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Oleg Baliuk
Santé

Comment j’ai perdu la vue en quelques jours à 20 ans

Il y a deux ans, en plein confinement, Manon a commencé à avoir des maux de têtes et des troubles de la vue. Des douleurs symptomatiques d’une hypertension intracrânienne idiopathique qui l’a rendue quasi aveugle en une semaine, avant de recouvrer une partie de son acuité visuelle.

En mars 2020, le monde entier se confine. Je suis trop contente de ne plus avoir cours puisque les universités sont fermées… Puis, je découvre le concept de cours en distanciel. Comme tous les étudiants de France, je passe mes journées enfermées dans ma chambre à suivre des cours en visio. 

Deux semaines passent, on est toujours cloîtrés et je commence à avoir des maux de têtes qui deviennent de plus en plus intenses au fil des jours. Je les explique par mon quotidien, enfermée dans ma chambre devant un écran. 

Une gêne qui ne m’inquiète pas tout de suite

Fin mars 2020, je constate que j’ai une gêne à l’œil gauche, je vois un peu trouble au centre. Pour moi, c’est logique puisque mes lunettes sont retenues en otage chez l’opticien qui a dû fermer comme la plupart des commerces.

Je ne souhaite pas déranger le médecin « pour rien », je reste avec mon Doliprane en dose maximale journalière malgré une efficacité très faible. Le 11 mai, on déconfine. Le 13, je croise une amie médecin et je lui dis d’un ton très léger ce qui m’arrive, mon trouble de la vue et mes maux de tête. Elle a l’air beaucoup plus concernée que moi par la situation et m’envoie en urgence chez l’ophtalmo.

J’arrive dans une salle d’attente bondée (puisqu’on est au jour 2 du déconfinement), je demande un rendez-vous d’urgence sans grande conviction puisque mon trouble de la vue ressemble à une trace de gras sur les lunettes qu’on ne peut pas nettoyer. 

Un oedème sur les deux rétines

L’ophtalmo prend également la situation très au sérieux. Je passe des examens, notamment une jolie photo de ma rétine. On y voit une grosse tache blanche et des petites taches rouges qui font penser à du sang. Bingo, il m’annonce que j’ai un œdème sur les deux rétines, au niveau de la jonction avec le nerf optique et que les taches rouges sont des petites hémorragies. Je vois dans son regard que c’est grave, il ne souhaite pas m’annoncer la totalité des scénarios plausibles, mais me dit que c’est dû à un problème de pression dans mon crâne.

 Je retourne voir mon amie médecin qui m’envoie tout de suite aux urgences, je dois passer une IRM. Elle me fait une liste non exhaustive des causes potentielles, parmi celles-ci une tumeur (qui prendrait de la place dans le crâne et créerait de la pression), une hémorragie cérébrale, ou encore rien, juste un problème comme ça sans réelle cause (qui serait le meilleur scénario). 

Aux urgences, je suis reçue très rapidement, ça ne m’était jamais arrivé, cela me fait prendre conscience une fois de plus que c’est grave. Je passe 20 minutes dans l’IRM, l’impression d’être un rôti dans un four qui fait beaucoup trop de bruit.

À la sortie, la neurologue m’annonce une excellente nouvelle, il n’y a rien. Pas de tumeur, pas d’hémorragie.  A priori, j’ai le meilleur des scénarios : le liquide présent dans mon crâne a juste décidé d’arrêter de s’évacuer. Ils me gardent pour régler le problème de pression, mais ne sont pas plus inquiets que ça. 

L’hypertension intracrânienne idiopathique

Je suis hospitalisée dans cet hôpital de région parisienne, seule, je n’ai pas le droit aux visites à cause du covid. On me fait une ponction lombaire  — oui, oui la piqure dans le bas du dos !   Un pur moment de plaisir (non) —, réalisée par des étudiants qui apprennent à la faire.

À cette occasion, on mesure la pression de mon crâne (dans le bas de mon dos !), je suis à 40 alors que je devrais être entre 20 et 25. On en profite pour retirer un peu de liquide afin d’apaiser mes maux de tête. Le traitement médicamenteux est mis en place, on m’explique le protocole. Une ponction lombaire, des médicaments pendant quelque temps, dans quelques mois si ça revient, on recommence, mais si cela se reproduit encore une fois, il faudra poser une valve dans mon crâne qui régulera le liquide.

