– L’image d’illustration est tirée de la série Grey’s Anatomy.
À cette occasion, une madmoiZelle témoigne sur son quotidien avec la douleur chronique.
Contrairement à ce que l’on peut penser, la différence entre la douleur chronique et aiguë n’est pas dans l’intensité. Une douleur aiguë est courte, dure moins de six mois ; si elle se prolonge plus longtemps, c’est une douleur chronique. J’y suis confrontée tous les jours : voici mon histoire (lancez une musique dramatique).
La crise comme un coup de massue
Ma première crise a commencé un jeudi, pendant des vacances, avant de reprendre les cours — elle a sûrement été déclenchée par un peu de stress. Je me suis retrouvée clouée au lit. Je n’avais ni la force d’ouvrir une bouteille d’eau, ni celle de rester éveillée plus de quelques heures. C’était une douleur bien pire que ce que j’avais connu jusqu’à présent.
Je ne me suis pas inquiétée les premiers jours, mon médecin non plus, pensant que c’était « probablement un sale virus ».
Au bout d’un certain temps, la douleur ne disparaissant pas alors que les prises de sang me déclaraient en parfaite santé, j’ai commencé à paniquer. A commencé le grand marathon de l’errance médicale, avec à chaque rendez-vous son lot de stress, de faux espoirs et de « oh bah à votre âge c’est pas commun ».
On a fini par supposer une maladie, sans en être certain•e : le diagnostic s’est fait avec des examens cliniques, il n’y a pas de prise de sang magique pour confirmer la cause de ma détresse. La seule chose qui semblait certaine, c’est que la douleur ne partirait pas.
J’ai eu beaucoup de chance car pour moi, l’errance médicale n’a duré que huit mois : comme j’ai été conseillée par une autre malade (pas par un médecin), je me suis dirigée vers un centre spécialisé dans la prise en charge des douleurs chroniques.
J’ai une douleur chronique… je fais quoi ?
J’ai fait trois séjours d’une semaine dans ce centre qui faisait partie d’un hôpital. J’y ai fait de l’activité sportive adaptée pour lutter contre ma kinésiophobie (la peur du mouvement, ce qui est courant quand on a mal), vu une psy, fait de la sophrologie, rencontré d’autres malades, en somme commencé à réapprendre à vivre avec mon « nouveau corps ».
J’ai commencé à appliquer les conseils de l’algologue (pas le pro des algues, le docteur de la douleur) à la fin de mon premier séjour. Ces conseils sont presque devenus des leitmotiv.
- Organiser son temps
- Aller à l’essentiel, simplifier
- Se débarrasser des personnes toxiques, comme celles qui ne croient pas la réalité de la maladie
- S’écouter, et apprendre à dire non
- Ne pas trop en faire les jours où ça va bien
- En faire un petit peu les jours où ça va pas
Ces petits conseils peuvent sembler banals voire évidents, mais ils sont devenus presque vitaux pour ne pas me déclencher de nouvelle crise.
Cette expérience m’a réconciliée avec le corps médical : avant je n’avais rencontré que des médecins, toutes spécialités confondues, que mon cas n’intéressait pas vraiment et qui n’ont su me dire que « la douleur vous vous y ferez, la fatigue par contre ça va être handicapant, bisous ».
Même si c’est vrai, c’est le genre de remarque dont j’aurais pu me passer.
Une fois que le quotidien fonctionne, il faut penser à l’avenir, mais c’est autrement plus compliqué. Je n’aurais pas pu reprendre des études comme avant, donc je me suis lancée dans des études par correspondance
. Pour pimenter mon quotidien, j’ai également commencé à travailler comme correspondante locale de presse. C’est tout à fait le genre de métier qui me convient : des horaires très flexibles et une grande liberté — avec la possibilité de refuser des reportages.
Le seul problème est que c’est très précaire, mais heureusement je suis encore au domicile familial. Je ne pourrai par contre donc pas garder ce travail après mes études (il faudra bien partir de chez maman un jour m’voyez) mais je ne serai pas en capacité d’avoir n’importe quel emploi, et ça commencera à se compliquer (n’y pensons pas, on verra bien c’que l’avenir nous réservera).
La théorie des cuillères ou recréer un lien avec l’extérieur
Un jour où je m’égarais sur Pinterest à la recherche de mèmes sur la fatigue chronique (pour me rassurer sur ma non-solitude sans doute), je suis tombée sur une série plutôt drôle, mais où on était désigné•es par le mot « spoonie ». Après une enquête courte mais intense, j’ai découvert la théorie des cuillères, qui vient de Christine sur le blog But you don’t look sick (Mais tu n’as pas l’air malade).
