Reportage réalisé avec la collaboration de Miss Lu
Midi, jeudi 24 novembre 2015, devant le lycée Michelet. Nous sommes à Vanves, banlieue sud de Paris, devant les grilles. La cloche sonne, et des flots d’élèves se déversent entre les pyramides et la grille du lycée. Florine, 17 ans, nous attend, accompagnée de la bande du Zeugma. On entre dans l’établissement avec eux, et une poignée de secondes plus tard, un prof les interpelle :
« Bravo pour votre passage au Petit Journal ! Florine, c’était super, tu avais appris ton texte par coeur ? »
Florine sourit et confesse qu’elle avait un prompteur. Il y a une semaine, avec la rédaction du Zeugma, le journal des élèves du lycée Michelet, ils sont passés sur le plateau de Yann Barthès pour lancer un message de solidarité. Depuis le 14 septembre, la rédac de Zeugma organise en effet une collecte de denrées et de vêtements, pour les réfugié•e•s dont on parle partout dans l’actualité. Et c’est un succès : les cartons pleins de ce qu’ils ont déjà récolté s’empilent dans le bureau de la vie scolaire, qui sert de point de dépôt.
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Le Zeugma à la rescousse des réfugiés
Pourquoi avoir lancé un journal lycéen dans une opération de solidarité aussi urgente ? Florine, qui est à l’origine de l’initiative, m’explique :
« C’est très médiatisé en ce moment, je pense que c’est pour ça qu’on a réagi. On était informés sur la situation, on voyait qu’il se passait pas forcément grand-chose, qu’il n’y avait pas de structure pour les accueillir, très peu de réaction de la part des autorités. Moi je me suis dit, à notre échelle, qu’est-ce qu’on peut faire ? »
Dès les premiers jours de la rentrée, elle a posté un message sur Facebook pour mobiliser ses collègues du journal lycéen. Elle l’a fait en sachant que ces derniers partageaient pour la plupart ses convictions et accepteraient de monter un projet. Bingo : tous ont emboîté le pas, pour des raisons différentes. Pauline se souvient par exemple :
« On a tous dit oui parce qu’on est un groupe de personnes très différentes, mais nos valeurs sont à peu près les mêmes. Personnellement, je trouve que Florine a toujours des bonnes idées. Comme on est à l’âge où on commence à s’intéresser à ce qu’il y a autour de nous, on peut agir à notre niveau. J’ai décidé d’aider Florine et les réfugiés parce que je peux le faire. »
Félix, quant à lui, confesse qu’il s’est surtout senti motivé par le groupe :
« Pour ma part, mon implication ne découle pas d’un désir de régler une crise humanitaire, mais il permettait de passer du temps avec mes amis à bosser sur un même projet, donc ça me faisait plaisir. Ce n’est absolument pas un acte altruiste pour ma part… »
La CPE du lycée leur a dit que le projet était faisable, mais qu’il leur fallait pour ça une structure, pour les aider à distribuer les produits récoltés. Il y a quelques semaines, Florine s’est rendue, par conviction personnelle, à un rassemblement pour les réfugié•e•s. Elle est tombée par hasard sur une personne de SOS Racisme, et avec le soutien de l’association, tout s’est enchaîné très vite.
Félix
Une cause politique qui frappe en plein coeur
On s’assied autour d’une table. Parmi les multiples causes à défendre sur la planète, la rédaction de Zeugma a donc choisi, ce mois-ci, d’aider les réfugié•e•s. Parce que le sujet est en plein coeur de l’actualité, comme le souligne Pauline :
« On s’y intéresse maintenant, parce qu’au moment où ça a commencé, la crise des réfugié•e•s, on était très très jeunes, donc on ne s’intéressait pas forcément à ce genre de choses. Maintenant qu’on lit la presse, on est très vite frappés parce ce qu’il se passe, par des images, par des mots, par des articles. Ça attire notre regard, et comme on est des gens plutôt réactifs… »
Juliette, elle, se rappelle d’avoir été touchée par la BD de Zep sur le sujet.
