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Travail

Vis ma vie de professeure de collège en période de confinement

Si l’adaptation vers le télétravail a été une épreuve pour tous et toutes à cause du confinement, pour les enseignants à l’Éducation Nationale, c’est une situation bien particulière. Deux Rockies témoignent.

Le jeudi 12 mars 2020, Emmanuel Macron l’annonçait dans son allocution auprès de tous les Français et Françaises : les étudiants, étudiantes, écoliers et écolières n’iront plus en classe jusqu’à nouvel ordre.

Au-delà du chamboulement et de l’angoisse qu’a généré cette annonce auprès des élèves, ce sont les professeurs et professeures, en première ligne dans ce changement radical, qui dealent jour après jour avec les problèmes techniques, les plateformes de cours en ligne saturées et l’inquiétude croissante des familles.

Confinement et coronavirus : l’Éducation Nationale forcée de s’adapter

Ce mardi 24 mars, le gouvernement a annoncé que tous les concours et examens de l’enseignement supérieur seraient reportés à fin mai.

Dans une interview au Parisien, le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer annonce comme « scénario privilégié » un retour des élèves en classe le 4 mai, mais rappelle que ce calendrier est « tributaire de l’évolution de l’épidémie ».

Ferme dans son positionnement et dans les décisions prises jusqu’à présent, l’objectif du premier du ministre reste clair : les cours doivent continuer et l’objectif d’augmentation du niveau général des élèves doit persister, malgré les circonstances inédites.

Pendant ce temps là, du côté de l’enseignement, le quotidien se vit avec un lot considérable d’inconnues, et surtout, un manque cruel d’organisation et de moyens.

Deux professeures dans des collèges témoignent de leur situation personnelle.

Être professeure d’anglais dans deux collèges pendant le confinement

Cette Rockie est professeure d’anglais certifiée et bosse pour l’Education Nationale (EN) dans deux collèges en service partagé, et depuis le début de ce confinement, c’est un véritable cauchemar qu’elle décrit.

Elle témoigne de l’énorme retard informatique de l’EN et des conséquences sur sa santé psychologique, son rythme de travail et la scolarité de ses élèves :

« L’EN a 10 ans de retard en matière d’informatique, donc l’avantage d’être chez moi, c’est que j’ai un ordinateur fonctionnel (acheté sur mon argent perso, bien entendu, alors que c’est mon principal outil de travail après mes neurones).

Nous n’avons pas de matériel portable généralisé dans mes établissements, et les ordinateurs rament comme pas possible. Au moins, là, je sais que je peux bosser, en théorie.

L’autre chose qu’il faut savoir c’est que nous ne sommes pas prêts à gérer du télétravail contrairement aux annonces du ministre. J’ai 30 ans, je suis adepte de l’informatique depuis toujours, je suis curieuse et j’ai toujours cherché à trouver des outils et plateformes sympas pour mes élèves, mais concrètement ça ne me prépare pas à la crise que nous vivons.

Tous les sites que j’utilise habituellement saturent, chaque nouvelle astuce proposée par des collègues est évidemment prise d’assaut elle aussi et chaque nouvelle solution apporte un nouveau lot de problèmes.

Il faut savoir que nous somme légalement limités dans les outils que nous pouvons mettre à disposition des élèves : à cause du respect des données (ce qui est une bonne chose en soi), la plupart des astuces ou sites alternatifs que nous trouvons ne sont en fait pas acceptés par l’EN.

En plus, le son de cloche change dans chaque académie, voire dans chaque établissement :

– Continuez vos séquences habituelles, rien ne change. Non, faites de la grammaire et des leçons/exercices (méthode pourtant rejetée depuis des années par nos inspecteurs). Spoiler : sans un mix des 2, en classe, on arrive à rien. – Ne passez que par les Environnements Numériques de Travail installés dans votre établissement, n’utilisez que les sites agréés. Non, tous les plateformes sont bonnes, tant que vous arrivez à contacter vos élèves. – Donnez environ pour 1h de travail hebdomadaire. Non, c’est trop. Non, c’est pas assez. – Viosioconférence! Non, pas de visioconférence, ça rame encore plus!

Bref, c’est déjà difficile sur un établissement, sur deux voire plus ça devient une acrobatie quotidienne. Je dois me connecter sur pas moins de quatre sites différents plusieurs fois par jour, uniquement pour prendre connaissance des consignes de mes principaux et tenter de contacter mes élèves.

Les messages se multiplient (plus de 150 dans une journée !). Ensuite, selon ce que je veux proposer aux élèves j’ai le choix entre des dizaines de plateformes qui sont toutes susceptibles de saturer à un moment ou un autre.

