Habillées d’un même justaucorps noir, la championne de tennis Serena Williams et sa fille de 3 ans Olympia se partagent l’affiche de la nouvelle campagne du chausseur Stuart Weitzman.
Quelques jours auparavant, le designer Marc Jacobs embauche la fille de Madonna, Lourdes, comme nouvelle égérie. Blue Ivy se trémousse dans la vidéo de présentation de la collection Ivy Park de sa mère Beyoncé en collab’ avec Adidas. Gabriel-Kane Day-Lewis, fils d’Isabelle Adjani et de l’acteur britannique Daniel Day-Lewis, prend la pose avec sa mère pour la nouvelle campagne du tailleur de luxe Berluti.
En fait, si on commence à y réfléchir, la liste des « enfants de » (surnommés « nepo babies ») dans la mode donne le vertige (ou la nausée, c’est selon) : Lily-Rose Depp, fille de Vanessa Paradis et de Johnny Depp, est ambassadrice Chanel. Roméo Beckham, fils de Victoria et David Beckham, de Burberry. Jaden Smith, fils de Will Smith et Jada Pinkett Smith, a fait un petit tour du côté des collections femmes de Louis Vuitton. En décembre 2021, c’était Suzanne Lindon (fille de Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain) qui défilait pour la collection Celine printemps-été 2022 imaginée par Hedi Slimane et présentée à Nice.
À croire qu’il s’agirait d’un nouveau rite de passage obligé pour ses graines de star qui veulent se faire un prénom !
L’intérêt médiatique assuré pour les marques en embauchant des « nepo babies »
Ces « filles de » ou « nepo babies » ont tendance à mieux maîtriser les réseaux sociaux que leurs parents, et y donnent tout pour promouvoir ce genre de contrats et multiplier les projets.
Ce qui permet sans doute aux marques de fédérer une clientèle plus jeune, sans pour autant égarer les acheteuses plus âgées qui ont souvent regardé grandir ces enfants de célébrités dans les médias… Parce que leurs parents suscitaient déjà la fascination, l’aura de ces bébé-égéries du luxe s’avère assurée.
Et ça, les marques l’ont bien compris : ces personnes bénéficient ainsi d’un nom connu et d’une familiarité physique immédiatement évocatrice.
Quand elles se passent des parents connus pour miser directement sur les enfants avides de l’être, les grandes maisons font peut-être même des économies ! Un contrat avec Vanessa Paradis (connue depuis 34 ans, et ambassadrice Chanel avec 30 ans d’ancienneté) coûte sûrement plus cher qu’avec Lily-Rose Depp, 21 ans et (déjà) 7 ans de carrière audiovisuelle.
Employer l’enfant d’une égérie déjà installée, ça donne forcément un coup de jeune valorisant à l’image de marque… sans forcément apporter du sang neuf.
Le charme usant de la nouvelle aristocratie
Et c’est bien là le problème : l’entre-soi du luxe commence à fatiguer. Même si cultiver l’idée d’exclusivité fait partie de son ADN, cela ressemble de plus en plus à de l’endogamie et du népotisme (le pistonnage entre gens riches et puissants d’un même clan). D’où le surnom de « nepo babies » si populaire sur TikTok pour qualifier ces fils et filles de.
Si la famille tient lieu de valeur-refuge en période de crise comme celle que nous traversons aujourd’hui, cette excuse commence à avoir bon dos, comme nous l’explique l’anthropo-linguiste de la mode Saveria Mendella :
« Ce n’est pas une nouvelle tendance, ça fait longtemps que cette industrie fait appel à des “fils et filles de”. Parce qu’ils et elles font partie de leur clientèle historique, mais aussi par facilité de prendre des figures déjà massivement connues du grand public.
Depuis la pandémie, on a toutes et tous restreints nos interactions sociales à un cercle de proches, ce que la mode reflète en toute logique. Mais le refus de proposer de nouvelles figures nous dérange davantage, car il va à l’encontre de ce qu’on tente de dépasser en tant que société : les inégalités sociales héréditaires, le manque d’inclusion et de diversité, l’entre-soi qui n’a même pas conscience de l’être. »
Pourquoi les marques capitalisent tant sur les « nepo babies » ?
Si l’on commence à avoir l’habitude de voir des enfants de stars en égérie de mode, la doctorante à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales remarque que cette industrie recrute même du côté de la vieille noblesse à grands renforts de communication :
« Ce qui est nouveau, ce n’est pas de faire appel à des aristos. C’était déjà le cas avec Cara Delevingne qui appartient à la noblesse anglaise… Mais les marques la présentaient plutôt comme une icône rebelle. Aujourd’hui, elles capitalisent volontiers sur le statut monarchique de nouvelles égéries.
Citons Dior qui a fait défiler plusieurs fois Nikolaï, Prince du Denmark. Dolce & Gabbana qui nomment comme nouvelle ambassadrice Kitty Spencer, en insistant bien sur le fait qu’elle est la nièce de Lady Di. Ou encore Chanel qui prend Charlotte Casiraghi comme égérie et lui donne un club de lecture sous prétexte qu’elle a une licence en philo… »
Pour cette spécialiste du langage de la mode, l’industrie montre en fait qu’elle se replie sur elle-même :
« Là où le cinéma français fait semblant de ne pas se reproduire de père en fils et de mère en fille, la mode ne se pose pas de questions et l’étale même dans ses campagnes. Elle se renferme sur elle-même, en un microcosme, entre figures très proches en valeurs d’exclusivité, de rareté, et de noblesse.
Alors qu’elle pourrait faire l’effort de montrer de nouvelles figures d’inspirations, davantage en adéquation avec les attentes sociales… Montrer d’autres manières de faire famille, d’autres modèles de parentés moins hiérarchiques, moins biologisants. »
Doit-on voir un signe d’usure de cette tendance à travers le plan social que négocie la marque Comptoir des Cotonniers, qui a longtemps capitalisé sur les duos mère-fille en campagne (dont Charlotte Gainsbourg et sa fille Alice Attal) ? En tout cas, ce qui est certain, c’est que les difficultés de cette marque précèdent largement la pandémie, comme le révèle l’entreprise dans un communiqué relayé par 20 minutes.
Peut-être qu’il est temps que les « filles de » ou « nepo babies » brillent par elles-mêmes. Et surtout que la mode s’interroge sur son entre-soi excluant, afin de se renouveler et mieux se réinventer.
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