Pourquoi mettre des hommes célèbres, notoirement cisgenre et hétéro, en robe étiquetée « femme » pour une campagne de mode ? « Pour faire parler les bavards » pourrait répondre n’importe quelle institutrice d’école primaire.
Et elle aurait probablement raison, dans le cas de la nouvelle campagne Jacquemus, baptisé Le Splash, avec l’artiste de rap latino et de reggaeton Bad Bunny, publié sur Instagram le 7 février 2022.
Jacquemus choisit Bad Bunny comme nouvelle égérie iconoclaste
L’interprète de DÁKITI, Yonaguni, CALLAÍTA, ou encore YO PERREO SOLA (dans ce dernier, il se travesti d’ailleurs en vixen, cette figure de danseuse hypersexualisée de clips de rap) porte ainsi des vêtements du créateur français, afin d’être photographié par Tom Kneller et Zoey Radford Scott, à Miami.
S’il n’y a rien de bien surprenant à choisir une célébrité tel que Bad Bunny plutôt qu’un mannequin peu connu du grand public pour retenir l’attention autour d’une marque, Jacquemus cherche à donner envie d’en parler et de la partager massivement (vocation de la plupart des pubs à l’ère des réseaux sociaux).
Pour atteindre cette viralité tant convoitée, la marque joue les cartes du brouillage de genres et du thirst trap. Littéralement : attrape-soif. C’est le surnom qu’on donne aux photos un peu dénudées censées donner envie de… copuler, dirons-nous pour rester poli.
Habitué du brouillage de genre sur tapis rouge et dans ses clips (mais pas dans sa vie quotidienne, a priori) et des nudes publiés sur Instagram, Bad Bunny s’adonne à cette nouvelle campagne à coeur joie.
On le voit notamment dans une robe rose beaucoup trop étroite pour lui (alors qu’elle se pré-commande d’ores et déjà du 32 au 48 au prix de 565€, donc on aurait pu lui faire enfiler une taille qui lui siérait davantage, signe qu’il s’agit bien d’un choix délibéré), contractant ses muscles pour accentuer le décalage d’expressions de genre (et en clin d’oeil à un édito mode culte de Brad Pitt posant devant l’objectif du photographe Mark Seliger pour le magazine Rolling Stone en 1999). Des chaussettes blanches glissées dans des mules bien trop petites en rajoutent une couche d’inadéquation volontaire.
Jacquemus brouille-t-il les genres avec Bad Bunny en robe ?
D’autres clichés l’illustrent en train de faire du rollers (Miami oblige) torse nu, vêtu d’un simple caleçon blanc qui dépasse allègrement de son bermuda rayé rose et gris (selon le gimmick mode qu’est le sagging, bien plus politique qu’il n’y paraît). Bien sûr, des chaussettes signées d’un « Jacquemus » bien visibles remontent sur ses mollets.
Une autre photo le présente (dé)vêtu d’un gilet de sauvetage rose et de lunettes de soleil sur un jetski amarré.
La plupart des photos respirent une joie de vivre colorée, propre à l’esthétique de Jacquemus et à celle de Bad Bunny.
Ce qui peut davantage surprendre et questionner, c’est ce choix pour une marque de vêtements d’avoir fait enfiler des vêtements femme beaucoup trop petits à un homme. Difficile d’y voir une ode à la fluidité des genres, sinon on aurait pu l’habiller d’une robe à sa taille… Il s’en dégage surtout l’impression d’avoir voulu créer un effet comique.
Mais qu’est-ce qui fait qu’une telle image puisse paraître drôle aux yeux de certaines personnes, si ce n’est parce que son humour repose précisément sur le renforcement de la binarité des genres ?
Rire de la binarité des genres plutôt que de la dépasser
En effet, si un premier élan face à ces images pourrait consister à y lire une forme de plaidoyer à la libre expression de soi, difficile de ne pas y déduire en creux combien il serait risible qu’un homme à l’expression de genre aussi masculine enfile une robe rose que nos sociétés occidentales contemporaines codent comme féminine.
Ironiquement, surpasser cette peur du ridicule pourrait même apparaitre aux yeux de certaines personnes comme une preuve de courage, donc un exhausteur de virilité. Mais ce qui pouvait paraître couillu en 1999 l’est-il encore en 2022 ?
La question se pose d’autant plus vu l’historique de Simon Porte Jacquemus dans le(s) genre(s). L’une de ses précédentes campagnes avec Kendall Jenner, nue, suspendue à un fil, ayant fait scandale, il avait ensuite décidé d’en rire lors d’une soirée du personnel en novembre 2021. Postant un cliché de son imitation du visuel de l’esclandre, il s’était alors bien gardé d’y apparaître nu — renforçant là encore la binarité des genres qu’il n’a de cesse de questionner sans véritablement chercher à la dépasser et à l’abdiquer…
Et quand se donner une image progressiste suffit, qu’on en fait ainsi une posture, c’est ce qu’on appelle de la vertu ostentatoire.
À lire aussi : Ce pantalon phare des années 1980 revient : comment porter le fuseau ?
Crédit photo de Une : Bad Bunny photographié par Tom Kneller et Zoey Radford Scott pour Jacquemus.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
C'est aussi pour ça que je pense que c'est délibéré de le faire apparaître trop étroit dans une robe choisie trop petite, comme si sa virilité en débordait. Alors qu'il flotterait sûrement dans une taille 48, en réalité.