In These Words est une BD parue chez Taïfu Comics. C’est un yaoi, un boy’s love qui met en scène des relations sexuelles explicites entre hommes, mais c’est aussi une œuvre aux qualités graphiques plus qu’évidentes (il suffit de se fier à la couverture) qui offre bien plus qu’un prétexte au porno ! Véritable thriller bien rythmé, riche en coups de théâtres et révélations, In These Words suit les pas du profiler Katsuya Asano, tourmenté par des cauchemars à base de tortures, alors qu’il participe à l’arrestation d’un tueur en série.
Les auteurs du groupe Guilt Pleasure, Narcissus et Jun Togai, étaient présentes à Japan Expo 2015 et ont accepté de répondre à mes questions.
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Comment vous êtes-vous rencontrées et que faisiez-vous avant votre collaboration ?
Narcissus — On s’est rencontrées à une convention, mais on partageait depuis longtemps une connaissance commune. C’est moi qui suis rentrée en contact avec Jun. Et on a commencé à véritablement travailler ensemble il y a quatre ans.
Avant, j’avais commencé par une année à l’université en sortant du lycée puis j’ai orienté mes études pour entrer dans la police. J’ai intégré l’Air Force et j’y ai travaillé pendant onze ans. En parallèle, j’ai fondé la convention Yaoi-Con en 2001 à San Francisco puis je m’en suis occupée pendant plusieurs années. Mais j’ai petit à petit ressenti cette impression de burn out. J’avais besoin de changement et c’est à ce moment que nous nous sommes rencontrées. Nous nous sommes lancées dans In These Words ; c’est après la publication du premier livre que j’ai réalisé que c’était ce à quoi je voulais me consacrer.
Jun Togai — Ce que je faisais… c’est une longue histoire. J’ai commencé ma carrière en Asie à Taïwan où je publiais mes propres BD originales. Après ça, je suis partie aux États-Unis et j’ai cherché à me faire connaître. En 1999 j’ai été embauchée par une branche de DC Comics qui recherchait des styles similaires au mien. A partir de là j’ai aussi travaillé avec d’autres maisons d’édition de ce type pour me faire un nom avant de me lancer dans des histoires originales. J’ai fini par être reconnue en tant que cover artist. Ma réputation a surtout grandi dans les années 2008/2009, j’étais très demandée. Mais petit à petit, ce travail a commencé à devenir fatigant : ce que je voulais véritablement faire ce n’était pas les couvertures de comics mais l’intérieur. Narcissus m’avait contactée avant, mais c’est quand j’ai atteint ce point que j’ai voulu me lancer dans quelque chose de nouveau. C’était le bon moment.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans le travail de la BD après ces années en tant que cover artist ?
Jun Togai — Après des années à dessiner des couvertures, j’étais aussi en situation de burn out. J’étais devenu une machine à illustrer alors que je voulais raconter des histoires. Je pouvais faire des couvertures et gagner ma vie avec ça mais ce n’était pas mon but. Ça me déprimait de faire des illustrations, alors qu’être une artiste c’est ce que j’avais toujours rêvé de devenir. Pourquoi je déprimais, du coup ?
En fait, j’aimais la BD, c’était ce qui me plaisait vraiment. Quand on fait de la BD, c’est plus que de l’illustration. On voit l’histoire avancer, on s’investit dans les personnages, leur caractère. C’est ce que je préfère je crois.
Un exemple du travail de Jun Togai en tant que cover artist sur le (très bon) comics Les Fugitifs
Comment travaillez-vous toutes les deux ?
Narcissus — On essaie de recréer une ambiance d’atelier à distance sur Skype. On se connecte et on parle comme si on était dans la même pièce même si ça arrive qu’on ne dise rien pendant très longtemps. On fait ça presque tous les jours. C’est tout. Il n’y a pas de secret, on s’entend juste très bien.
Jun Togai — Elle est de la côte Ouest et moi de la côte Est : la Californie et la Virginie sont très éloignées.
Le travail d’écriture est partagé ?
Narcissus — En général je me charge de toute l’écriture et évidemment je le montre à Jun qui me fait des retours comme : « je pense que cette partie devrait être plus intense », puis je retravaille à partir de là. C’est la même chose quand elle dessine, elle me montre et je fais des suggestions. On retravaille et rediscute jusqu’à la publication.
Vous fréquentez conventions et fandoms via Internet. De quoi êtes-vous fans ?
Jun Togai — Les fanarts que je fais sont surtout pour mes amis, sur commande. Je ne suis dans aucun fandom en particulier. C’est vrai que parfois quand je regarde certains films ou que je suis certaines séries, des choses me plaisent, mais je n’ai pas suffisamment d’attrait pour ces fandoms pour dessiner une BD complète sur le sujet. Je préfère dessiner des travaux originaux.
