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Société

Harass Tracker, un site de prévention qui ne se contente pas de traquer les harceleurs de rue

Les femmes libanaises peuvent signaler les actes de harcèlement de rue dont elles sont victimes sur le site Harass Tracker. Une manière de cartographier et de lutter contre ce fléau largement répandu.

Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.

Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des sénégalaises et sa deuxième étape l’a menée au Liban ! Elle y a réalisé interviews, portraits, reportages, publiés au fil des jours sur madmoiZelle.

Pour retrouver le sommaire de tous les articles et la genèse du projet, n’hésite pas à jeter un œil au sommaire de présentation : madmoiZelle en reportage au Liban !

Tu peux aussi suivre au jour le jour ses pérégrinations sur les comptes Instagram @madmoizelledotcom et @meunieresther, avant de les retrouver ici bientôt !

« Je marchais, un samedi après-midi près de l’université des beaux arts… et quelqu’un, dans une voiture à côté de moi a fait un bruit étrange. J’ai regardé parce que j’étais surprise, un homme était assis là et se mastrurbait. »

« Le trottoir était trop étroit donc je marchais sur la route. J’ai vu de loin un homme sur un scooter, qui me regardait avec insistance. J’ai détourné le regard, pour ne pas l’encourager. Mais alors que je me rapprochais, il m’a surprise en attrapant mon sein droit.

Je suis tombée en arrière contre une voiture garée à cause du choc et il est parti très vite. J’ai regardé autour pour voir s’il y avait des témoins, mais la rue était vide. C’est arrivé si vite et j’étais si choquée, je n’ai même pas crié. »

« J’étais dans un taxi collectif, en direction de Mathaf. J’ai dû m’assoir devant parce que la banquette arrière était déjà pleine. C’était un jour de semaine, à 10h du matin.

Le conducteur a considéré qu’étant donné mes origines, je devais être une prostituée. D’abord il a mis sa main sur ma cuisse, je lui ai dit en arabe de l’enlever.

Mais ensuite il a essayé de prendre ma main pour l’embrasser. Je suis vite sortie de la voiture comme on était bloqués dans les bouchons. »

Ces témoignages pourraient venir de n’importe où dans le monde. Paris, Londres… ou Beyrouth.

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Harass tracker : répertorier les actes de harcèlement de rue

Il se trouve qu’ils sont issus de la carte du « Harass Tracker », littéralement le « traqueur de harceleurs ».

Le site, mis en ligne au début de l’année 2016, répertorie les actes de harcèlements voire d’agressions sexuelles commises principalement dans la capitale libanaise – même si certains cas dans le reste du pays, voire dans d’autres pays sont recensés.

Nay, l’une des instigatrices du projet m’en explique l’origine :

« Le harcèlement sexuel, le harcèlement de rue s’exercent partout. On a eu cette idée avec deux autres femmes, on vivait dans différentes villes, différents pays, et les mêmes phénomènes se produisaient pour nous et pour notre entourage. »

Sur le site, après avoir constaté ou subi un acte de harcèlement, il est possible de compléter un formulaire pour le faire apparaître sur la carte. Lieu, mais aussi descriptions peuvent être renseignées même si ce n’est pas automatique, en anglais ou en arabe.

Harcèlement de rue : dénoncer, c’est déjà déculpabiliser

L’initiative a trois buts principaux et le premier est d’agir directement auprès des personnes confrontées au harcèlement de rue

:

« On veut redonner le pouvoir aux personnes qui vivent le harcèlement, en leur permettant de remplir ce formulaire, parce que beaucoup d’entre elles ressentent de la culpabilité.

Mais si tu reportes un acte, que tu le dénonces, c’est bien que ce n’est pas toi la responsable, que ce n’est pas de ta faute.

Ça permet de prendre pleinement conscience de ça, de se décharger en partie de la colère que ça suscite et d’avoir en tête que l’acte a été consigné quelque part, qu’on ne l’oublie pas. »

À lire aussi : Ces lycéennes françaises au short jugé « trop court » ne se laissent pas faire

Des incidents ne sont pas reportés chaque jours, mais régulièrement tout de même.

« Ça ne déleste pas totalement la frustration que le harcèlement génère, on reçoit parfois des messages pleins de colère et cherchant à agir plus concrètement, mais on ne peut pas tracer l’auteur et le poursuivre en justice.

On n’en a pas la capacité et ce n’est pas non plus notre but. »

Harass Tracker, une base de données sur le harcèlement de rue pour agir directement sur le terrain

Plutôt que d’agir au niveau micro, en désignant les individus coupables, le Harass Tracker est en fait un outil de sensibilisation.

« Les deux autres niveaux visent d’une part à constituer une base de données, qui permette d’analyser quels sont les actes commis, par qui, dans quels lieux… Et ainsi pouvoir sensibiliser les pouvoirs publics ou les parties prenantes au problème.

