« Cela arrive presque tous les jours, peu importe si c’est le jour ou la nuit, si je suis seule ou avec des copines, le lieu n’a pas d’importance non plus. Ça arrive partout. »
Cette déclaration concerne le harcèlement de rue, et on la doit à une jeune femme de 21 ans qui vit à Anvers. Elle est loin d’être la seule : près de 3.000 signalements ont été déposés sur une plateforme dédiée, lancée par la branche belge de Plan International, une ONG engagée pour l’égalité et l’éducation, notamment des filles.
Les chiffres et témoignages ne sont malheureusement pas surprenants pour quiconque connaît l’omniprésence du harcèlement sexiste et sexuel dans l’espace public. Alors demandons-nous, comme Plan International Belgique : on fait quoi maintenant ?
Le harcèlement de rue, omniprésent, épuisant, entravant
Mathilde Bernard, coordinatrice des jeunes et impliquée dans cette enquête, explique à Madmoizelle le processus suivi :
« Notre recherche est basée sur des données à la fois quantitatives et qualitatives. En 2019, nous avions mené une enquête à travers un institut de sondage auprès de plus de 700 jeunes de 15 à 24 ans en Belgique (plus précisément à Bruxelles, Anvers et Charleroi). De cette enquête ressortaient trois grandes conclusions :
- Le harcèlement sexuel concerne tout le monde : plus de 91% des filles et 28% des garçons en avaient déjà subi.
- Le harcèlement sexuel peut prendre différentes formes. Les types de harcèlement les plus fréquents subis par les filles interrogées sont les sifflements et les commentaires sexistes : plus de quatre filles sur cinq en ont déjà été victimes. Plus d’une fille sur trois a déjà subi des attouchements non consentis.
- Le harcèlement sexuel reste un tabou : seulement un ou une jeune sur deux ose en parler avec des amis ou amies, et moins d’un ou une sur cinq à sa famille.
Suite à cette étude, nous avons lancé une plateforme afin que les jeunes puissent partager leur expérience. Nous avons comptabilisé plus de 3.000 signalements émanant principalement de filles. Le constat est sans appel : un trop grand nombre d’entre elles ne se sentent pas en sécurité dans leur ville.
- 29% des cas se produisent alors qu’elles marchent dans la rue, 14% dans les transports en commun et 16% lors d’une activité de loisir, comme une sortie ou une promenade au parc. Si 27% des filles ont été harcelées le soir, 38% disent que cela peut arriver à tout moment.
- Trop peu de victimes reçoivent de l’aide lorsqu’elles sont victimes de harcèlement sexuel dans l’espace public (80% des jeunes disent ne pas avoir été aidés ou aidées). Les personnes ne savent pas comment réagir (46%) et/ou ont souvent peur de devenir elles-mêmes victimes (35%).
- Une autre conclusion frappante, seulement 6% des jeunes filles portent plainte.
- Une jeune fille sur deux indique également que sa liberté de mouvement est fondamentalement impactée. Elles évitent certains endroits, n’y vont pas seules, font attention à comment elles s’habillent. »
Le constat est sans appel : les jeunes, en écrasante majorité les filles, continuent à subir du harcèlement dans l’espace public, au point que cela entrave leurs déplacements et leur capacité à profiter de leur liberté. Et comme le note Mathilde Bernard, on remarque une forme de résignation :
« Ce qui ressort de ces entretiens, c’est un fort sentiment de fatalisme de la part des jeunes. Le harcèlement sexuel est une réalité à laquelle ils sont constamment confrontés et ils ont du mal à savoir ce qu’on peut faire pour lutter contre le phénomène. »
Plan International Belgique refuse de baisser les armes : face à ce tragique constat, l’ONG a développé un plan d’action en quatre grands « P » contre le harcèlement de rue.
Comment lutter contre le harcèlement de rue ?
Ces quatre « P » sont détaillés dans le rapport Safer Cities publié par Plan International. Les voici :
- Protection : protéger, écouter et accompagner les victimes.
- Prévention : informer et sensibiliser les jeunes et la société.
- Poursuite : former le personnel policier à la problématique.
- Participation : écouter l’expertise des jeunes et de la société civile.