Le topo, c’est que l’énergie dépensée pour une action coûte une ou plusieurs cuillères. Tu es un•e spoonie si tu souffres d’une maladie comprenant de la fatigue chronique. Les spoonies n’ont qu’un nombre limité (et faible) de cuillères quand ils/elles se lèvent le matin, contrairement aux autres qui en ont un nombre très grand ou illimité.
Par exemple, quand je me lève le matin, dans un jour moyen, je vais avoir une dizaine de cuillères disponibles. Pour me laver je vais dépenser une cuillère (deux si je me lave les cheveux), puis je vais me préparer (admettons que je doive sortir) : encore une cuillère. Je n’ai encore rien fait que j’ai déjà dépensé 30% de mes cuillères. Tu vois le délire ?
En plus d’ajouter un outil à ma propre compréhension de mon état, j’ai pu faire comprendre à mes proches ce que ça impliquait concrètement, comme expliquer la nécessité d’une organisation « carrée » en répartissant les cuillères dépensées sur plusieurs jours, pour ne pas me retrouver en déficit et déclencher une crise.
La rareté des cuillères leur confère aussi une valeur particulière : si j’en dépense pour passer du temps avec des amis, je ne peux pas y être simplement par défaut ou pour passer le temps, c’est que c’est le résultat d’un choix délibéré.
Le fait d’en avoir conscience a beaucoup changé ma manière de profiter des instants. Si je dépense une cuillère, autant vivre l’instant intensément. Et pour mes proches, « ne t’en fais pas : si je suis là, c’est que je le veux ».
Et sinon, ça va ?
Oui merci, bisous. Plus sérieusement, je vais bien, le fait d’avoir été contrainte de m’écouter a changé ma vie de beaucoup de façons. Je fais (enfin) des études qui m’intéressent, j’ai écouté mon envie d’ouvrir un blog malgré ma timidité, je vis une relation amoureuse équilibrée…
Même s’il y a des jours plus durs que d’autres où mes troubles de la concentration m’empêchent d’écrire, de lire ou de bosser mes cours, où les doutes concernant mon avenir ressortent, je reste très positive et heureuse la plupart du temps, et comme dirait mon ancien médecin, « ça pourrait être pire ».
J’ai mis très longtemps à écrire cet article, mais je veux le faire depuis le début : on ne parle pas assez des douleurs chroniques, et j’ai moi-même peur d’en parler. Je ne l’ai pas annoncé à mon employeur, donc quand je ne peux pas faire un reportage à cause de mon état, je trouve une autre excuse. Quand on me demande pourquoi je fais des études par correspondance, je suis toujours gênée de dire que ce n’est pas parce que j’ai un travail à temps plein, mais « juste » parce que je suis malade.
Il faut dire que les réactions ne sont pas toujours très agréables à entendre, et que j’en ai un peu marre d’entendre les diagnostics catégoriques de tout un chacun. On m’a dit que je suis dépressive, que j’ai vécu des agressions sexuelles, que je suis « fatiguée par peu de choses »… Alors qu’être malade, ça ne se voit pas toujours sur le visage.
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Les Commentaires
Il est vrai qu'il y a des jours où je vais pouvoir sortir voir des amies, et dans ces cas là qui se font assez rare depuis 6 mois, parfois je me heurte aussi au "mais tu devrais pouvoir retravailler vu que ça a l'air d'aller mieux", au "ah tu bois du sans alcool ? tu veux pas boire un verre avec nous" parce que mes antidouleurs ne me le permette pas comme le faisait remarquer @calliope2012 par exemple...
Et puis... étant toujours en période de réeducation du dos, j'ai fini il y a peu par me heurter au corps médical, celui qui ne comprend pas que même avec une dose hallucinante d'antidouleurs, j'ai toujours mal et je suis complètement érreintée... Celui là même pour qui je serais en réeducation depuis trop longtemps... "Maintenant vous devriez pouvoir mener une vie normale", oui je devrais pouvoir... Et je voudrais le pouvoir aussi, tellement. Mais ce n'est pas le cas parce que de banales petites actions du quotidien sont épuisantes pour moi, parce que je suis incapable de porter ne serait ce qu'une bouteille d'eau par moment, que je dois choisir entre me laver et me sécher les cheveux ou faire la vaiselle par exemple.
Je compatis donc avec les mad dans le même genre de situation parce que j'ai appris un peu à vivre avec, néanmoins moralement c'est fatiguant tout ça, de ne pas pouvoir simplement agir et faire ce que l'on souhaiterait sans réfléchir à si cela est possible, si ça ne va pas faire trop, comment on va se sentir après..