– Article publié initialement le 5 mars 2014
Nous sommes en 2014, et j’ai le regret de vous annoncer que la croyance populaire penche du côté de la malédiction en ce qui concerne les règles. Non, pas les règles de « règlement » : les règles de « menstrues ». Environ une fois par mois, l’individu femelle se rend dans la forêt profonde pour un rituel satanique au cours duquel le diable en personne fait couler son sang impur de ses cuisses.
Enfin, c’est du moins ce que je lis dans les regards de pigeons apeurés auxquels j’ai droit lorsque je dis avoir mes règles.
Ce gif était inévitable.
Au risque de briser bien des mythes et des fantasmes bizarres, je me lance, je n’ai pas peur, je le dis, hop : personnellement ça me fatiguerait de devoir trouver une forêt tous les mois pour évacuer par mon vagin les pertes de sang de mon utérus dont les muqueuses qui étaient là pour accueillir un oeuf se renouvellent, faute de fécondation.
Oh, mais j’ai dit vagin. Je voulais dire « cuisses ».
Je ne suis pas un monstre, vous savez
Rassurez-vous : en vrai, la fâme n’est pas un suppôt de Satan. Enfin, si c’est le cas, d’une je n’ai pas été mise au courant et je n’apprécie pas d’avoir été mise à l’écart de cette façon, et de deux, si je dois être un suppôt, j’exige au moins de m’appeler Zitoire. Mon seul regret étant que cette blague n’est pas de moi.
J’ai parfois l’impression que certaines femmes ont un peu du mal à le croire elles-mêmes : faut-il donc avoir honte de cet écoulement qui vient faire coucou à ta culotte propre et non préparée alors que ça faisait une semaine que tu savais que « vendredi, c’est pipi du sang » ?
Bon, d’accord, je la refais version non édulcorée pour les enfants : faut-il avoir honte d’avoir ses règles ? (Ouh là, non mais j’ai dit « règles », je sais pas si tu te rends compte…)
Car oui, et ne levez pas les yeux au ciel, les flux menstruels sont toujours un tabou dans notre société actuelle si moderne, et c’est un fait. Cette merveille de fonctionnement du corps humain qui fait pourtant partie de nos origines — puisque, je regrette de devoir vous l’apprendre, les choux et les roses c’est que des conneries, en plus d’être pète-ovaire, est perçue comme encore moins hygiénique que l’action de déféquer.
Ah ben oui : raconter à tout le monde que vous avez coulé un bronze de qualité, ça c’est cool. Ahaha t’es dégueulasse, uhuhu. Mais demander à voix haute si quelqu’un a un tampon ou une serviette hygiénique, c’est grossier. Normal, non ?
Ce qui est épatant, c’est que ça vient de loin, cette peur du sang de la femme — du moins, celui qui lui sort de la chose, toi-même tu sais. La croyance la plus ancienne et qui a le plus perduré, ce serait que le sang menstruel était un liquide néfaste pour le corps de la femme dont l’écoulement est ainsi nécessaire, faute d’être enceinte (comme il se doit). Et de néfaste à impur, il n’y a qu’un pas, donc aux alentours du Moyen Âge, sous influence religieuse, les règles prennent des allures de punition pour le péché originel.
Plusieurs livres sacrés décrivent des rituels particuliers en cas de menstruation. Le Lévitique – qui en parle d’ailleurs dans le même passage que pour la gonorrhée, merci bien – impose par exemple l’isolement pendant tout le temps que la femme passera dans son état « d’impureté ».
Et c’est contagieux : si tu la touches, tu pues aussi. De même, dans le judaïsme comme dans l’Islam, tout rapport sexuel ou toute participation à des rituels religieux est proscrit le temps de l’épouvantable écoulement génital (mais sinon, un mec qui dit « ceci est mon sang » en servant du pinard, ça choque personne). Aujourd’hui encore, les règles sont clairement perçues comme étant impures dans certains pays d’Afrique ou d’Asie.
Bon, je peux comprendre qu’on n’aime pas la vue du sang. Mais déjà, je ne le montre pas… Et si je passe en mode berserk, si je me transforme en loup-garou ou si je me fais posséder par un démon sans m’en rendre compte chaque fois que j’ai mes règles, il faut me le dire, hein. Ne restez pas ainsi tapi-e-s dans la peur.
