Article publié le 9 août 2018
Si je n’avais pas pu avorter, aujourd’hui, à 24 ans, j’aurais un bébé d’un mois.
Jeudi 9 août 2018, j’ai appris au réveil que le Sénat avait voté contre la légalisation de l’avortement en Argentine. Je ne suis pas argentine, mais je ne peux pas m’empêcher de penser à la détresse profonde qui doit être celle des femmes ayant besoin d’interrompre une grossesse.
J’y pense car je l’ai vécu. Et le jugement que je vois, que j’entends porté contre celles qui élèvent leurs voix pour réclamer un droit, me révolte.
L’avortement, « ça n’arrive pas qu’aux autres »
Avant que tu ne commences à lire mon témoignage, j’aimerais tout de suite faire tomber les stéréotypes et les préjugés que tu as peut-être en tête, sur « le genre de femmes » qui tombent enceintes par accident.
Je suis une jeune femme issue de la classe moyenne, j’ai vécu toute ma vie en région parisienne, je suis allée à l’école, au collège, puis au lycée, puis j’ai fais 4 années d’études supérieures.
J’ai grandi dans une famille d’intellectuels, avec des parents présents, un entourage proche qui m’a toujours soutenue. Féministe avant de savoir que je l’étais, je me suis toujours posée des questions et renseignée sur ma sexualité, sur ma contraception.
À 17 ans, j’ai commencé à prendre la pilule. J’ai continué cette contraception pendant 5 ans, avant d’en changer pour un dispositif intra-utérin (DIU) au cuivre. Et j’ai fait partie des 1% de femmes à tomber enceinte avec un DIU.
Parce que ça n’arrive pas qu’aux autres, et qu’à celles qui « ne font pas attention ».
Si je n’avais pas été informée sur l’avortement
Il y a presque un an, j’étais encore en plein dans mes études, à Paris. Je sortais d’une relation amoureuse assez chaotique avec un homme que j’aimais, et que j’avais dû quitter parce que notre relation devenait toxique.
Depuis quelques semaines, nous recommencions à nous voir. Essayant de renouer notre lien, et de faire tant bien que mal table rase du passé, sans vraiment de succès. Et un jour, avant même d’observer que j’étais en retard de mes règles, j’ai senti que quelque chose dans mon corps changeait.
Le premier test de grossesse était positif, puis le deuxième, puis le troisième. Et sachant que les faux-positifs des tests de grossesses urinaires sont rares, j’ai quand même espéré que les trois le soient.
Après quelques minutes de panique, ma raison a pris le dessus. Parce que j’étais informée, parce que je savais vers qui me tourner, parce que je savais quels étaient mes droits, les délais, et parce que pas une seconde l’idée de « le garder » ne m’a traversé l’esprit.
Comment aurais-je fais si j’avais dû me cacher ?
Mon premier réflexe a donc été d’informer mon partenaire, puis d’appeler ma sage femme pour pouvoir faire une prise de sang.
Ma sage femme m’a donné un rendez-vous très rapidement, et sans me poser aucune question indiscrète, sur mon choix, sur les circonstances, ni sur quoi que ce soit, elle m’a fait une ordonnance pour la prise de sang.
Et à cet instant, je me sentais déjà chanceuse. Chanceuse d’avoir une sage femme qui m’avait toujours respectée, moi, mon corps et mes choix. D’avoir pu lui parler, lui poser mes questions, sans sentir qu’elle essayait de me dissuader ou de me moraliser.
Parce que même dans un pays comme la France, pays de droit et d’accès facilité à l’IVG, j’entends encore trop souvent des témoignages de femmes qui ont été traumatisées par leur prise en charge. Ou encore trop de femmes à qui l’on dit à tort qu’une IVG peut affecter la stérilité, voire rendre stérile, et qui se trouvent troublées dans leur choix.
Après le résultat positif à la prise de sang, qui a révélé que j’étais enceinte de trois semaines, j’ai pu faire une interruption volontaire de grossesse médicamenteuse.
Grâce à deux comprimés à prendre pour expulser l’embryon, moment éprouvant physiquement et psychologiquement que j’ai pu vivre seule, au calme, chez moi, par choix.
