De 1879 à 2001, malgré les années, les enfants et les regards portés sur eux sont peut-être restés les mêmes. Des Etats-Unis à la Nouvelle-Zélande en passant par l’Europe, sélection de quelques récits, autobiographiques ou fictionnels, centrés autour de l’enfance ou d’un enfant.
L’enfant (Jules Vallès)
1879, France
Classique du récit d’enfance, L’enfant est le premier tome de la trilogie autobiographique du communard Vallès. L’enfant en question, c’est le petit Jacques Vingtras – futur bachelier puis insurgé, à l’image de son auteur. Au même titre que le garçon des romans d’Hervé Bazin, que celui du Poil de carotte de Jules Renard, l’enfant se construit dans son rapport à sa mère. Mère tyrannique ou du moins perçue comme telle puisque le récit se focalise sur les impressions de l’enfant. Enfant qui se forge sur cette belle mythologie selon laquelle on suppose qu’un enfant a en lui une part de rébellion suffisante pour se préserver du conformisme dans lequel l’autorité veut le fondre.
« A tous ceux qui crevèrent d’ennui au collège ou qu’on fit pleurer dans la famille, qui, pendant leur enfance, furent tyrannisés par leurs maîtres ou rossés par leurs parents« , Jules Vallès dédie ce livre.
Enfance (Maxime Gorki)
1913, Russie
L’enfance de Maxime Gorki commence avec la mort de son père, décrite avec une poésie stupéfiante et qui ne tarira pas au fil du récit. Le petit garçon est confié à ses grands-parents. Sous les coups, au milieu de la pauvreté, il découvre les épreuves d’un monde difficile. Mais en revenant sur son enfance, l’auteur ne s’interroge pas seulement sur lui même, le sens de son existence : son entreprise semble tout autant dirigée par le désir de décrire le peuple russe et ses misères. Quelques personnages magnifiques parsèment les anecdotes d’un récit aussi beau qu’il est fort, sans aucune complaisance geignarde.
« Et je partis gagner mon pain » : c’est comme ça que se termine Enfance, décision prise par le garçon sur l’injonction de son grand-père. Cette autobiographie se termine là où en commence une autre, En gagnant mon pain, deuxième tome d’une trilogie autobiographique que conclut Mes universités.
La désobéissance (Alberto Moravia)
1948, Italie
Luca est un jeune garçon. Il lui prend le dégoût de la vie, l’envie de mourir. Mais ce désir est tout sauf impulsif. Luca prend son temps et prépare pas à pas son suicide en se débarrassant de tout ce qui dans le monde lui procure du plaisir, tout ce à quoi il attache de l’intérêt.
La désobéissance peut être séparé en deux partie. Celle du détachement progressif de l’enfant à la vie ; puis celle de la découverte de ce qu’il ignorait, l’apprentissage de l’amour physique avec une infirmière venue prendre soin de lui.
Ce roman en réalité est sans doute une image : par l’anecdote qu’il raconte et qui se bâtit sur la désobéissance d’un garçon face à la vie, il finit par donner forme concrète au passage à l’âge adulte, précisément nourri de cette désobéissance. C’est une jolie histoire, bien menée et moins verbeuse que d’autres romans de l’Italien.
La futaie perdue, Livre premier (Rafael Alberti)
1959, Espagne
La futaie perdue est l’autobiographie composée de quatre livres de Rafael Alberti, poète espagnol.
Le premier livre concerne son enfance dans un village d’Andalousie, Puerto de Santa Maria. De sa naissance à son départ pour Madrid – début du deuxième livre, dans lequel il n’est plus l’enfant de ce premier tome – le poète revient sur son enfance avec un regard amusé autant qu’il est amusant, et surtout avec le même talent poétique que dans ses recueils.
Il y chante l’amour pour sa baie natale, pour ces après-midi de liberté qu’il connaît dans les dunes de son village et sème dans son récit des anecdotes rigolotes ou délicieuses.
Palais de glace (Tarjei Vesaas)
1963, Norvège
Palais de glace est une histoire d’amitié singulière entre deux petites filles, Siss et Unn. Elles se côtoient comme si quelque chose de nécessaire le leur dictait, touchent grâce à leur amitié tout juste naissante à des sentiments qui semblent presque fondamentaux. Puis la petite Unn disparaît, capturée par le froid enchanteur d’une grotte gelée.
