— Les magnifiques photos ont été prises par la talentueuse Léa Bordier.
J’ai maigri. Le monde entier s’en fiche, j’en ai bien conscience, mais c’est pas pour te parler de mon tour de taille que j’écris un article. C’est pour réfléchir à la réaction que j’ai eue en me découvrant dans le miroir avec 5 kilos en moins :
« J’ai pas fait exprès, j’ai rien fait pour ! »
Comme si c’était une faute, comme s’il fallait que je m’en excuse. Comme si j’avais trahi toutes celles à qui j’ai toujours dit de niquer leurs complexes, qu’elles ne s’aimeraient pas plus et ne se trouveraient pas plus belles avec des kilos en moins.
J’ai pensé à toutes les fois où j’ai fermement assuré que je n’étais complexée ni par mon physique ni par mon poids, et je me suis demandé si j’avais menti, aux autres ou à moi-même, pendant toutes ces années. Parce que la vérité, à ce moment, c’est que je me sens infiniment mieux avec ces cinq petits kilos en moins. Et c’est vraiment rien, cinq kilos.
Alors pourquoi je me sens coupable de me sentir mieux ?
Ça m’a énormément travaillée. Et j’ai fini par démêler les paradoxes qui faisaient des nœuds dans ma tête et mes tripes avec cette histoire.
Pourquoi maigrir ?
La pression sociale poussant à la minceur est si forte qu’il y a de quoi perdre la tête. De trop nombreuses jeunes filles développent des troubles du comportement alimentaire à cause de cette course à l’apparence « parfaite » et irréelle (rappelons que les photos de mannequins et autres stars sont retouchées pour réduire les courbes ET gommer les os apparents, car de telles silhouettes n’existent pas dans la vraie vie).
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J’ai toujours rejeté la poursuite de la minceur comme objectif esthétique
On m’a toujours présenté la perte de poids comme un objectif esthétique, alors j’ai toujours rejeté en masse tous les conseils, toutes les méthodes pour « garder la ligne » ou perdre des kilos. Mon apparence me convient, merci, et quand bien même elle ne coïnciderait pas avec une certaine idée de la norme féminine, je vais décider de m’en battre les ovaires puissance un milliard.
C’était un compromis solide, qui m’a permis de traverser l’adolescence et les prémices de la vie d’adulte sans avoir à souffrir de complexes relatifs à mon apparence. J’ai focalisé mon énergie sur d’autres objectifs : niquer mes complexes d’infériorité, mon syndrome de l’imposteur… et c’était suffisamment prenant pour que je n’ai finalement pas de temps à perdre avec mon absence de thigh gap et autres injonctions esthétiques aussi nocives qu’inutiles.
Mais en faisant ça, j’ai moi-même sacralisé mon apparence au-delà de ce qu’elle méritait.
Photo par Léa Bordier — ©madmoiZelle.com
Mon corps n’est pas une image, c’est un vaisseau
Ne pas me préoccuper de mon apparence et ne rien faire pour la changer était une bonne stratégie anti-complexes… Sauf qu’elle reposait sur une hypothèse erronée : j’avais basé mon rapport au corps sur la question de l’apparence et de la pression sociale autour de la minceur, or je ne suis pas une image, pas une couverture de magazine, et mon corps n’est pas un panneau publicitaire.
Mon corps est mon premier allié dans la vie, je me repose sur lui au quotidien, et même si j’ai l’envie et la volonté de déplacer des montagnes, je ne peux jamais aller aussi loin que là où mon corps me porte.
Et depuis cet été, mon corps porte 5 kilos de moins au quotidien, en plus d’avoir été davantage musclé. Je le sentais avant de le voir dans un miroir, mais dans ces conditions, lui et moi, on ira encore plus loin.
Est-ce que maigrir, c’est trahir mon féminisme ?
