue de la Fédération allemande des échecs, ces règlements émis par la Fédération mondiale des échecs pour l’enregistrement des joueurs d’échecs transgenres sont un exemple de la manière dont la discrimination survient lorsque les personnes concernées ne sont impliquées d’aucune manière.
La Fédération allemande des échecs s’engage pour le bien-être de tous, quels que soient son origine, son âge, son origine ethnique, sa couleur de peau, son handicap, sa religion, son sexe, son orientation sexuelle et son identité de genre. Personne ne devrait avoir à subir la violence et la discrimination. »
Le règlement transphobe de la FIDE s’avère incompatible avec le CIO et le RGPD
Comme le souligne la fédération allemande, les nouvelles règles de FIDE risquent en effet d’être incompatibles avec la situation juridique de plusieurs pays : on ne peut exiger autant de papiers d’identité et de certificat de naissance à des personnes qu’on soupçonnerait d’être trans, afin de les ajouter à un fichier. Il s’agirait de collecte abusive de données sensibles, comme l’interdit le Règlement général sur la protection des données, en Europe par exemple.
Ces nouvelles règles transphobes, violemment absurdes et inapplicables dans de nombreux pays où elles seraient illégales, s’avèrent également contraires aux directives du Comité International Olympique (CIO) que la FIDE est tenue de respecter, comme le démontre dans un thread Twitter la joueuse trans Yosha Iglesias. Cette dernière le conclut en invectivant la FIDE :
« Si vous voulez aider les femmes aux échecs, lutter contre les violences sexistes et sexuelles, donner aux femmes aux échecs plus de visibilité et plus d’argent.
N’utilisez pas les joueuses trans comme boucs émissaires. Nous contribuons au développement des femmes aux échecs. Nous sommes des femmes aux échecs. »
Le curieux timing d’un nouveau règlement transphobe pile au moment d’un #MeToo des échecs
En effet, le timing de cette nouvelle réglementation a de quoi questionner. C’est ce que souligne Jennifer Shahade, championne américaine de la discipline et alliée notoire des personnes trans (elle a participé à la mise en place d’un règlement plus inclusif dans des compétitions aux États-Unis en 2018), auprès de Athlete Ally, une association qui s’efforce de démanteler les systèmes d’oppression dans le sport qui isolent, excluent et mettent en danger les personnes LGBTQI+ :
« La politique de la FIDE concernant les personnes trans est ridicile et absurde. Il est évident qu’aucune personne trans n’a été consultée pour la produire. Il est également sinistre qu’elle sorte pile au moment où le milieu des échecs s’intéresse enfin aux agressions sexuelles et au harcèlement sexuel. Cela souligne le lien entre misogynie et transphobie. J’exhorte urgemment la FIDE de faire volte-face sur la question et de recommencer à zéro avec de meilleurs conseils. »

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