« Grr, j’avais oublié que c’était aujourd’hui. »
Après, c’est pas pour poser une bombe, hein, mais je vous rappelle qu’on est tou-te-s né-e-s dans un agréable mélange de sang et de caca. Vous en faites ce que vous voulez.
Cachez ce sang que je ne saurais voir
Si cet article vous paraît un peu cynique, un peu moqueur… C’est normal. Vous savez, à force d’avoir le sentiment de passer pour une extra-terrestre ou juste une grosse dégueulasse dès que l’on fait savoir, sans trop réfléchir, que son utérus est en plein stand-by sanglant, eh bien on fatigue sensiblement.
« Roh, mais, pfff, quel besoin tu as de partager ça, aussi ? » : le même besoin que tu as besoin de faire savoir que tu as faim, que tu as pipi, que tu t’es fait mal, ou que tu préfères des pâtes au beurre plutôt que de la purée, ce midi. Au pire, on va te dire qu’on s’en fout, non ? Moi quand on me répond qu’on s’en tamponne allègrement le coquillard, de mon utérus, ça aurait plutôt tendance à me faire plaisir.
Tout en finesse et en distinction. C’est possible.
« Rohlàlà, voilà, elle a ses règles, elle passe en mode martyr ! » : c’est fou le nombre de petites phrases qu’on peut sortir pour bien en rajouter à ce moment pas souvent très agréable ! Tu t’énerves ? Tu dois avoir tes règles. Tu protestes contre une remarque un poil sexiste ? Tu dois avoir tes règles. Tu es un peu triste ou contrariée et n’as pas envie de parler ? Tu dois avoir tes règles. Tu écris un articles pour râler qu’on doit cacher le fait d’avoir ses règles ? Tu dois avoir tes règles. (Non, je suis constamment aigrie, voyons.)
Je ne suis pas en train de revendiquer le droit de vous coller un tampon usagé sous le nez. Je n’ai moi-même pas plus envie de voir les écoulements génitaux de ma voisine que le PQ sur lequel vous venez de vous torcher. Je revendique simplement ces quelques droits qui paraissent relever du comble de l’absurdité :
- pouvoir dire « je suis fatiguée, j’ai mes règles » sans se faire faire les gros yeux
- pouvoir demander qui a un tampon pour dépanner sur un ton de voix de normal
- pouvoir parler librement de tout problème ou interrogation liés à nos douces menstrues, sachant que personne n’aura envie de parler de choses intimes au premier inconnu qui passe.
« Bientôt, tu vas voir qu’elle va revendiquer le droit de faire ses blagues dégueulasses… » : ahaha, mais… Oui ! D’accord, je vais faire en sorte de ne pas trop parler de sang à des gens qui n’en supportent même pas la vue… et je ne vais pas décrire comment ça se passe dans ma culotte, ne serait-ce que parce que c’est intime.
En revanche, un public qui glousse devant des blagues pipi-caca ou des blagues de cul un peu dégueulasses n’a pas le droit de prendre un air gêné à la blague « comment un vampire se fait-il une infusion » ou « ma cup, c’est la coupe du saint-Graal ». Des blagues qui sont, qui plus est, de grands classiques. Bande d’hypocrites.
Accessoirement, si j’ai envie de me plaindre que je sens les moindres détails de mon utérus en pleine décomposition, pour oublier un peu que je kiffe pas trop grave la vie là tout de suite, croyez bien que je ne vais pas m’en priver. Surtout si vous n’avez pas d’utérus et que vous ne pouvez pas décemment vous plaindre que vous ne voulez pas « imaginer la chose, merci bien ».
Par exemple.
« Ça n’a rien à voir avec un coup dans les couilles ! » : je n’en sais rien, toi non plus, et il ne me viendrait même pas à l’idée d’établir une comparaison entre les deux douleurs. Si je me plains que j’ai mal à la tête, tu vas me la sortir aussi, ou ça se passe comment ?
Les utérus sont nos amis (il faut les aimer aussi)
J’ai l’air, comme ça, de ne faire que râler pour le plaisir de râler (parce que je sens bien qu’on va me la sortir également, celle-ci). Mais faire des règles un sujet tabou comporte un fond assez désagréable, et notamment deux petits soucis qu’il serait bien, à mon sens, de ne pas négliger.