J’ai passé en fait plus de temps à accéder aux sites qu’à faire mon travail cette semaine.

Les élèves comment à s’inquiéter et les parents commencent à paniquer, certains deviennent agressifs dans les messages qu’ils nous envoient. Mais comme l’EN n’a pas su anticiper, la seule chose qu’on peut leur dire c’est qu’on attend, qu’on cherche une alternative, qu’on est dans la même galère qu’eux.

Hier, j’ai passé 3 heures à préparer des fichiers de leçons, à alimenter les espaces d’informations pour les élèves, à proposer des créneaux de chat pour répondre à leur questions…

Sur ces 3 heures, 2 heures au minimum ont été passées à rafraîchir les pages parce que les sites « freezaient » au moment de poster les messages. Réponse du rectorat : connectez vous après 21h et avant 8h.

Certaines de mes collègues travaillent entre minuit et 3h du matin pour poster leurs cours, sans garantie que les élèves y accèdent le lendemain.

Mes élèves sont dans des zones quasi-blanches, il est déjà difficile en temps normal d’avoir des connexions stables sur une longue durée. Là ça devient mission impossible. Sans compter ceux qui partagent un ordinateur avec toute la famille et ceux qui sont en totale fracture numérique, comment fait-on?

Je voulais profiter de cette période pour anticiper sur (l’hypothétique) semaine de rentrée et préparer mes documents, faire le tri, etc. Je me retrouve à gérer au jour le jour sans plan à long terme. Et c’est frustrant de ne pas pouvoir se projeter dans son travail.

Sans compter le retard que vont prendre mes élèves s’ils ne comprennent pas ce que je leur propose. Rien ne remplacera jamais le contact direct avec eux. Beaucoup de famille vont en prendre conscience. Même humainement, tout le lien avec mes élèves se perd.

Bref, la situation cette première semaine relève du n’importe quoi et franchement, chaque prof que je connais fait de son mieux pour trouver des solutions. Mais on est limité à cause de notre institution vieillissante et qui n’a tout simplement pas mis les moyens où il fallait.

J’ai conscience d’avoir encore la chance d’être chez moi, quand les personnels soignants, les caissières, les routiers, les agents techniques et de maintenance, les éboueurs et tellement d’autres sont dehors et plus à risque que moi.

Mais je ne peux m’empêcher de penser que dans une crise comme celle-là, on voit la valeur d’un service public de qualité, et on voit comme il a été mal considéré ces dernières années.

C’est bien de dire au personnel du service public et à tous ceux qui nous permettent de nous ravitailler, de vivre dans des espace propres, etc. qu’ils font preuve d’un professionnalisme et d’un engagement exemplaires, c’est bien d’applaudir, c’est bien de dire merci…

C’est mieux de leur donner les moyens de faire leur travail correctement. Et ça fait très longtemps que ces services sont cassés, dans une grande indifférence.

En ce qui concerne la vie perso, je suis seule dans mon appart donc j’ai la chance de ne pas me prendre la tête avec qui que ce soit. J’essaye de garder une forme de rythme pour éviter de tourner en rond.

Sport le matin, boulot en alternance toute la journée, quand les sites sont disponibles. Et des nuits que j’essaye d’avoir reposantes et suffisamment longues. J’ai peur que la solitude me gagne les prochaines semaines, car il semblerait que nous soyons partis pour un moment.

Ne pas être face à un autre être vivant pendant si longtemps ça pèse, même sur les introverties dans mon genre ! Il y a les apéros en visio et je n’ai jamais autant appelé et contacté mes amis et ma famille que ces derniers jours, mais il est clair que ça aura aussi ses limites et qu’on ressortira tous et toutes changées. »

Scolarité pendant le confinement : se reposer sur la débrouillardise des enseignants et enseignantes

Audrey a 27 ans, elle est aussi professeure en collège, et dans la même veine que le témoignage précédent, elle vit un calvaire depuis l’annonce du confinement.

Elle décrit sa situation de télétravail comme un « univers parallèle » et se sent seule face à cette situation inédite dans laquelle elle a dû improviser, avec heureusement le soutien de ses collègues :

« J’ai appris que j’allais devoir travailler à distance avec l’annonce de la fermeture des établissements scolaires. Le ministre avait indiqué que nous étions prêts depuis des mois.

Seulement voilà, lui semblait prêt, mais les professeurs n’avaient eu que peu d’infos sur ce qui était « prêt » et surtout aucune explication.

