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Actualités mondiales

Comprendre le « doomscrolling », ce flux d’actualités qui vous déprime

Faire défiler des actualités tragiques toute la journée peut éroder notre santé mentale, mais comment se préserver sans arrêter de s’informer ? Voici quelques conseils pour survivre au doomscrolling.

Décidément, il est difficile de battre la langue anglaise quand il s’agit d’inventer des mots-valises. « Défilpocalypse » ? « Catastweets » ? Traduire de façon littérale le terme doomscrolling est quasi-impossible, mais vous avez l’idée : cette contraction de « dooom » (apocalypse) et « scrolling » (faire défiler) désigne le fait d’être confronté à des actualités tragiques en permanence, par le biais des réseaux sociaux.

L’impact d’un tel flux d’informations sur la santé mentale ne saurait être ignoré. Mais l’envie de rester sensibilisée et à l’écoute de ce qui se passe sur la planète peut sembler capital… Alors peut-on se protéger du doomscrolling sans se couper du monde ?

Le doomscrolling, ce danger moderne

Le terme circulerait depuis au moins 2018 selon la radio américaine NPR, et a connu un regain d’intérêt en cette funeste année 2020 si lourde de mauvaises nouvelles.

En vrac, citons le Covid-19, le confinement, Polanski aux César (« La honte ! »), les feux de forêt en Californie, la mort de George Floyd, Trump (pour l’ensemble de son œuvre), les féminicides, les guerres, l’attaque à la machette en plein Paris… n’en jetez plus, la coupe est pleine.

Et l’année n’est pas encore terminée !

À l’heure où l’information se trouve sur les réseaux sociaux, parfois plus vite que dans les médias, faire défiler Twitter ou Instagram n’est plus un moment de détente mais une fenêtre ouverte sur les atrocités du monde. Fenêtre qu’on peut vouloir maintenir ouverte, afin de regarder la réalité en face et de pouvoir agir… malgré les risques que cela comporte.

Le doomscrolling érode la santé mentale

Tout comme regarder une chaîne d’info en continu peut se révéler être une activité extrêmement anxiogène, contempler les horreurs défiler sur notre écran n’est pas la meilleure idée quand il s’agit de santé mentale. Le chercheur Mesfin Bekalu explique à Wired :

Depuis les années 1970, nous connaissons le « syndrome du grand méchant monde » — cette tendance à croire que le monde est plus dangereux qu’il ne l’est en réalité — qui est une conséquence de l’exposition longue durée à des contenus violents diffusés à la télévision.

Le doomscrolling peut mener aux mêmes effets à long terme sur la santé mentale, à moins que nous ne nous penchions sérieusement sur les habitudes des internautes et que nous fassions évoluer les réseaux sociaux de façon bénéfique pour notre santé mentale.

Anxiété, insomnies, perte d’appétit, stress… les conséquences de ce qu’on fait défiler chaque jour peuvent être multiples. Sans parler des risques inhérents aux réseaux sociaux : croire à des fake news, d’une part, et de l’autre se retrouver enfermées dans des « bulles de pensée » qui ne nous diffusent que des actualités alimentant notre vision du monde.

Un exemple ? Cliquer frénétiquement sur des faits divers censés illustrer « l’ensauvagement » de la société fera apparaître d’autres infos similaires, donnant l’impression que la France est à feu et à sang chaque jour. De quoi se méfier de ses voisins…

Et ce n’est pas parce qu’on est une jeune femme féministe que notre doomscrolling dégoulinera d’empowerment, malheureusement. Josiane Jouët, une sociologue qui a notamment travaillé sur les féminismes en ligne, décrypte pour madmoiZelle les risques de voir défiler sans cesse des actualités autour du sexisme :

Le fait d’être intoxiquée de mauvaises nouvelles, ça crée un climat d’insécurité : on se voit comme victime, victime potentielle, et non comme puissante. Ça alimente un climat de peur. Bien sûr, les femmes ont toujours été vigilantes, mais pas forcément de la même manière ni avec la même intensité.

Ça peut aussi perturber les relations intersexes, on peut se mettre à ne voir les hommes QUE comme des prédateurs, réels ou en puissance. C’est une retombée bien réelle du doomscrolling féministe.

Le rôle citoyen du doomscrolling

Comme chaque innovation technologique, le fait de pouvoir consulter l’actualité mondiale depuis la paume de sa main a ses mauvais côtés, mais aussi son utilité. Laurence Allard

, maîtresse de conférences en sciences de la communication (et cotraductrice de Politique du clitoris), explique à madmoiZelle :

Je ne parle pas ici de conséquences en matière de santé mentale, mais de conséquences au sens socio-politique du terme. Par ce prisme, on observe qu’être confronté à des informations en permanence a tendance à faire réagir, à créer de la solidarité.