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Florine considère tout simplement qu’il lui était impossible de rester sans rien faire :
« Je ne trouve pas ça normal que les réfugié•e•s arrivent, aient besoin d’aide, et que les autorités de la plupart des pays disent non, on ne peut pas, on n’a pas la place. Pour moi, ce n’est pas quelque chose qu’on peut refuser, il faut dépasser les clivages politiques, les clivages religieux, c’est ridicule. C’est vraiment une crise humanitaire et c’est un devoir humain de faire quelque chose pour les aider. »
Florine
Les lycéen•ne•s déplorent d’ailleurs que les pouvoirs politiques européens ne soient pas plus impliqués pour résoudre la crise. Naomi se demande si, sans la photo d’Aylan, on aurait fait quelque chose aujourd’hui :
« Les gens savaient ce qui se passait, mais tant que ça ne les touchait pas au coeur, ils ne se sentaient pas assez concernés. Et dès que l’image est apparue, ils comprennent que ça touche des enfants, des adultes, que c’est une vraie crise. C’est vraiment dommage d’en arriver là. »
Florine renchérit :
« Là il y a le drame. Les gens réagissent après, parce qu’on le montre, parce qu’on l’exhibe. En principe, l’État sait qu’il y a la crise en Syrie, il ne devrait pas y avoir besoin, à mes yeux, de cette photo et de la pression de l’opinion publique. La France et les pays d’Europe ont des moyens, et en plus se revendiquent de valeurs humanistes, républicaines etc., mais au moment d’une crise humanitaire, hésitent…»
Pauline fait une métaphore du problème :
« C’est comme quand un de tes amis a un problème, tu lui dis que tu es là pour l’aider, et le jour où ça arrive, tu dis non, moi aussi j’ai des problèmes, je peux pas faire ça parce que j’ai ça aussi. C’est exactement pareil. On se dit qu’une est une union humanitaire, mais quand un problème arrive, on se défile. »
Est-ce le peuple, est-ce l’État qui doit réagir en premier ? La poule ou l’oeuf ? Ça débat sec au sein de la rédaction. Les idées fusent comme si on n’était pas là. En vrac : les politiques européens qui devraient arrêter de penser à leurs intérêts personnels, l’Allemagne qui a ouvert ses portes parce qu’elle pensait qu’il y allait avoir un suivi… Naomi comprend d’ailleurs la réaction de l’Allemagne, qui a fermé ses frontières après les avoir ouvertes :
« Il y a plein de pays, qui doivent voir entre eux une manière de faire, l’Allemagne ne peut pas tout faire toute seule et a besoin d’être soutenue. Pourquoi les autres pays ne font rien ou pas suffisamment ? Quand on regarde des interviews de réfugiés, ils veulent tous venir en Allemagne, parce qu’ils se sentent rejetés dans les autres pays. »
Pas plus tard que la veille, Sandrine a rencontré des réfugiés, avec le syndicat lycéen de la FIDL. Lors d’une réunion de parrainage, elle a pu faire connaissance avec un réfugié intégré, arrivé en France il y a plus d’un an, qui leur a raconté son parcours.
Le Petit Journal et la médiatisation de Zeugma
Dès le départ, les membres de Zeugma n’ont pas voulu une action trop médiatisée. Si on a lu ou vu leur voix dans les médias ces derniers temps, c’est presque un hasard ! Florine raconte :
« C’est SOS Racisme, avec qui on est en lien pour l’aspect logistique, qui a reçu un appel d’un journaliste du Monde. Il écrivait un article sur les réfugié•e•s et a demandé s’ils connaissaient des jeunes qui faisaient des initiatives. »
Après Le Monde donc, la rédac de Zeugma s’est exprimée, le 14 septembre dernier, dans la Facecam du Petit Journal de Canal+.