Le vendredi 13 mars était le dernier jour de cours. La direction nous a informé qu’ils n’avaient pas eu plus d’informations que nous et a fixé une réunion le lundi 16 au collège pour s’organiser. En indiquant que nous continuerons à nous rendre au collège de temps en temps pour des réunions (les parents d’enfants en bas âge étaient excusés).

Avec les annonces du week-end, le mot d’ordre a changé : tout le monde reste chez soi et travaille à distance. Le problème ? Nous n’avons aucun matériel fourni par l’Éducation Nationale pour travailler de chez nous.

Pas de soucis, les professeurs sont connus pour vouloir avant tout le bien de leurs élèves et sont bien sûr prêts à travailler depuis leurs ordinateurs personnels !

Pas de consigne officielle donc. J’ai passé le premier week-end à travailler pour m’organiser. J’ai décidé de mes modalités de fonctionnement, et j’ai pris le temps d’adapter tous les cours que j’avais prévus pour la semaine à venir.

Ce n’est pas du tout pareil de faire cours en présentiel et d’envoyer des documents de travail à des élèves.

Le lundi j’envoie un plan de travail à mes élèves pour ma matière. Certains points sont à faire sans vérifications de ma part, d’autres travaux sont à me renvoyer pour le vendredi. Ainsi, les élèves peuvent étaler le travail à leur guise.

Pendant la semaine, je n’ai pas d’horaire fixe. Je commence à travailler dans la matinée, pause le midi et début d’après-midi et je reprends le travail pour la fin d’après-midi et le début de soirée.

Pendant mon temps de travail, j’ai divers tâches. Tout d’abord, tout au long de la journée, je reçois des questions d’élèves et de parents qu’il faut guider et rassurer. Ce sont des modalités de travail nouvelles pour tout le monde et si on n’est pas présent pour eux, ils peuvent vite baisser les bras.

Pour beaucoup d’élèves, l’école à la maison, sans les explications orales et les questions au professeur, c’est beaucoup plus compliqué ! Je réponds donc en respectant une plage horaire pas avant 9h et pas après 17h !

De plus, je dois prendre le temps de vérifier que les élèves dont je suis la prof principale ont bien accès à tout ce dont ils ont besoin pour travailler, je dois donc aussi prendre le temps de contacter les familles si je vois qu’un élève ne réponds pas et ne se connecte pas.

Mes autres tâches : réceptionner les travaux, corriger, préparer les cours, remplir les bulletins (puisqu’on est en période de conseil de classe)… Des journées bien remplies.

En plus de rester en contact avec les familles, on reste aussi en contact avec les collègues et la direction de l’établissement. Avec mes amis, on a notre salle des profs sur WhatsApp et on discute beaucoup des modalités de travail sur l’ENT avec tous les collègues, ce qui a pu amener des tensions.

Tout le monde n’ayant pas la même manière de faire, on peut assister à des divergences d’opinions que la direction a dû gérer. Celles-ci sont normales car l’EN n’avait rien de prêt pour le télétravail. La plateforme du CNED proposée par le ministre comprend des séquences qui ont pu déjà être travaillées par les professeurs.

La classe en visio n’est pas pratique : les élèves n’ont pas forcément accès à un ordinateur au même moment si toute la famille se partage le même ordinateur…

Quand rien n’a été préparé et que le personnel et les familles (parents et enfants) n’ont pas été formés (j’insiste sur la formation, c’est bien beau de proposer du contenu mais si personne ne sait l’utiliser, ça ne mène à rien), chaque professeur essaye d’être efficace en prenant ce qu’il maîtrise et les plateformes qu’il peut avoir l’habitude d’utiliser avec ses élèves.

Bref… L’éducation nationale n’était PAS prête à ça. Et là j’évoquais un cas plutôt fonctionnel : un collège dont l’ENT n’a pas planté et dont la grande majorité des élèves est équipée et la classe d’âge des élèves leur permet un minimum de travail en autonomie ! »

Merci au corps enseignant de l’Éducation Nationale !

Si les remerciements pleuvent pour toutes les personnes du corps médical qui continuent à bosser d’arrache-pied et à mettre leur santé en danger pour la communauté, toutes les personnes du corps enseignant de l’Éducation Nationale doivent aussi être saluées !

Cet article est donc aussi l’occasion de remercier tous les enseignants et enseignantes qui continuent à se démener pour que les enfants, adolescents et étudiants puissent continuer leur scolarité dans les meilleures conditions possible.

Si toi aussi tu es professeure des écoles, prof de collège ou de lycée et que tu veux témoigner de ton quotidien de cours en ligne et de déboires informatiques, tu es la bienvenue dans les commentaires !

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