Sur mon compte Instagram, je suis toujours souriante, je mange des végétaux sans gluten et ma philosophie de vie est proche de celle du Bouddha.
Dans la vie, j’ai souvent les cheveux gras et des trucs entre les dents, je boulotte des cookies à une heure trop tardive pour obtenir des clichés correctement exposés et je perds régulièrement ma foi en l’Humanité.
Pour faire une place à ces instants pas glamour de la vie, de plus en plus de personnes se créent un second compte Insta, à vocation privée.
C’est ce qu’on appelle un finsta, pour « fake Instagram », un compte accessible à un cercle de personnes choisies, où la sincérité prime sur l’esthétique.
Alors que les photos d’un rinsta (« real Instagram ») sont soigneusement sélectionnées, mise en scène, retouchées et distillées avec parcimonie, celles du finsta chroniquent les aléas de la vie au quotidien (jusqu’à plusieurs fois par jour).
Et le but n’est pas de se montrer sous son meilleur jour.
Le but est d’être vrai… sur un compte « fake ». Étrange !
Instagram, le poids de l’image
Les finstas sont principalement répandus aux États-Unis mais ne devraient pas tarder à se démocratiser en France. Sur Twitter, il est également courant de réserver un compte au cercle restreint des « mutuals only » !
Les finstas font office d’espace de liberté sur Instagram, réseau ultra-codifié qui valorise la perfection esthétique. Parce qu’ils sont privés, réservés à un cercle proche, on y craint moins le jugement.
Car Instagram, c’est avant tout un grand tribunal de l’image de soi… Comme sur les autres réseaux sociaux, le partage de photos va de pair avec la validation des autres.
Être suivi·e, obtenir des commentaires et des likes, c’est le but d’un jeu qui peut vite devenir addictif et turlupiner l’ego.
Sans parler du réflexe de se comparer, de mesurer sa valeur à l’aune des photos des autres.
Instagram serait ainsi le réseau le plus nocif pour la santé mentale ! Et en 2015, une ado star du réseau supprimait plus de 2000 clichés de sa « vie parfaite » en révélant son addiction à la reconnaissance virtuelle.
Elle ne se reconnaissait plus dans ces clichés léchés, et mensongers.
Car sur Insta, l’apparence prime sur le fond. Logique pour un réseau basé sur l’image.
Un beau portrait, toutes dents dehors, en lumière naturelle, obtiendra logiquement plus de likes qu’un selfie floué par le reflet du flash dans un miroir sale.
Comment se montrer tel·le que l’on est, hors de ce cercle vicieux qui consiste regarder les autres et à attendre leur validation ?
Peut-être en créant un finsta.
Pourquoi avoir un finsta, un compte « fake » sur Instagram ?
Avoir un compte parallèle permet de s’exprimer autrement qu’en présentant une image de soi parfaite, sans faille.
Un finsta offre un espace aux moments de doute, de fail, de déprime. Il offre la possibilité d’être soi-même. Au moins, un peu plus que sur le reste du réseau.
Par certains côtés, ce genre de « faux compte » valide le fait que seule la beauté normée ait sa place sur Instagram.
Ils accréditent l’injonction à la perfection, en réservant un endroit confidentiel à ces fêlures qui n’ont pas leur place sur les feeds officiels.
Depuis que les gens sont devenus des produits, ils doivent bosser leur image de marque…
Sortir de sa ligne éditoriale, c’est prendre le risque de créer la confusion chez le public. Et de « polluer » un flux soigneusement curaté en rompant avec l’identité visuelle publique que l’on s’est construite.
Pour montrer une autre facette de sa personnalité, une facette plus authentique, il faut créer un autre compte.
Ça peut paraître triste de devoir segmenter sa personnalité et reléguer sa « vraie vie » à un compte secondaire, presque en secret.
Cela valide l’idée selon laquelle la vulnérabilité n’a pas sa place sur Insta.
Le réseau se veut inspirant, positif. Les crises existentielles, ça pète l’ambiance et ça ne fait pas trop cliquer. D’ailleurs, comment les illustrer ?
Mais le phénomène finsta montre aussi une bonne compréhension du réseau de la part de ses utilisateurs. C’est un moyen de gérer ce que l’on souhaite montrer de sa vie !
Cette photo floue de soirée arrosée ferait vite tache sur un compte accessible à des recruteurs potentiels… alors en restreindre l’accès, c’est plutôt une bonne idée.
Un finsta peut aussi être un endroit où se dévoiler en se protégeant partiellement du cyber-harcèlement. Si on n’ajoute que des gens bien en qui on a confiance, il y a moins de risques que des harceleurs ou harceleuses tombent dessus.
Donner une place virtuelle à ce qui n’est pas « instagrammable », c’est prendre du recul sur l’image de soi, finalement, non ? Ça ramène un peu de « normalité » dans la débauche de perfection virtuelle.
C’est peut-être un premier pas vers l’acceptation de notre complexité.
Et vous, vous montrez votre vraie vie sur Insta, vous la réservez à un compte privé… ou vous ne la mettez pas du tout sur Internet ?
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