Le fantasme des IVG de confort
Pendant les manifestations anti-choix et autres débats sur ce que devraient ou ne devraient pas faire les femmes qui tombent enceintes, j’ai souvent lu et entendu l’argument selon lequel légaliser l’avortement inciterait les femmes à pratiquer des IVG comme on prend la pilule contraceptive.
Et pour moi, ceux qui tiennent ces discours ne sont clairement pas les personnes concernées par les problématiques abordées.
Car personnellement, je ne veux plus jamais revivre ça.
Et penser une seconde que toutes les femmes avorteraient par dessus la jambe, le sourire aux lèvres, en se disant que ce n’est pas grave ou qu’elles le referaient bien plutôt que de prendre une contraception, c’est premièrement manquer sérieusement d’empathie et deuxièmement n’avoir jamais vécu un processus d’avortement.
Pour l’avoir vécu, sentir son corps rejeter un embryon, ça fait mal. Ça fait mal au corps, et ça fait mal au cerveau. Mais pour moi, cette douleur était toujours plus acceptable que de mettre au monde un enfant non désiré qui aurait vécu dans la précarité.
Peut-être que certaines le vivent différemment, sans douleur, ni physique ni psychologique : et tant mieux pour elles. Mais prétendre que toutes le vivraient ainsi, c’est manquer d’empathie ET de réalisme.
Je veux des enfants, et j’ai avorté
Non, je n’entends pas non plus les arguments soi-disant « pro-vie » de ceux qui osent dire que décider à la place d’un « enfant » (qui n’est pas encore un enfant pendant les premières semaines de grossesse) de sa mort ou de sa vie serait immoral.
Je passe sur l’aspect soi-disant religieux et spirituel de cette réflexion, sur lequel je pourrais écrire une thèse : mais en quoi décider qu’un enfant devrait naître par tous les moyens, même avec une situation de famille instable, des parents trop jeunes pour avoir des moyens et une autonomie suffisante pour offrir un cadre stable et épanouissant pour l’enfant, serait-il plus moral ?
Comment aurais-je pu gérer un enfant, à mon âge ?
Aujourd’hui, je suis encore en couple avec l’homme avec qui j’ai vécu cette grossesse non désirée. Il n’a pas vraiment de travail, ni de bien immobilier, quant à moi je sors tout juste d’école et je rentre petit à petit dans la vie active.
Mes parents me payent encore beaucoup de choses, mon appartement, une bonne dose d’argent de poche, parce que c’est justement le moment de ma vie que je veux consacrer à mon boulot que j’aime, mais qui ne me rapporte pas assez d’argent pour vivre, et à ma relation de couple qui se construit petit à petit, mais qui est encore fragile.
Si j’avais mené cette grossesse à terme, j’aurais probablement pu finir mes études, et obtenir mon diplôme. Et avec mon copain, nous aurions sûrement composé et faits des choix pour gagner de l’argent et s’installer le plus vite possible.
Nous aurions fait une croix sur notre épanouissement personnel et nos aspirations professionnelles, de voyage, et de vie. Nous nous serions mis sous pression, mettant l’argent et le matériel comme objectifs premiers, et je ne suis même pas sure que notre couple à l’époque très instable aurait tenu le coup.
Est-ce que ça aurait été ça un choix moral ? Vraiment ?
J’aimerais avoir des enfants, oui. Mais je n’en aurai que si je peux espérer leur donner une vie stable dans laquelle ils ne manqueront de rien.
Pour que toutes les femmes aient un jour le choix
Alors aujourd’hui j’ai une pensée pour toutes les femmes de ce monde qui se battent encore pour obtenir le droit d’avoir le choix. Et pour toutes celles qui ont le choix, et qui continuent à se battre pour qu’il ne soit pas menacé.
J’ai une pensée pour tou·tes ces politicien·es qui continuent à nier les chiffres qui nous démontrent que les femmes avortent par tous les moyens, dans des conditions déplorables et en mettant leur vie gravement en danger.
J’ai une pensée pour toutes ces femmes qui sont hors la loi par le simple fait qu’elles sont des femmes qui veulent disposer de leur corps.
Et moi, je suis reconnaissante tous les jours d‘avoir eu le droit de faire ce choix.
À lire aussi : En Argentine, des milliers de femmes manifestent pour le droit à l’IVG
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