Les contenus sont dramatiques mais génèrent un effet positif : ils activent une action, même à distance. Face à la souffrance, on s’unit et on la transforme en acte — même si c’est un acte aussi léger que retweeter ou partager dans sa story. On n’est plus spectateur d’un problème, on devient acteur, actrice de la solution.

C’est ce qu’on appelle le « clictivisme » : on relaie, on commente, parce ça nous donne l’impression de ne pas être restés passifs devant une souffrance. C’est l’empathie qui entre en jeu, et ça tombe bien car l’empathie est l’une des premières bases de l’action. Tout commence au moment où on est affectée par quelque chose.

Le doomscrolling ne se fait pas de façon unilatérale. Les internautes ne sont pas juste lecteurs et lectrices de ces actualités tragiques, ils les font circuler, ils sont aussi responsables du fait que les timelines en soient remplies !

Internet est un espace des possibles qui permet à tout le monde d’avoir un rapport direct à sa citoyenneté. Pas au sens d’appartenance à un État, mais au sens de rôle citoyen, d’acte politique ; informer ses followers d’une actualité, c’est un geste citoyen. C’est aussi ça, la démocratie.

Ça peut paraître absurde, car in fine, l’économie numérique est un immense trésor entre les mains de quelques milliardaires. Et pourtant, ce rôle de colporteur d’informations a une vraie utilité. Ça peut paraître futile, aussi, car on se dit que ce n’est qu’un clic, un like, un RT. Et pourtant c’est très concret.

Les mobilisations numériques donnent des résultats. On peut penser à #MeToo, plus récemment au #Lundi14Septembre, une action féministe d’ampleur nationale organisée sur Internet par de jeunes citoyennes françaises.

Il faut se rappeler que face à son écran, on n’est jamais seule, car l’écran est aussi un stylo, un micro, une caméra. Internet n’est pas un média comme la télévision ou la radio. C’est une fenêtre ouverte sur la Terre entière. Le doomscrolling, ce n’est pas un flux constant de mauvaises nouvelles : c’est le monde qui se parle.

Arrêter le doomscrolling et risquer de ne plus s’informer

Laurence Allard l’analyse très bien : le doomscrolling n’est pas, comme son nom pourrait l’indiquer, une activité passive. Elle fait partie intégrante de la façon dont nous réfléchissons notre rôle politique dans le monde, et nous l’alimentons autant que nous la subissons.

C’est déjà ce que certaines lectrices de madmoiZelle avaient évoqué en expliquant pourquoi elles suivent des comptes Instagram féministes partageant du contenu « déprimant » : c’est pour elles une façon de rester informées, sensibilisées, prêtes à agir, surtout lorsqu’il s’agit de sujets ignorés par les médias classiques. En commentant, en relayant, elles agissent à leur échelle contre le patriarcat.

Josiane Jouët tisse pour madmoiZelle un parallèle entre le doomscrolling et le FOMO, un autre néologisme. C’est l’acronyme de fear of missing out, la peur de rater quelque chose à la moindre déconnexion — une angoisse qui s’appuie, notamment, sur notre besoin d’être inclues dans des groupes sociaux.

Il y a dans le doomscrolling une forme de peur, la peur de décrocher, de rater quelque chose d’important, et d’être par conséquence « exclue » d’un groupe social qui s’articule autour de pratiques similaires — suivre et relayer les actualités autour du sexisme par exemple.

Même si les femmes qui font ça sont seules chez elle avec leur téléphone, elles sont dans une dynamique de groupe social, formé d’autres femmes qui font la même chose. De façon très informelle, souvent très inconsciente, on peut avoir peur de perdre l’accès à ce groupe si on change de pratique, si on arrête de scroller, de réagir, de partager.

C’est d’autant plus présent chez les jeunes générations, pour lesquelles Internet puis les réseaux sociaux ont été une première terre de liberté et d’autonomie, qui a permis de créer de nouvelles formes de lien social. On peut avoir très peur de perdre cette sociabilité.

Au-delà de ce rapport social, rappelons une vérité simple : quand on milite pour l’égalité, on n’a pas envie de fermer les yeux sur les inégalités. On ne peut pas lutter sans s’informer !

Alors si vous voulez rester sensibilisées et au courant de ce qui se passe dans le monde sans mettre en danger votre santé mentale, voici quelques conseils.

S’appuyer sur le militantisme pour préserver sa santé mentale

Josiane Jouët explique que pour elle, un début de solution se trouve dans le militantisme, au sens collectif du terme.

Toutes ces jeunes femmes qui dénoncent le sexisme sur Internet sont féministes, mais pas forcément militantes. Il y a une différence ; à mon sens, le militantisme c’est l’engagement dans un groupe, dans une force collective qui mène des actions.

Attention, je ne dis pas qu’elles ne sont pas engagées, ou qu’elles ne font pas avancer la cause des femmes ! Simplement, elles n’ont pas de collectif sur lequel s’appuyer.