On m’explique également que l’on ne sait pas vraiment ce qui cause cette pathologie, (l’hypertension intracrânienne idiopathique pour les étudiants en médecine, big up), mais qu’en gros, les médecins constatent que ça arrive plus souvent chez les jeunes femmes en surpoids ou obésité, ce qui est mon cas. On m’explique que pour éviter que cela ne se reproduise plus à l’avenir, il faudra que je perde du poids. On est vendredi, je débute mon traitement, je devrais aller mieux dans les jours qui arrivent et je vois plutôt bien. 

« Chaque matin, je vois plus sombre que la veille »

Le week-end passe, mais mes céphalées (le mot intello pour dire mal de tête) ne passent pas. À partir du lundi, je constate que ma vue se dégrade. Les ophtalmos ne sont pas alarmistes, selon eux c’est mécanique : lorsque les neurologues réussiront à régler le problème de pression, mes œdèmes vont se résorber et je n’aurai pas de séquelles.

Durant cette semaine, chaque matin lorsque je me réveille, je vois plus sombre que la veille. Le vendredi, je repasse une IRM, puis on me refait une ponction lombaire pour mesurer une nouvelle fois la pression. On cherche à comprendre pourquoi le traitement ne me fait pas de bien. Cette fois-ci, je suis à 80 de pression malgré le traitement en dose maximale. L’IRM montre que les veines chargées d’évacuer le liquide sont un peu écrasées, comme si on avait marché sur un tuyau d’arrosage.

L’équipe médicale semble un peu dépassée. Je suis quasiment aveugle, incapable de me déplacer seule. Je ne sais pas s’il fait jour ou nuit. 

Je ressens que les équipes sont un peu dépassées par mon cas, on ne m’explique plus rien. Une infirmière vient m’aider à préparer mes affaires pour mon départ. Personne ne m’a informé que lundi matin, je partais pour une intervention chirurgicale. Personne n’a prévenu mes proches, personne ne m’a expliqué en quoi consistait cette opération.

On m’envoie un interne en urgence. Studieux, il vient avec de jolis schémas à me montrer, mais je suis aveugle.

Il peine à m’expliquer qu’ils veulent me poser des stents (un stent, endoprothèse vasculaire, extenseur vasculaire ou tuteur vasculaire, est un dispositif, le plus souvent métallique, maillé et tubulaire, glissé dans une cavité naturelle humaine pour la maintenir ouverte) sur les veines écrasées. Le corps humain n’ayant encore une fois aucun sens, ils passeront par l’aine (en haut de la cuisse), ce n’est pas invasif, une opération très smooth. Sauf qu’une fois endormie et l’opération commencée, le praticien se rend compte qu’en fait mes veines vont très bien ! Pas de pose de stent. 

Comment je suis devenue presque aveugle a 20 ans
Brandsandpeople / Unsplash

On m’annonce que ma vue ne reviendra peut-être jamais

Le lendemain soir, toujours dans mon nouvel hôpital parisien, le chirurgien se présente à moi et m’explique qu’on va m’opérer en urgence cette nuit. On va me poser une valve, avec un tuyau qui ira écouler le liquide dans mon ventre (dans le péritoine pour les plus pointilleux, c’est genre vers le nombril).

Il m’explique qu’il fait ça pour sauver ce qu’il reste de ma vue, que peut-être que le reste ne reviendra jamais. Je suis assommée, on a passé une semaine et demie à m’expliquer que c’était mécanique, que ça irait et en une seconde j’apprends que je serai peut-être aveugle ou a minima malvoyante pour le reste de ma vie. 

Je passe quelques minutes avec mes parents qui ont une autorisation exceptionnelle d’être avec moi pour accueillir la nouvelle. J’entends mon père pleurer pour la première fois de ma vie, c’est grave. Je fais une nocturne au bloc opératoire  —  enfin, moi je dors, c’est le chirurgien et son équipe qui font la nocturne.