Narcissus — En ce moment je suis pas vraiment impliquée dans des fandoms ; avant j’étais pas mal à fond pour des jeux vidéo comme Resident Evil ou Devil May Cry. Mais maintenant je ne trouve plus trop le temps de lire ou jouer. Je vais au cinéma trois fois par an donc c’est plus compliqué pour moi d’entrer dans des fandoms en ce moment.
D’où vient votre attrait pour le genre du boy’s love ?
Narcissus — Je suis née à Taïwan et le boy’s love y est quelque chose de très accessible pour les jeunes filles. C’est ce qu’on lisait dans notre jeunesse. J’ai commencé à m’y mettre sans trop y réfléchir.
Jun Togai — J’ai été corrompue par une amie ! J’étais très jeune, j’avais environ treize ans. J’étais dans une école pour filles. Comme beaucoup de jeunes taïwanais•es de mon âge je regardais beaucoup d’anime et je lisais beaucoup de mangas japonais ; un jour cette amie m’a montré un doujinshi où il se passait des choses orientées boy’s love. J’étais très surprise et choquée sur le coup. Que font ces deux garçons ? Qu’est-ce qu’ils se font l’un à l’autre ? On dirait qu’ils souffrent ! C’était au-delà de ma compréhension.
J’ai mis du temps à apprécier, au départ j’étais perplexe, puis j’ai fini par y trouver de l’attrait, j’étais corrompue. Mais pendant longtemps je suis restée une fan de boy’s love cachée. J’étais dans le placard. Je n’en dessinais pas officiellement, mais pour moi, de temps en temps même quand je suis devenue professionnelle. [NDLR : Amandine, la traductrice, lui a demandé si elle glissait du boy’s love dans ses couvertures de comics… mais Jun Togai ne l’a jamais fait à mon grand regret.] J’ai commencé à m’assumer comme dessinatrice de boy’s love après avoir rencontré Narcissus.
Vous êtes publiées dans plusieurs pays. Avez-vous remarqué des différences entre vos fans d’une contrée à l’autre ?
Narcissus — On a effectivement rencontré nos fans dans différents pays : les États-Unis, le Japon, l’Allemagne il y a peu et maintenant la France. [NDLR : Jun Togai et Narcissus avaient demandé à être en dédicace non stop durant Japan Expo.] Il n’y a pas de grande différence, je pense. C’est vrai que les fans Européens ont tendance à être plus enthousiastes, à plus montrer leur ressenti par rapport à notre travail par exemple, mais tous les fans montrent beaucoup d’intérêt pour nos travaux.
Jun Togai — Qu’importe le pays d’où on vient, quand on partage les mêmes centres d’intérêt, les fans restent les mêmes. Une fujoshi reste une fujoshi quelle que soit son origine !
Du premier au deuxième tome d’In These Words il y a un vrai basculement dans les relations sexuelles représentées, du non-consentement au consentement. Dans beaucoup de boy’s love cette ligne est assez floue ; clarifier cette distinction entre relation consentie ou non, ça vous tenait à cœur ?
Narcissus — Avant, je travaillais dans la police ; j’ai été confrontée à de nombreuses affaires de viols, j’ai été en contact avec des victimes. C’est pour moi un sujet très personnel sur lequel je ne peux pas transiger. Je ne peux pas glorifier le viol. C’est impossible pour moi. Je tiens à cette clarification.
Ce qui est important, c’est de garder un certain réalisme dans l’histoire. Si une relation est non consentie, elle est non consentie. C’est impossible d’exprimer son amour par le viol. On ne viole pas par amour. C’est un crime. Et je veux que ce soit très clair dans les relations présentées dans cette histoire.
Donc votre travail dans la police influence votre travail de scénariste. Avez-vous fait des recherches dans le domaine de la psychologie à côté ?
Narcissus — De base, c’est un hobby qui m’a toujours intéressé mais j’ai aussi étudié la psychologie pour ma carrière dans la police. Ça m’aidait pour échanger avec les victimes. J’ai vraiment fait ces études pour ça au départ même si j’ai fini par me lasser de mon travail après onze ans de carrière. Et comme je n’étais plus dans la police, j’ai juste commencé à écrire du porno ! [rires] C’est un peu déconnecté. Je n’avais jamais eu l’ambition de faire ça.
Combien de tomes sont prévus dans la série ?
Narcissus : On n’a pas de chiffre arrêté. On a déjà décidé de la fin. On sait à peu près comment ça finira et ce depuis le début mais on ne sait pas combien de tomes ça prendra en tout. Sans doute autour de dix. Peut-être plus, peut-être moins.
Merci encore à Narcissus et Jun Togai, à l’équipe de Taïfu Comics présente à la convention et à la traductrice Amandine Lauer. Est-il utile de dire que je vous recommande chaudement la lecture d’In These Words, fans et non-fans de yaoi pouvant trouver leur compte dans cette histoire, à mon humble avis ?
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Les Commentaires
Mais en tout cas @LadyDandy bravo à toi pour cette interview et merci pour cette découverte ! Et tes comptes-rendus me font toujours mourir de rire x)