La solution se trouve peut-être dans le nombre, et dans cette belle idée qu’est la sororité. Sans aller jusqu’à vous encarter dans toutes les asso féministes de votre ville, en choisir une, ou rejoindre une autre forme de groupe actif, peut vous permettre de ne pas vous sentir seules à tenter de vider l’océan à la petite cuillère !

Contrôler sa consommation des réseaux sociaux

Plusieurs façons d’aborder les réseaux sociaux peuvent limiter cette impression de se retrouver face à une avalanche permanente de mauvaises nouvelles. Citons par exemple :

  • Créer des comptes différents pour notre utilisation personnelle et pour nous informer ou militer : passer du nouveau chaton de notre tante à un témoignage de viol, ça peut être déstabilisant. Autant pouvoir switcher entre l’anodin et l’actualité !
  • Définir des plages où l’on s’informe : une heure le matin avec le café, une heure à la pause dej, une heure en rentrant le soir… à vous de trouver ce qui vous convient, mais l’idée est de bloquer des moments dédiés à l’actualité, plutôt que d’y être confrontées dès qu’on a une seconde de libre et que notre main se pose inconsciemment sur notre smartphone.
  • Savoir faire des breaks : les révisions de partiels, la veille d’un entretien d’embauche, la semaine de confrontation avec notre famille réac, autant de moments où on peut être fragile au niveau émotionnel. Il n’y aucune honte à se couper du monde quand on est dans une période sensible, quitte à rattraper ensuite ce qu’on a raté.

Ne pas oublier les actualités positives

Josiane Jouët rappelle :

Les algorithmes vont favoriser tout ce qui est scandaleux, car c’est ça qui marche, c’est ce que les gens suivent, ce qui les fait réagir. C’est vieux comme le monde, il y a toujours eu un attrait pour les crimes.

En effet, l’indignation est un facteur de viralité très efficace, bien plus que la satisfaction ou le soulagement. C’est pourquoi vous voyez beaucoup d’actualités négatives, et peu de bonnes nouvelles.

Pourtant, des alternatives existent. Les Bonnes nouvelles du féminisme publiées sur YouTube chaque mois, le magazine So good, « lancé par So Press et Ulule pour faire savoir au plus grand nombre qu’il existe des solutions qui suscitent l’engagement et la curiosité d’aller plus loin », le compte Twitter @goodable… ces contenus sont là, et nous avons le pouvoir de les faire rayonner comme nous faisons rayonner les actualités négatives !

Josiane Jouët conseille, d’ailleurs, de ne pas s’informer uniquement sur les réseaux sociaux, où le contenu est régi par ces fameux algorithmes : « Il y a des informations qu’on trouvera davantage dans les médias classiques, et des bonnes nouvelles qui se déroulent, par exemple, du côté législatif. » C’est moins viral, mais ça ne mérite pas moins notre attention que les actualités dramatiques.

Comme souvent lorsqu’on évoque les dérives des nouvelles technologies, la solution semble se trouver plutôt du côté « consommation raisonnée » que dans le sevrage forcé. Alors pensez à répandre aussi du positif dans vos timelines, et laissez l’effet boule de neige des réseaux faire le reste !

À lire aussi : « Derrière nos écrans de fumée » : les réseaux sociaux modifient ce que vous pensez


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Les Commentaires

5
Avatar de Justinemacaron
2 octobre 2020 à 12h10
Justinemacaron
D'ailleurs, pour élargir le sujet, je pense que l'on peut faire exprès de regarder les choses qui peuvent nous faire mal... On va essayer de renforcer cette insécurité en cherchant des articles, des posts, qui vont taper droit où ça fait mal. Ça s'appelle "digital self harm", en anglais, il me semble, et personnellement j'ai été énormément victime de ça (jusqu'à ce jour en fait...). Par exemple, quand j'avais 17 ans et que j'etais encore dans le placard, je regardais H24 des extraits des manifs pour tous. J'étais rentrée dans une espèce de tourbillon, un peu comme une addiction aux choses qui heurtent, dont je ne pouvais pas sortir car plus j'en regardais, plus youtube m'en recommandais. Et ça a été jusqu'à un point où je ne regardais que ça, et il a fallu que je les bloque une à une et que je contre la négativité avec du contenu bienveillant pour vraiment m'en sortir. Et j'ai replongé il y a un an avec les contenus de la droite américaine ultra conservatrice pro incels et thérapies de conversion, et là, il y a quelques mois, avec les fondamentalistes religieux de type Girl Defined ou The transformed wife (décidément, entre ça et les manifs pour tous...). Là, j'ai fini par bloquer tous les posts qui concernaient ces sujets, mais c'est vraiment dingue à quel point les réseaux ont créé ce type d'addiction...
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