Le lendemain, on me retire le bandage et je découvre la jolie coupe de cheveux gagnée au passage. Le chirurgien semble excellent dans sa profession, en revanche, en ce qui concerne la coiffure, il y a du progrès à faire. J’ai un quart du crâne rasé, tout ce dont je rêvais (non).

Deux jours plus tard, je vois que le fauteuil dans ma chambre est bleu, victoire ! Je réussis à lire une pancarte écrite en gros dans ma chambre, j’ai 2/10 à l’oeil droit et je compte tout juste mes doigts à gauche, mais c’est déjà un progrès immense. Je fais des examens de champs visuels, j’ai de grosses taches aveugles au milieu et je ne vois plus rien en périphérie. 

Ma situation se stabilise, et je récupère une partie de mon acuité visuelle

Je rencontre une neuro-ophtalmo qui m’explique que maintenant que la pression de mon crâne est stabilisée, on doit observer la résorption de l’œdème durant 1 à 2 mois. À la manière d’un raz de marée qui se retire, on constate les dégâts une fois la dernière vague partie.

Le 2 juin, je rentre chez moi, tente d’appréhender ce qu’il vient de se passer et la nouvelle vie qui m’attend. Les semaines passent et le raz de marée se retire, je récupère vraiment bien en acuité, je monte à 6/10 à droite et 4/10 à gauche. Je peux lire, mon champ visuel s’agrandit un peu mais reste très chaotique. A priori, il restera peu ou prou comme cela pour le reste de ma vie. 

En septembre, je rentre en hôpital de jour dans un service de rééducation fonctionnelle pour déficients visuels. Je vais apprendre à adapter ma vie à mon handicap. Je vois des ergothérapeutes, une psychomotricienne, un instructeur en locomotion (une sorte de moniteur d’autoécole, mais à pied) qui m’apprendra à me servir d’une canne.

Aujourd’hui, je suis malvoyante

Deux ans et demi plus tard, je suis toujours malvoyante mais j’ai 10/10 à l’œil droit. C’est bizarre hein ? Je me déplace avec une canne car je ne vois pas en périphérie. Je ne vois pas les branches des arbres dans les parcs, je ne vois pas les trous, les marches des trottoirs, les poteaux s’ils sont en dessous du niveau de ma hanche. Je ne vois pas sur les côtés, donc je rentre dans les gens, les murs, les poteaux.

 Je demande à m’asseoir dans le métro pour ne pas être oppressée par la foule, mais on me dévisage lorsque j’ose lire sur mon téléphone. On m’invective dans la rue, j’ai eu le droit à « Eh, mais pourquoi tu as une canne si tu peux voir ? » par un mec posé en terrasse alors que je passais devant lui. On m’arrête dans les supermarchés pour me demander ce que j’ai.

Je suis adaptée à ma nouvelle vie, peut-être même trop adaptée, si bien qu’on en oublie mes difficultés. Dans mon école, on a rechigné à me donner les supports en amont (pour que je n’ai pas à lire au tableau), on m’a reproché d’utiliser mon handicap « en excuse ». « Rho ça va, tu vas pas me le dire à chaque fois » et bien si Jean-Michel, chaque jour s’il le faut. 

Enfin, dans les séquelles invisibles, j’ai découvert la joie de l’anxiété et des crises d’angoisses. La moindre douleur est prétexte à un scénario catastrophe. Théoriquement, je suis morte de 25 infarctus et 36 AVC depuis deux ans. Je deale avec mon handicap en me disant que 10/10 à l’œil droit alors qu’il y a deux ans je ne voyais plus rien, c’est de l’ordre du miracle. Je vois une psy et une psychomotricienne qui m’aident à mieux gérer mes angoisses, je suis bien entourée.

À lire aussi : J’ai perdu la vue à 19 ans

Crédit photo : Oleg Baliuk

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Les Commentaires

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Avatar de Ariel du Pays Imaginaire
9 novembre 2022 à 21h11
Ariel du Pays Imaginaire
Ca doit être super dur un truc comme ça qui te tombe dessus d'un coup! Et puis sans vraiment d'explication ! Mais c'est bien que la madz qui témoigne ait été bien accompagnée médicalement. Je lui souhaite bon courage pour s'adapter à tout ça.
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Voir les 4 commentaires

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