Alors que le concours de beauté fête ses cent ans en 2020, les anciennes tenantes du titre de Miss France, elles, n’ont pas le droit de prendre de l’âge, ni de poids, ni de l’ouvrir lorsque le public se fait un peu trop tactile et pressant. Avec comme sans couronne, les voilà devenues propriétés des Français et Françaises.
Sonia Rolland, actrice et réalisatrice couronnée en 2000, assène dans l’ouvrage Miss France : 1920-2020 de Sylvie Tellier :
« Certaines féministes ne voient pas, dans notre prise de décision, une forme de libération de la féminité. Or, notre corps nous appartient et nous en faisons ce que nous voulons : ce sont les fondamentaux du féminisme. »
Mais une dimension manque à l’appel dans ce discours.
Le corps des Miss France, propriété des Françaises et Français ?
« J’accepte tacitement cette règle du jeu : j’ai participé à un concours de beauté, je consens à être soumise en permanence au jugement des autres sur ma plastique », écrit Malika Ménard dans son autobiographie #FuckLesComplexes.
Les candidates seraient donc prêtes à essuyer critiques et trolls commentant leur physique de A à Z le soir du direct sur TF1. Mais ce consentement à la critique n’est que le début d’un processus qui va imposer à la gagnante plusieurs entraves à son intimité – avec lesquelles elle va devoir composer au quotidien.
Une fois la bonne écharpe remportée, la Miss en titre est photographiée, enlacée, embrassée ou touchée par des inconnus et inconnues dans toutes les régions de France où elle se rend. Celle qui n’était qu’une anonyme début décembre devient une icône nationale à Noël.
Camille Cerf, animatrice télé et influence élue en 2015, explique à madmoiZelle :
« La personne publique appartient à tous les Français parce qu’on se l’approprie comme un personnage de film, comme Mélanie de “Plus Belle La Vie”. On a l’impression que c’est notre soeur parce qu’on l’adore. Mais en réalité, on ne connait pas la comédienne Laëtitia Milot.
Il faut dissocier la personne de la Miss. Il y a la personne publique et la personne privée. »
La notion d’appartenance à tout le peuple français remonte à la création même du concours. « Nous avons montré nos poilus. Nous montrerons nos roses. » assénait Maurice de Waleffe, initiateur du projet, en 1920. Des années plus tard, en 2018, Marine Lorphelin, interne en médecine générale et reine de beauté en 2013 explique que « Miss France est quelqu’un qui appartient aux Français et Françaises » au micro de Télé-Loisirs.
« J’ai eu des mains aux fesses par des maires de certains villages. Des gens m’ont sauté un peu dessus pour me faire un bisou. […] Je me suis sentie agressée dans mon intimité et je me suis sentie comme un objet et pas comme une femme respectée », confie-t-elle. Et d’ajouter qu’il lui était impossible de réagir, puisqu’en tant que personnage public elle ne pouvait pas causer de scandale…
Une analyse féministe de Miss France
Pour Valérie Rey-Robert, autrice d’Une culture du viol à la française : Du « troussage de domestique » à la « liberté d’importuner », l’essence même de Miss France est de promovoir une jeune femme « accessible ». L’essayiste analyse pour madmoiZelle :
« Elles donnent leur consentement pour défiler, être photographiée et aussi subir tous les non-dits qui ne figurent pas dans le contrat. Miss France représente la femme idéale du patriarcat : une girl next door propre sur elle, pas trop sexy puisque les photos dénudées sont interdites, plus jolie que la moyenne et surtout accessible. »
Une proximité qui rend encore plus facile la critique pour le public. Vaimalama Chaves, chanteuse et tenante du titre en 2019, précise :
« On porte l’écharpe qui nous relie à la France, mais lorsqu’on l’enlève, il reste de nous une personne à part entière avec un corps et une façon de penser. On est souvent jugées sur des critères qui n’ont pas lieu d’être.
