Je m’appelle Abigaïl, j’ai 25 ans et au quotidien, je suis militante pour la sensibilisation et la prise en charge de la santé mentale.
En 2019, il y a maintenant 3 ans, j’étais hôtesse d’accueil. Les apparences renvoyaient de moi l’image d’une jeune femme très heureuse : des amis super, des collègues, une vie géniale. Moi qui puise mon épanouissement au contact des autres, j’aimais mon travail et le fait de sourire, d’être au contact des gens, de parler.
Avec le confinement, ma santé mentale se dégrade
L’arrivée du Covid et des confinements ont eu des conséquences catastrophiques sur moi. Avec le télétravail, la journée, mes conditions de travail étaient bien plus solitaires. Le soir, je retrouvais ma famille, mais j’ai trouvé la distanciation sociale très difficile à gérer psychologiquement.
Petit à petit, j’ai senti ma santé mentale flancher. Une sensation de vide s’est installée en moi, et j’ai compris a postériori qu’il s’agissait d’un état dépressif. Je n’arrivais plus à me projeter, à avoir d’objectifs ou d’envies, à imaginer un futur heureux…
Quand j’ai commencé à sentir que quelque chose n’allait pas, j’ai eu le réflexe de repousser les choses. « Ce n’est qu’une phase, ça va passer ». J’ai trainé avant de me faire aider, et plus je me disais que je pouvais attendre, plus mon état empirait. À l’extérieur, je continuais à jouer un rôle et à dire que tout allait bien, ce qui a renforcé ma sensation de solitude et mon impossibilité de dire les choses.
Je suis arrivée à un stade où j’allais tellement mal que j’avais des pensées très sombres.
C’est là que j’ai pris contact avec un centre médico-psychologique, où j’ai vu une psychiatre pour la première fois. Celle-ci m’a diagnostiqué une dépression, et m’a prescrit des anti-dépresseurs.
Comment j’ai été diagnostiquée du trouble borderline de la personnalité
À partir de là, mon parcours psychiatrique a été compliqué. Les médicaments ne fonctionnaient pas, la psychiatre était débordée et mon état a empiré au point que j’ai dû me rendre aux urgences psychiatriques. J’étais arrivée à un stade où on ne pouvait plus attendre, et il n’y avait pas d’autre issue que de m’hospitaliser immédiatement. Après deux nuits aux urgences, on m’a transférée dans un hôpital pendant un mois et demi, puis dans un autre.
Au cours de ce parcours, on m’a proposé plusieurs types de traitement et de diagnostics, jusqu’à arriver sur le bon : on m’a annoncée que j’étais atteinte d’un trouble borderline de la personnalité ou trouble de la personnalité limite. Je n’avais aucune idée de ce que cela voulais dire, mais j’étais incroyablement soulagée de pouvoir mettre des mots sur mon état, et de mieux comprendre ma détresse et certains de mes comportements.
On m’a donné un stabilisateur d’humeur qui fonctionne très bien, et j’ai entamé un suivi stable, jusqu’à ce qu’on me propose une thérapie de groupe dans un hôpital de jour. L’idée m’enthousiasmait vraiment et avant de commencer, je me retrouvais avec un mois entier devant moi, sans rien de prévu.
Je suis partie en stop, avec mon sac à dos
J’ai décidé d’en profiter pour réaliser un de mes rêves de longue date, voir une aurore boréale de mes propres yeux ! Après deux ans à être baladée de professionnel en structure, j’avais envie de faire quelque chose pour moi et de partir à la recherche d’une aventure humaine, et solidaire.
J’ai prévenu mon psychiatre qui m’a fait une ordonnance un peu plus longue que d’habitude pour mes médicaments, et j’ai préparé mon sac à dos, sans aucune inquiétude : je savais que c’était ce qu’il me fallait. J’étais fatiguée d’être vue sans cesse comme une patiente ou une malade. Entre les hospitalisations, les rendez-vous psy dans l’espoir de trouver un accompagnement qui me convienne et tous les aspects de la psychiatrie que j’avais expérimenté, j’avais besoin de me sentir à nouveau en contrôle sur ma vie et actrice de mes décisions.
Au programme, un voyage en auto-stop jusqu’en Laponie.
Je suis partie de Lille avec une pancarte sur laquelle j’avais écrit une phrase qui m’avait donné de l’espoir quand mon moral était au plus bas, « Be the change you want to see in the world ». Je l’ai lue pour la première fois pendant ma première hospitalisation, et elle a planté la graine qui m’a permis de faire ce voyage !
Voyager en stop sans rien planifier
Je n’avais aucun itinéraire, et je ne savais pas par quels pays j’allais passer. Je me suis simplement dit « Pars, et on verra sur la route pour les soucis » ! Je n’avais aucune idée de si c’était réalisable, ou de combien de temps ça prendrait… Je ne savais même pas vraiment comment faire du stop. C’est d’ailleurs pour a que mes débuts sur la route ont été compliqués.
