Il faut le dire, cette rengaine a beau être épuisante, elle rend heureux. Jouer le spectacle tous les jours, c’est mettre de l’extraordinaire dans le quotidien, et c’est très réjouissant (je dois vous mettre en garde, en ce moment il y a deux mots à la mode dans mon champ lexical : « réjouissant » et « bienveillant »).
Après une série de dix représentations, on a fait une infidélité à Avignon et on a filé à la Rochelle pour aller jouer aux Francofolies !
En route pour les Francos.
Les Francofolies je connais bien : j’y ai participé alors que mon projet était encore balbutiant, dans le cadre d’un dispositif qu’ils appellent « le chantier des Francos ». Soit deux semaines à La Rochelle, entouré de gens compétents et bienveillants (je vous l’avais dit) qui vous apprennent à faire de la musique un métier.
C’est là-bas que j’ai croisé la route de Christophe Gendreau, le metteur en scène de mon spectacle. Cette fois-ci j’étais programmé au grand théâtre, avec Stephan Eicher, c’était prévu pour être complet. Parfait.
Il va de soi que le respect sans bornes que je voue aux organisateurs, ajouté à l’enjeu majeur d’un spectacle dans cet antre de la profession, avait déclenché un trac cinq étoiles qui avait eu raison de mon envie de parler vingt-quatre heures avant l’échéance. Je m’isolais donc, vaquant dans la ville sans un mot, entre les gens et les musiques. Étrange attitude que de s’isoler, mutique, pour préparer un spectacle dont le but ultime est justement de se tourner vers les gens, dans un torrent de paroles… Mais c’est inévitable.
Une heure avant le spectacle j’étais allongé dans ma loge, par terre, en train de faire le point sur les reconversions possibles, parce que se mettre dans des états pareils, ça interroge sur le bien-fondé d’une vocation. Je me disais que diriger une petite agence d’assurance, avec mon nom sur la devanture, ce serait pas mal : horaires classiques, taux de trac très bas, voire négatif, le bonheur.
Évidemment tous les doutes se dissipent quand on ressent la bienveillance (vous étiez prévenu) du public des Francos à l’égard des artistes. Une minute a fallu pour pourfendre ce qui me paralysait depuis plus de vingt-quatre heures. Et la standing ovation, pour ce qui était la dernière de mon pianiste, Robin Notte, a eu raison de mes questions existentielles.
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En sortant du spectacle on était pile à l’heure pour voir l’évènement des Francofolies 2015 : Johnny Hallyday.
Je ne vous cache pas que je ne suis pas un fin connaisseur de l’œuvre, mais j’avais quand même envie de voir. À vrai dire, TOUT LE MONDE avait envie de voir. Et personne n’a été déçu.
Pendant deux heures, on avait en face de nous un phœnix. On imagine facilement que ses choix de vie n’ont jamais été vraiment très « bio » et on est abasourdi de voir comme la machine tient encore la route. Réjouissant (si vous vous plaignez je remplace par « que du bonheur ») !
Et puis nous sommes rentrés à Avignon, pour la deuxième et dernière partie de notre marathon.
Le pic de trac inouï des Francos a eu un effet positif au moins : il m’a anesthésié face à la pression. Je réalise enfin que le spectacle, je le connais quand même bien, que finalement, il en reste dix avant de revenir à la vie normale, et qu’il n’est plus question de s’embarrasser l’esprit avec des angoisses infondées.
On est rentrés, et le théâtre était complet, et moi je me suis senti à la maison.
Il y a un moment dans une course d’endurance où on arrête de compter les kilomètres qu’on a faits, pour se concentrer sur ceux qu’il reste à faire ; c’est parfois effrayant, quand le corps ne veut plus, quand l’esprit s’ennuie, quand la distance qu’il reste à parcourir est magistrale. Et c’est sûrement réjouissant (combo x5) pour ceux qui, bien préparés, atteignent l’arrivée en souriant, appuient sur leur chrono pour regarder le temps, font de petits étirements, et quittent la course en petites foulées, comme s’il leur en restait sous le pied.
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Sportivement, je n’ai jamais été de cette trempe ; moi la seule course que j’ai faite, je l’ai terminée en aidant mes jambes avec mes bras, et en rêvant d’étrangler les gens qui hurlaient « Allez, il ne reste que 500 mètres », le corps tremblant, avec des reliquats de banane au coin de la bouche.
Mais là, il faut se rendre à l’évidence : malgré les abysses de stress dans lesquels je migre avant une date cruciale, malgré la distance qui me sépare de ma famille et qui me ronge, malgré les océans d’incertitude dans lesquels je plonge quotidiennement, je suis ce coureur serein au vingtième kilomètre, qui se dit qu’il est temps de profiter, parce que ça passe vite, finalement, un marathon.
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