Lorsqu’on est Miss France, on est invitée tout le temps à manger ou à boire. Quand on est sollicitée presque tous les jours, à n’importe quelle heure de la journée, à quel moment voulez-vous qu’on trouve du temps pour nous ? Que ce soit pour faire attention à notre corps, notre alimentation, faire du sport et même dormir ? »
Celle qui remporte la couronne est aussi appelée « la fiancée de tous les Français » — une appellation qui, selon Valérie Rey-Robert, ne fait exister la Miss France que comme une femme hétérosexuelle à disponibilité de tous. Un constat non partagé par Camille Cerf, qui explique:
« J’aime bien cette expression parce que c’est mignon et je n’y vois pas de lien à une relation non consentie ou d’appartenance. En revanche, je ne me suis pas sentie fiancée de tous les Français mais l’amie de tous les Français. »
L’éternelle pression qui pèse sur les Miss France
Près de cinq ans après son règne, Camille doit toujours composer avec la pression que lui impose le public. Comme si le sceau Miss France l’avait marquée à vie. Dans #FuckLesComplexes de Malika Ménard, elle rappelle :
« Il y a trois ans, j’ai participé à l’émission “The Island” sur M6. J’étais loin d’être en surpoids. J’avais 5kg en trop par rapport à mon poids habituel. Et j’ai pu lire sur Twitter : “Son cul, c’est un mètre cube.”
Ça m’a touchée parce que je me trouvais jolie dans ce programme. Et à chaque fois que je postais une photo ou que je faisais des stories, les gens me faisaient remarquer cette prise de poids. »
Pour Camille comme pour toutes les femmes, on ne gagne jamais à ce jeu-là, estime Valérie Rey-Robert : « On parle d’un idéal qui est impossible à atteindre puisqu’on doit toujours être attirantes sans être trop sexualisées. »
En ce qui concerne les vives critiques sur les fluctuations de poids des femmes, elle y voit une logique d’appropriation par les hommes qui veulent des femmes sous leur contrôle : « Si une femme n’est pas assez jolie pour eux, c’est qu’elle doit faire des efforts » — tandis que les critiques émanant des femmes, « quand elles ne sont pas teintées de racisme ou de colorisme », rappelle l’autrice, illustrent une compétition intra-féminine mise en place par le patriarcat.
« On nous dit que pour être sauvée de la violence des hommes, il faut descendre les autres femmes. Alors qu’on sait bien que c’est faux. »
Quoiqu’elle fasse, le corps de Camille Cerf est scruté et commenté par le grand public. L’animatrice nous confie :
« La pression, elle est toujours là, parce qu’aujourd’hui, dans toutes les émissions que je fais, les premières remarques que je reçois sont sur mon physique. Comme j’ai participé à un concours de beauté, les gens considèrent que j’ai accepté qu’on me fasse des critiques positives ou négatives alors que parfois je n’avais rien demandé.
J’ai su montrer que j’étais plus que juste un physique. Je fais des émissions plus culturelles sur France 2, comme “Tout le monde a son mot à dire”. Je fais “Vendredi, tout est permis” sur TF1 où je montre que j’ai de l’humour et de la personnalité.
Malheureusement, aujourd’hui encore, les commentaires qui reviennent le plus souvent c’est soit “T’es belle” soit “Dis donc t’as grossi” ou “Tu ne serais pas enceinte ?”… »
« C’est dommage, je l’accepte mais c’est très dur de faire évoluer les opinions et les mentalités », conclut l’influenceuse de seulement 26 ans.
Sylvie Tellier, directrice de la société Miss France et reine de beauté en 2002, est devenue la proie facile des trolls chaque soir d’élection sur TF1. Il semble que le public attendait d’elle qu’elle ne change pas, 18 ans après son élection ! Comme si les Miss France se devaient d’être imperméables au temps…
De toutes les anciennes miss France laquelle vous trouvez moche?
Et pourquoi Sylvie Tellier? #MissFrance— PH♹ PR☢︎D (@ph7prod) September 30, 2020
Valérie Rey-Robert décrypte pour madmoiZelle :
« Ça vaut pour toutes les femmes, y compris celles qui n’ont pas été qu’un physique. Une femme qui vieillit n’est plus disponible sexuellement. Puisqu’elle n’existe qu’à travers le regard de l’homme, elle n’existe plus si elle ose vieillir, d’où les reproches.
On a même créé le néologisme MILF, comme si c’était exceptionnel qu’une femme plus âgée plaise. »
Un corps estampillé Miss France n’aurait donc pas le droit de changer, sous peine de décevoir le public qui l’a réifié et idéalisé un soir de décembre, entre 1920 et 2020. Si Miss France est libre de disposer de son corps comme elle l’entend, le public sexiste, misogyne et critique, lui, doit disposer tout court.
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