Le premier de ceux-là, c’est que, mine de rien, on laisse ancré dans les moeurs que les menstruations, c’est quelque chose qu’on doit gérer dans son coin de manière discrète au quotidien, et donc bien fermer sa mouille à défaut de pouvoir fermer son frifri inconvenant.
On culpabilise ainsi les personnes qui auraient justement besoin d’en parler, en cas de problèmes médicaux, ou juste parce que certaines vivent cette période très mal, et que devoir raser les murs n’aide pas.
On rend sale un petit évènement mensuel qui fait partie intégrante de notre corps, de ce qu’on est. On contribue à en avoir honte. Et on instaure et renforce une méconnaissance et une incompréhension mutuelles. Ah ben, oui, hein, si on ne veut même pas en entendre parler, bonjour les connaissances basiques. Qui dans la salle est capable d’expliquer, au moins en gros, ce qu’il se passe dans le corps pendant le cycle menstruel ?
Par exemple, sur cette image, le problème n’est pas que la madame a ses règles.
Le second souci, c’est que ça montre à quel point la notion de respect est encore assez vague dans bien des esprits. Quel rapport entre le fait de trouver que les règles c’est caca, et le respect ? Je ne sais pas, tu trouves que traiter les menstruations comme un truc dégueulasse avec lequel les gonzesses nous cassent les bonbons, c’est respectueux ?
Mais s’il vous plaît, ne commencez pas à croire que le grand méchant de l’histoire, c’est l’Homme. Brrr. Non non, je vous rassure (ou pas), la fâme est tout aussi capable de rejoindre le mouvement et de même se mettre en colère face à une autre qui parle librement de son « indisposition ». Là, le plus triste, c’est que c’est également un manque de respect envers soi-même…
Mais peut-être que c’est moi, la donneuse de leçons, qui ne comprend rien. Que je suis effectivement une grosse dégueulasse qui dit « je fais pipi du sang » sur le même ton que « je fais pipi ». Que je fais surtout dans la provoc’, oui. Et que je suis impure une fois par mois, aussi.
Après tout, si les règles, c’est mon corps qui se montre apte à pouvoir engendrer des andouilles qui vont venir me les reprocher, c’est sûr qu’il y aurait de quoi en avoir honte.
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Les Commentaires
Perso, j'avoue que je deviens assez détendue avec le fait de dire que je les ai. Pour la simple et bonne raison que ça me fait affreusement mal au bide (hérédité foireuse, je te hais, sache-le) et que quand je suis pliée en deux, je ne veux laisser personne penser que je suis malade. L'avantage, c'est comme j'ai de base un caractère de cochon, on ne fait pas la différence entre la Soph qui a ses règles et la Soph qui ne les a pas. Mais j'avoue que j'ai intériorisé l'habitude de ne pas dire "C'est à cause de mes ours" s'il arrivent qu'elles me fatiguent.
J'ai quand même le souvenir d'une conversation avec un ancien collègue de formation qui en était venu à nous dire que sa copine avait une moon cup et qu'elle en était super contente, ça m'avait positivement surprise qu'on ait tous pu en parler de façon aussi "naturelle".
Rapport à cette obsession de la "saleté", je viens quand même de réaliser une chose : parler de ses règles est effectivement considéré comme tabou car les règles sont beaucoup trop perçues comme quelque chose de "honteux" et "impur". Pourtant, quand une femme qui porte un stérilet hormoné explique que cette contraception a stoppé ses règles, elle a presque systématiquement droit à un déferlement de commentaires du type "Oooh mais pourquoi t'as fait ça"/"Tu sais que c'est pas bon d'aller contre la nature"/"C'est pas normal, une femme ça doit avoir ses règles"... #Injonctions
Donc en clair, d'un côté, on doit faire passer nos règles inaperçues et surtout pas s'en plaindre parce que ça fait crade, mais utiliser un moyen de contraception qui les arrête, c'est pas bien non plus. Débrouillez-vous avec vos soucis de gonzesses et n'en parlez jamais mais n'essayez pas de vous en débarrasser sinon vous n'êtes pas de vraies fâmes. What. The. Actual. Fuck?