Je me suis retrouvée à Lille, à faire quatre ou cinq heures de stop sans la pluie, sans que personne ne s’arrête, et j’ai failli abandonner avant même que le voyage ne commence. J’ai fini par trouver un bus très peu cher qui m’a emmenée à Bruxelles, où le stop n’a pas beaucoup mieux marché. Je ne savais pas encore que pour faire du stop, il ne suffit pas juste de lever le pouce : il faut réfléchir à son emplacement et avoir une direction précise (qui n’était pas sur mon panneau) par exemple. Quand j’ai réalisé ça, les choses ont commencé à bien mieux se passer.
Du côté du logement, le plan était d’essayer de trouver des gens pour m’héberger au hasard des rencontres. Autant vous dire que ça n’a pas très bien marché, et je me suis repliée sur le fait de dormir dans des auberges de jeunesse la plupart du temps – à l’exception de quelques nuits en coachsurfing, chez des personnes qui m’avaient prise en stop, où chez des gens rencontrés via Instagram.
« Je voulais reprendre espoir en l’humain »
J’ai passé un mois à voyager au jour le jour, en me laissant porter par les gens et les événements. Je me levais le matin en n’ayant aucune idée de si l’auto-stop allait marcher ou de l’endroit où j’allais bien pouvoir dormir. Ça peut sembler étrange, mais c’était très important pour moi.
Je voulais voyager pour voir l’entraide et la bienveillance à l’œuvre, rencontrer le plus de monde possible, et me rendre un peu d’espoir en l’humain. C’est là que toute la beauté de ce voyage réside pour moi : il n’aurait pas été possible sans toute l’aide que les personnes rencontrées par hasard sur la route m’ont offert !
Finalement, j’ai commencé mon parcours en France, à Lille, puis je suis passée en Belgique, aux Pays-Bas, au Danemark, en Suède, en Finlande et enfin en Laponie finlandaise. Je n’ai malheureusement pas vu d’aurore boréale, mais ce fut une très belle leçon de plus : l’important, c’était le chemin pour y arriver !
Au retour, j’ai traversé l’Estonie, la Lettonie, la Pologne, l’Autriche, la République Tchèque puis l’Allemagne, avant de rentrer en France à temps pour ma thérapie.
Durant tout ce périple, j’ai porté très fièrement ma pancarte et mon message, le sourire aux lèvres. Car même si je ne pouvais pas interagir avec tout le monde, je sais que toute personne m’ayant croisé a lu cette phrase et qu’elle aura peut-être planté, comme pour moi, une petite graine vers quelque chose de beau. Et grâce à l’auto-stop, j’ai rencontré des personnes exceptionnelles, pleines d’empathie et d’envie de rendre service.
L’auto-stop et la bienveillance
J’ai été marquée par la bienveillance qui s’est dégagée de ce voyage. Je n’ai pas eu une seule mauvaise expérience, et je suis toujours tombée sur des gens qui voulaient m’aider. Aujourd’hui, plein de petites choses me restent en tête : les personnes qui, au départ, n’allaient même pas dans ma direction et ont fini par m’accompagner jusqu’à la frontière en faisant un détour, ou encore celle qui n’avait pas de place et qui a réorganisé toute sa voiture pour m’aider à faire un bout de trajet.
Il est arrivé très souvent qu’on me prenne au départ pour un trajet vraiment court et qu’au gré des discussions, les conducteurs ou conductrices m’amènent bien plus loin que prévu. J’ai aussi été prise sous l’aile d’un couple d’octogénaires danois qui m’ont hébergée, de parents qui me proposaient les yaourts de leur bébé…
Certains avaient certainement des a prioris sur les auto-stoppeuses et ont finalement été très heureux de pouvoir m’aider. Et pour moi, c’était trop de pouvoir discuter et apporter de la joie dans la journée de quelqu’un. D’ailleurs, j’ai gardé les coordonnées de toutes les personnes qui avaient bien voulu me prendre en stop, et je leur ai envoyé des photos de mon périple !
Ce que je retiens de ce voyage
Ce voyage a été un apprentissage immense pour moi. La flexibilité que demande le stop, les imprévus de la route m’ont aidée à comprendre qu’on ne sait jamais ce que la vie va mettre sur notre chemin, qu’il ne sert à rien de se faire une idée trop précise des choses. J’ai appris à accueillir ce qui vient, dans un état de confiance. Je me disais que quoi qu’il arrive, ce serait toujours mieux que l’hôpital et ce que j’avais vécu avant.
Ce que j’ai découvert, c’est que dans n’importe quelle situation on trouvera toujours une personne pour nous aider, et qu‘à l’inverse, on peut tous être cette personne pour quelqu’un. Si c’était à refaire, je recommencerais un milliard de fois !
D’ailleurs, j’ai très envie de recommencer : vu que je n’ai pas vu d’aurores boréales, je vais devoir retourner en Laponie… Mais ce sera pour une autre aventure !
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