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Société

Le jour où la voisine a été tabassée par son copain

Que faire quand une scène de violence conjugale éclate chez ses voisins ? Faut-il appeler la police ? Comment gérer sa peur ? Récit d’une nuit d’angoisse, et de douleur par procuration.

Publié le 31 janvier 2018

Je dors chez mon mec. On est fatigués, il est un peu malade. On a bien mangé, on est au lit. On s’endort doucement. Tout est calme, tout va bien, la pluie tombe sur le toit.

Et puis c’est l’heure. L’heure des cris.

La voisine s’engueule avec son mec quasiment chaque soir, c’est devenu un rituel, l’heure des boules Quies en attendant que ça passe.

Sauf que cette fois c’est différent.

Une scène de violence conjugale chez les voisins

« Sale pute, c’est qui ce mec ? » « Je vais te violer putain, je te jure que je vais te violer. »

Des coups. Des objets qui volent, heurtent le mur. Un bruit saccadé, dérangeant, le son d’un taser qu’on active.

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La violence, comme toujours, me tétanise. Je suis figée dans le lit, j’ai du mal à croire ce que j’entends. Quelque part entre les pleurs et l’engueulade, la voisine tente de se défendre.

Je ne la connais pas, la voisine. Je ne l’ai jamais vue, je n’ai jamais croisé son mec non plus.

C’est une inconnue, mais en cet instant, je ressens pour elle une brutale décharge d’empathie.

Appeler la police en cas de violence conjugale

Mon mec appelle la police. Il n’hésite pas. Il est clair que la situation dégénère, que ce n’est pas une dispute habituelle.

Le standard nous fait patienter. 5 minutes.

C’est long 5 minutes quand les sanglots, quand les coups, quand les menaces, quand les insultes. Parfois, le silence. Le silence est pire, car l’imagination prend le relais.

— Police secours, bonsoir, quelle est votre urgence ? — Il y a une violente dispute à côté de chez moi. Je pense que ma voisine est en danger. Il y a des bruits de coups, de chocs, le bruit d’un taser je crois. — Ah oui d’accord, on vous envoie quelqu’un. Donnez-moi l’adresse et le code pour rentrer dans l’immeuble. On arrive vite.

L’attente. Rien ne se calme à côté.

Il veut lui prendre son téléphone, elle proteste. Il tourne en rond comme un lion en cage, sa voix s’approche et s’éloigne, sa litanie de haine, les pleurs, parfois le rire.

Son rire est pire, son rire je le connais, c’est le rire fissuré d’un mec qui pète un plomb. J’espérais ne plus jamais l’entendre.

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Au bout de vingt minutes, des coups décidés à la porte. Une fois. Deux fois. Trois fois.

— C’est la police, ouvrez !

Silence total. La petite voix de la voisine : « Ça va, tout va bien, partez », à travers la porte toujours close.

— On nous a appelés, ouvrez. Il faut ouvrir, c’est la police.

Rien ne se passe. J’imagine la scène. L’appartement ravagé. La voisine ravagée aussi, peut-être. Ouvrir la porte, c’est être pris sur le fait.

Le mec de la voisine se met à discuter avec les flics à travers la porte. Bravache, vindicatif.

— J’ouvrirai pas, je m’en fous. Barrez-vous. On dort, on fait rien, allez vous-en.

Les policiers n’en démordent pas, ils veulent entrer, les coups reprennent, ils lui rappellent qu’ils sont en service, qu’ils ont toute la nuit s’il le faut.

Tapie dans le lit, lumière éteinte, contre mon mec. On respire doucement. On écoute très fort.

J’ai peur que le mec apprenne que c’est mon copain qui a appelé les flics. J’ai peur pour lui, et pour la voisine aussi.

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Rien n’y fait, le gars refuse d’ouvrir. La police rappelle mon mec, lui demande de sortir parler aux policiers, pour leur expliquer ce qu’il a entendu.

Mon cœur fait un salto. J’ai envie de lui dire « Non, n’y va pas, il va savoir que c’est toi, il va t’entendre ».

Mais je pense à la voisine. Et je ne dis rien. Je ne veux pas que la peur gagne.

Mon copain entrouvre sa porte, présente une pièce d’identité, chuchote ce qu’il a entendu à un policier qui lui répond sur le même ton : bas, et rassurant.

Pendant ce temps, un de ses collègues continue à échanger avec le mec de la voisine à travers la porte. À voix haute et claire.

Je me trouve égoïste, mais j’espère que ça suffira pour que le mec de la voisine n’entende pas que l’appel venait de l’appartement d’à côté.

Mon mec retourne dans le lit. Il tremble un peu, moi aussi. Ses mains sont glacées. Il essaie de me rassurer, mais il a peur aussi, alors on a peur ensemble.

Il me dit qu’il y a 3 policiers, des hommes de la BAC en civil. Qu’ils sont là pour agir, que ça va aller.

Et d’un coup : plus rien.

À lire aussi : J’ai été victime de violences conjugales — Témoignage

La peur qui reste après la violence conjugale

Je crois que les policiers sont partis, le mec de la voisine a refusé d’ouvrir la porte. J’imagine qu’ils ne peuvent pas la défoncer si les deux personnes à l’intérieur disent que ça va.