La protection passe par une évaluation de l’efficacité des mesures déjà en place (numéros d’urgence par exemple), par la médiatisation des associations spécialisées dans l’aide aux victimes, par l’organisation d’« espaces refuges » en partenariat avec entreprises locales et par une meilleure accessibilité des Centres de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) actuellement déployés dans trois hôpitaux — à Gand, Bruxelles et Liège.
Côté prévention, l’ONG recommande des campagnes dans l’espace public, mais aussi une formation aux fameux « 5D » (distraire, déléguer, documenter, diriger, dialoguer)
permettant de mieux réagir lorsqu’on est témoin de harcèlement de rue.
La poursuite, c’est d’abord former les forces de l’ordre, car Mathilde Bernard le rappelle, leur écoute n’est pas encore au niveau :
« Certaines formations sont mises en place, soit en interne (la police de Charleroi a notamment fourni un flyer afin d’informer les agents), soit en externe par des associations (à Bruxelles, Touche pas à ma pote propose également une formation). Cependant, les jeunes avec lesquels nous avons discuté nous disent ne pas toujours avoir été bien reçus et reçues lorsqu’ils et elles ont voulu aller porter plainte. »
Le rôle des villes dans la lutte contre le harcèlement de rue
Plan International Belgique veut aussi mobiliser les municipalités (dans les aspects « Poursuite » et « Participation »), en « faisant de la lutte contre le harcèlement sexuel une priorité dans les règlements communaux » et en « renforçant l’échange entre les villes dans la lutte contre le harcèlement sexuel ». Mathilde Bernard donne à Madmoizelle un exemple pour mieux comprendre :
« Par exemple, il est important d’arriver à travailler avec les auteurs de harcèlement sexuel, notamment via un processus d’apprentissage et/ou une procédure de médiation. L’intégration du harcèlement sexuel dans les règlements communaux offre un cadre à cet effet. »
L’ONG recommande une large consultation locale au sujet du harcèlement dans l’espace public, une collecte de données facilement accessible permettant de mesurer l’ampleur du problème, la création d’une plateforme d’échange entre les citoyens et les pouvoirs politiques, et l’implication des jeunes femmes dans des projets de développement urbain. À ce sujet, Mathilde Bernard développe :
« Il est important que la composante du genre soit incluse dans les plans urbanistiques. Pour ce faire il est crucial que les jeunes femmes puissent être incluses.
Par exemple, dans le cadre du projet, nous avons organisé des marches exploratoires avec des jeunes ainsi que représentants et représentantes. Cette méthodologie permet d’appréhender son environnement avec un regard plus analytique. Ce qui est ressorti notamment est de faire attention à la visibilité (éviter les angles morts, avoir un meilleur éclairage). »
La problématique d’un espace public adapté aux femmes et à la spécificité de leur vécu dans un monde patriarcal n’est pas nouvelle : en 2017, déjà, Le Monde l’évoquait et tissait des pistes de solutions déjà expérimentées, allant des skateparks non-mixtes aux jardins partagés semblant être appréciés par les femmes — sans se voiler la face sur le fait qu’il est compliqué d’amener ces sujets jusqu’aux décisionnaires :
« Chercheurs et professionnels sont d’ailleurs unanimes : s’il y a une prise de conscience incontestable de la part d’élus, on peine encore à passer au stade de l’action. “Il n’y a pas de changements brutaux dans l’aménagement des villes”, note ainsi Emmanuelle Faure, coauteure de “La Ville : quel genre ?” (Ed. Le Temps des cerises) et membre de l’association Les Urbain.e.s. Les raisons seraient multiples :
“Les politiques publiques sont un reflet de notre société, la question de l’égalité de genre est absente dans les cursus [d’urbanisme et d’architecture], le féminisme est encore un gros mot dans la sphère publique et l’aménagement. Il faut aussi avoir des données chiffrées et qu’on y ait accès pour démontrer dans les faits ces inégalités.” »
La question est complexe, mais l’ONG a le mérite de la poser, et d’inclure dans sa démarche les premières concernées, à savoir les femmes — ici jeunes — qui doivent pouvoir raconter leurs vécus, faire entendre leurs voix et témoigner de leurs quotidiens à des municipalités parfois bien loin de leur réalité.
Pour en savoir plus sur l’enquête et les recommandations de Plan International Belgique, rendez-vous ici, sur le rapport détaillé Safer Cities.
À lire aussi : Cette formation vous apprend à réagir face au harcèlement de rue
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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