On peut s’en servir pour leur faire un état des lieux et rechercher les solutions appropriées avec eux. »

C’est comme ça qu’en deux ans, l’équipe de Harass Tracker est entrée en contact avec les forces de sécurité, le principal syndicat de taxis, des organisations de restaurateurs…

« Les chauffeurs de taxis sont très très résistants face au problème. En fait, ils ne le voient pas, ils ne comprennent pas pourquoi ça ne se fait pas.

On a eu un peu plus de succès avec les forces de sécurité, disons qu’ils manifestent un grand intérêt mais que malheureusement pour l’heure les actions ne suivent pas. »

Mais Nay témoigne avoir reçu beaucoup plus de retours positifs de la part des restaurateurs.

« C’est sans doutes parce qu’ils savent qu’on peut utiliser une stratégie de « name & shame », mais en tous cas ça a été efficace. Par exemple, un jour on a publié un témoignage envoyé par une personne harcelée par le gardien du parking d’un complexe où se trouvent plusieurs restaurants.

On les a nommés sur Facebook en demandant s’ils comptaient agir et dans l’heure qui a suivi ils nous ont contacté pour savoir quelles actions ils pouvaient mettre en place. On a pu former les personnes qui sont directement sur le terrain, en contact avec la clientèle et les passants, et ça a été un vrai succès ! »

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Créer le débat public et sensibiliser plus largement

Le 3ème niveau où Nay espère agir est l’émergence d’un débat public sur la question :

« Clairement, il y a eu un débat sur le sujet depuis que l’initiative a été lancée. Nous y avons joué un rôle parce que nous avons pu l’encourager avec notre outil mais nous n’en sommes pas à l’origine, on n’y serait pas arrivées de la même manière sans la crédibilité d’associations comme Kafa qui a fait beaucoup de travail. »

Elle estime que beaucoup de gens ignorent encore l’existence de cet outil :

« C’est numérique, donc toutes les personnes n’ayant pas accès aux bons outils ne peuvent y avoir recours. Et même parmi celles qui y ont accès, bien qu’on ait fait les plateaux télé et que des articles aient été écrits à notre lancement, ça ne veut pas dire que tout le monde a entendu parler de nous. »

C’est aussi pour ça qu’elles ont l’intention de mener d’autres actions dans le futur, à commencer par la réalisation d’une application et celle d’un kit destiné à éduquer les jeunes aux problématiques que recouvre le harcèlement de rue.

« Attention non-sollicitée, violation, espace, frontières, consentement, toutes ces choses liées au harcèlement : on veut amener ça dans les lycées et les universités mais c’est encore en phase préparatoire car ça nécessite des ressources. »

Le harcèlement n’est pas vécu de la même manière à Paris ou à Beyrouth

Nay expliquait avoir eu cette idée de carte et de base de données en partant du constat que le harcèlement de rue était universel. Mais pour autant, elle ne considère pas qu’il soit vécu de la même manière ici à Beyrouth, qu’à Paris par exemple.

« Si travailler sur le harcèlement nous apprend une chose, c’est que c’est très subtile et nuancé.

En particulier, dans notre culture, la construction du « soi » est différente. Ce n’est pas le « soi » individualiste que l’on trouve en Europe, ou dans les sociétés occidentales en général.

Ici, il n’y a pas vraiment de frontières au « soi », on se construit différemment : on vit dans une culture où le « soi » est poreux, où les frontières sont mouvantes.

« Ce qui est bon pour moi est aussi bon pour mon frère », pas parce que je suis une femme et lui un homme, mais parce que nous sommes tous et toutes les extensions des uns et des autres.

Les femmes ne voient pas nécessairement le harcèlement comme une violation du soi, pas parce qu’elles ne sont pas conscientes de ce qui leur arrive, mais parce que c’est leur frère, leur voisin… Des gens dont elles se sentent « les extensions ».

C’est encore plus dévastateur parce qu’elles ressentent l’inconfort et que c’est déconcertant, mais ce sentiment est en contradiction avec celui d’appartenance. »

Ce peut être difficile à imaginer, mais l’idée est que se sentir agressée par quelqu’un qui « fait partie de soi », est clairement déstabilisant. Ça rend l’identification du harcèlement plus difficile.

C’est pourquoi selon elle, travailler sur un loi anti-harcèlement au Liban est prématuré, car les gens n’ont pas encore compris de quoi il s’agissait, « on n’a pas fait le tour de ce que ça signifie ici ».

Une différence de plus avec la France, où le harcèlement de rue pourrait être prochainement pénalisé.


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Les Commentaires

1
Avatar de Daydream
18 mai 2018 à 15h05
Daydream
C'est génial, comme concept. On devrait faire pareil chez nous, ne serait-ce que pour avoir un savoir plus concret sur le phénomène. Merci pour cet article !

Contenu spoiler caché.
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