Palais de glace devient alors l’histoire d’un deuil : celui d’une petite fille pour son amie à peine connue mais avec qui elle partageait déjà tout, d’une petite fille bien plus sérieuse et grave que ses aînés. Les enfants ont chez Vesaas ceci d’essentiel qu’ils sont directement touchés par la nature, qu’ils ont la capacité de comprendre instinctivement ce vers quoi les autres ne peuvent plus parvenir. Un joli roman.
Souvenirs d’un pas grand chose (Charles Bukowski)
1982, Etats-Unis
De l’enfance à l’âge adulte, le vieux dégueulasse le plus célèbre repasse avec un humour aussi décapant que de coutume sur les anecdotes les plus marquantes de sa jeunesse. Qu’elles soient dures ou grotesques, toujours la même force chez Bukowski : celle de rendre compte avec distance et esprit des émotions les plus graves.
Dédiée à « tous les pères », cette autobiographie est sans doute un de ses récits les plus émouvants. Bouleversant et non larmoyant : avec génie, la force transforme la douleur.
Ma terre, mon île (Janet Frame)
1982, Nouvelle-Zélande
Ma terre, mon île, c’est l’enfance de Janet Frame en Nouvelle-Zélande. Dans la pauvreté, la solitude, face aux premières découvertes de la langue et au rêve si tôt caressé de devenir poète.
C’est le premier tome de sa trilogie joliment intitulée Un ange à ma table, portée à l’écran par Jane Campion, et le thème de l’enfance prête à l’écrivain une fraîcheur délicieuse. Celle qui dans la plupart de ses fictions s’intéresse à l’enfance autant qu’à la folie en donne ici une représentation moins sérieuse, moins tragique. Les naïvetés de l’enfance, les souffrances amères, tout est rapporté avec douceur et humour.
L’année de l’éveil (Charles Juliet)
1989, France
Adepte de l’introspection, Charles Juliet couche sur papier son enfance parmi les enfants de troupe. Quotidien fait de solitude, brimades, angoisses et désillusions ; et surtout d’interrogations, fondamentales pour l’écrivain. Mais aussi d’espoirs en tout genre : grâce à quelques camarades, grâce à son chef et à l’envie qu’il nourrit de devenir comme lui un grand boxeur, et surtout, grâce à la femme de ce chef avec laquelle il découvre l’amour. D’abord gauche, effrayé, bouleversé, il finit par prendre la mesure de cet amour, éveillé enfin.
Aucune distance chez Juliet entre l’enfant qu’il a été et l’écrivain qui tient le stylo. S’il s’attèle à cette autobiographie, l’entreprise n’est pas vaine, comme c’est toujours le cas avec lui. On le découvre dès la première page : cet enfant qu’il a été et qui n’a jamais pu se délivrer de ce qui l’étouffait trouve avec ces pages le moyen de se libérer. La seule distance entre l’écrivain et l’enfant se fait là : l’enfant qui écrasait l’homme lui fait revivre son histoire et en se libérant, le libère. Qui sait si le lecteur n’y trouvera pas de quoi chercher à se libérer lui aussi.
A noter, une belle adaptation cinématographique par Gérard Corbiau, qui joue nettement plus sur le tragique mais est assez émouvante.
Le destin miraculeux d’Edgar Mint (Brady Udall)
2001, Etats-Unis
Ce roman est une histoire loufoque. L’enfant dont on suit les aventures ici a une particularité, de taille : on lui a roulé sur la tête. Le crâne écrabouillé, sa cervelle était à deux doigts de s’étaler sur l’asphalte, et voilà qu’un médecin lui redonne vie.
Le petit Edgar passe d’un hôpital à une école spécialisée puis à une famille d’accueil, jusqu’à ce qu’il s’échappe et prenne son destin en mains.
A l’image du recueil de nouvelles de cet écrivain contemporain, ce roman est original, le petit Edgar Mint s’il n’est pas comme les autres permet de donner naissance sur son passage à des personnages tout aussi amusants que lui. Un roman aussi léger qu’il se lit vite, aussi drôle qu’il est attachant.
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Les Commentaires
J'ajouterai aussi "Enfance" de Nathalie Sarraute, qui est merveilleux à mon gout.