Plus un bruit, plus un murmure.

J’ai peur, parce que le mec de la voisine est toujours là. J’ai peur qu’il vienne dans la nuit, qu’il nous attende le matin. J’ai peur qu’il se venge.

Mon copain s’endort d’un sommeil agité, peuplé de mauvais rêves. L’épuisement finit par me pousser à l’assoupissement aussi. Je rêve de la voisine.

À lire aussi : Victime de violences conjugales, je refuse de devenir « la femme battue »

Au matin, on y voit un peu plus clair, mais pas beaucoup. On manque de repos tous les deux. L’immeuble reste silencieux.

Mon copain décide de rester chez lui, de ne pas prendre la fuite. Je retarde le moment de partir, et avant d’ouvrir la porte, on regarde par le judas.

Au cas où il serait là, sur le palier, à nous attendre. Avec ses poings, avec son taser, avec sa haine.

Personne. Je me glisse au-dehors, comme une souris, je dévale les étages en rêvant d’être musaraigne, d’être mouche, d’être oiseau, d’être plus petite et moins visible.

J’ouvre la porte de l’immeuble. La rue, comme chaque matin. Pluvieuse, passante, banale.

Devant l’immeuble, un homme téléphone. Il a une veste beige. J’ai cette idée folle : c’est lui, c’est lui, il m’attendait en bas et il va me choper, me demander à quel étage j’habite, si c’est moi qui ai prévenu les flics.

Le mec finit son coup de fil et s’éloigne. Il ne m’a pas jeté un regard. Ce n’est pas lui. Mais tout le reste du trajet, je regarde par-dessus mon épaule. Je me méfie des vestes beige, surtout.

Ça faisait longtemps, si longtemps, que je n’avais pas eu peur d’un homme.

Cette peur, je la connais, ce n’est pas la peur de la douleur, ou de l’agression. C’est la peur d’un homme violent, et même si je ne l’ai pas ressentie depuis des années, je la reconnais immédiatement.

C’est facile de la reconnaître : je n’ai pas peur des femmes en veste beige.

À cette voisine victime de violences conjugales…

C’est le premier matin, je me demande comment va la voisine, si elle s’est réveillée à côté de lui, si elle a seulement dormi. Si elle est blessée, si elle a mis du fond de teint sur ses bleus pour aller bosser.

Si elle va rester, si elle va demander de l’aide, si elle peut seulement s’imaginer lui échapper.

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Je ne sais pas ce qui va arriver ensuite. J’ai peur pour la voisine. J’ai peur pour mon copain. J’ai peur à l’idée d’aller chez lui à nouveau.

Il m’a dit de ne plus revenir, qu’il viendrait plutôt chez moi, mais j’ai refusé.

Cette peur ne m’avait pas manqué, et je refuse de la laisser gagner.

J’espère que tu vas bien, la voisine. J’espère que tu arriveras à t’en sortir. J’espère que tu ne seras pas la 221ème femme tuée par son conjoint cette année.

Je ne te connais pas, mais je suis sûre que tu mérites mieux que ça.

Parce que personne ne mérite ça.

À lire aussi : Les jeunes femmes victimes de violences échappent à l’aide des associations

Quelles ressources dans le cas où l’on est témoin de violences conjugales ?

Lorsqu’on est témoin de violences conjugales, le sentiment d’impuissance peut être intense. Que ce soit une voisine inconnue, ou une amie dont la relation devient toxique et violente, que peut-on leur apporter ?

La ressource principale concernant les violences conjugales est d’appeler le numéro 3919 : c’est un numéro d’écoute, gratuit, qui ne laisse pas de traces sur les factures.

Il permet à la fois aux victimes et aux témoins d’être conseillé·es selon leur situation particulière. Leur site est aussi riche en conseils.

Apporter de l’aide, si ça peut être appeler la police lorsque ça dégénère et qu’on craint pour la vie de la personne en question, ça peut aussi être « tendre une perche » dans le cas où tu connais la personne.

Faire sentir que tu es ouvert·e à la discussion, que si elle a besoin d’une oreille attentive, tu es là.

Surtout, ne pas porter de jugements, ne pas donner d’injonctions : cette personne en reçoit potentiellement déjà beaucoup dans le cadre de cette relation abusive, il vaut mieux garder le dialogue ouvert.

D’autant plus que rien n’est simple dans ce genre de situations.

Ça peut passer également par mettre des ressources à disposition de la personne en question, par exemple :

Ces ressources sont des outils à mettre entre toutes les mains, car on peut toutes et tous devenir des témoins, et donc potentiellement des personnes ressources pour les victimes.

Ce ne serait pas étonnant que tu en aies besoin, qu’un·e proche en ait besoin : une femme meurt sous les coups de son conjoint tous les trois jours.

À lire aussi : Jonathann Daval avoue le féminicide dont il s’est rendu coupable

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Les Commentaires

29
Avatar de Coco l'asticot
22 octobre 2019 à 21h10
Coco l'asticot
Ça vient de m’arrive sauf que c’est hyper frustrant car personne n’a ouvert la porte aux policiers (sauf moi ) donc sont partis mais je les entend qui gueulent!
0
Voir les 29 commentaires

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