C’est vrai, j’ai pas fait exprès de perdre du poids. Je suis partie deux mois en Indonésie, je suis restée cinq semaines sur un camp de plongée sous-marine, en pension complète, je suis végétalienne, je n’avais pas accès à des aliments sur-sucrés-sur-salés pendant tout ce temps, et j’ai arrêté de boire de l’alcool pendant toute cette période.
À force d’entraînement, j’ai développé une force physique nouvelle
Et surtout, je me suis entraînée. Au début, j’arrivais pas à soulever les blocs de plongée (à savoir la bouteille d’air flanquée de son gilet stabilisateur, soit environ 12 kilos). Je ne parvenais pas à sortir du bateau avec ce bloc sur le dos, parce que j’avais pas assez de force dans les jambes pour me hisser sur le rebord, un poil trop haut pour moi.
J’arrivais pas à porter la bouteille seule, à mettre ou à enlever le bloc de mon dos sans l’aide de quelqu’un pour alléger le fardeau quand je manoeuvre.
À la fin de mon séjour, tout ceci était devenu possible, à force de répétitions, à force d’entraînement, tout simplement.
Je me suis découverte capable de développer une force physique nouvelle, que je pensais impossible à atteindre parce que je-suis-une-fille-j’ai-pas-les-bonnes-hormones-pour-développer-du-muscle, paraît-il. Parce que j’ai pas la discipline de pratiquer une activité physique régulière, que je n’ai pas la motivation, l’assiduité nécessaire.
Tout ça pour quoi, devenir « beach body ready » ? Mais j’en ai vraiment rien à foutre de rentrer dans du 36, moi !
Et c’était sans doute en pensant ça que je faisais fausse route. Je me trompais d’objectif.
Objectif : puissance
J’avais pas accès à un miroir en pied pendant mon séjour, alors je ne me suis pas retrouvée face à moi-même avant le dernier jour, dans mon dernier hôtel avant le grand départ.
Le choc. C’est là que j’ai eu cette réflexion déroutante, « j’ai pas fait exprès » — comme s’il fallait que je me dédouane. Mais dans quel univers se faire du bien serait une trahison de quoi que ce soit ? En y réfléchissant bien, ne serait-ce pas là une nouvelle croyance limitante qu’on m’a ou que je me suis mise en tête ?
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Probablement, oui. Parce que le problème avec la recherche de la maigreur ou de la minceur, ce sont les moyens qu’on met en oeuvre pour y arriver, et surtout, les objectifs qu’on poursuit.
Si mon objectif, c’est d’être « beach body ready » selon des standards complexants et sexistes, je n’ai aucune véritable motivation à poursuivre cette direction. Si les moyens que je mets en oeuvre pour atteindre l’objectif « minceur » sont : un régime nocif (ou une alimentation insuffisante) et « me faire violence » à tous les sens du terme, là encore, je vais droit à la catastrophe. Moyens nocifs pour objectifs toxiques, voilà la recette du désastre pour moi…
Mais dès lors que mon objectif, c’est de réussir à ouvrir les pots de cornichons, à porter mes courses sur trois étages sans rendre un poumon, à pouvoir courir un 10 km de temps en temps sans me claquer tous les tendons, voire poursuivre une passion sportive sans finir en lambeaux à la fin de la saison, ALORS peut-être que de secouer un peu de gras et refiler la place dégagée aux muscles est tout sauf une mauvaise idée !
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Si mon objectif est sain, et que les moyens que je vais mettre en oeuvre pour l’atteindre le sont aussi, alors « perdre du poids » n’est plus un mauvais exutoire à complexes empoisonnés, mais bien un moyen, voire une finalité. L’objectif reste positif : atteindre un état de santé physique confortable.
J’ai l’impression d’être Peter Parker s’étant réveillé avec une force surhumaine. Je monte les escaliers sans m’essouffler, j’ai BESOIN de courir pour m’étirer tous les muscles des jambes, j’ai besoin de suer pour évacuer la tension du quotidien.
Je me sens bien, mieux que jamais. Et c’est peut-être ça, la plus grande nouveauté que me renvoie le miroir.
Photo par Léa Bordier — ©madmoiZelle.com
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