Ils sont contents des suites de l’émission, même si Sandrine tempère :
« Ça permet d’avoir beaucoup de médiatisation, la collecte a été un vrai succès grâce au Petit Journal, des personnes se sont déplacées, ont envoyé de colis. D’habitude, on fait par exemple des collectes pour les restos du Coeur, ça ne marche pas aussi bien que quand on passe à la télé… Ça serait bien que ce soit toujours comme ça et qu’il n’y ait pas besoin de la télé ! »
« Notre rôle, c’est de relayer l’information »
Car même sans la lumière des gros médias, les membres de Zeugma se bougent. Le journal lycéen de Michelet existait avant que l’actuelle rédaction n’y trempe sa plume. Abandonné, puis repris, le journal était plus marqué politiquement autrefois, de ce que les élèves ont entendu dire. Ils précisent que dans leur contenu :
« Il y a une diversité politique énorme. Il ne faut pas que le journal du lycée prenne un tournant politique. Il faut qu’il plaise à tout le monde. C’est un journal libre, n’importe qui peut y rentrer ou en sortir. »
Attendez, ça veut dire que le journal du lycée parle politique et sujets de société ? Brouhaha de oui unanimes. Juliette indique :
« Beaucoup de personnes au sein du journal s’intéressent aux sujets d’actualité et chacun est libre d’écrire sur ce qu’il veut. »
Pauline raconte aussi :
« On a fait un numéro spécial sur Charlie Hebdo notamment, où toute la rédaction s’est réunie pour traiter des sujets. On n’écrit pas uniquement sur la vie du lycée, d’ailleurs ce n’est pas très intéressant (rires autour). On se considère vraiment comme des journalistes, donc en tant que tels, notre rôle, c’est de relayer l’information. Peut-être que ceux qui ne lisent pas trop la presse ou ne regardent pas trop la télévision, ont un journal du lycée qui leur résume un peu ce qu’il se passe. »
Florine précise que le Zeugma bénéfice d’un avantage certain : l’absence de censure, qui est pourtant courante dans les journaux lycéens. Et qui ne devrait d’ailleurs pas être possible, puisqu’il est possible d’être directeur•trice de publication dès 16 ans. Sandrine le dit tout net :
« Rien que faire un journal, c’est un acte engagé, de base. Donc oui, on est engagés. »
Jeunes, ok, mais avec une conscience politique quand même
Brouhaha dans la salle où nous sommes installés. Peu importe, la discussion continue. La rédaction ne se revendique d’aucun bord politique particulier, affirme Florine :
« Mais il y a quand même une orientation politique visible dans notre journal, parce qu’on est tous un peu du même bord, pas d’un parti, mais on a tous un peu les mêmes valeurs, même dans le lycée en général. »
Pour autant, les membres du journal lycéen ne se reconnaissent pas forcément dans le combat militant, comme le souligne Kévin avec précaution :
« Une militante politique, j’en ai une dans ma classe. On est un peu de bords opposés, on se chambre, mais ça n’empêche pas qu’on soit amis. Mais je trouve que certains militants sont beaucoup extrêmes, et se dérangent pour rien ou trop peu. Après, c’est mon point de vue subjectif. »
Kévin
Sandrine connaît elle des militants en dehors de l’enceinte de l’établissement, et regrette l’aspect parfois extrême de cet engagement :
« On partage les mêmes idées, mais à chaque fois que je les vois, ils insistent vraiment sur le fait que le militantisme, ça fait bouger les choses. Pour le moment, je trouve qu’ils forcent vraiment beaucoup. À chaque fois qu’on discute, ils ramènent leur parti dans chaque sujet. C’est bien, ils sont motivés, je les admire, mais je pense qu’ils devraient laisser chacun se faire une opinion, parce que ça fait limite détester un parti qu’on ne connaît même pas. »
Mais oui, c’est sûr, les élèves ont une conscience politique. Qui, à leur yeux, n’est absolument pas prise en compte par le gouvernement, essentiellement parce qu’ils ne sont pas majeurs. La parole politique des jeunes en France ? Pas reconnue, nada, zérooooo, balance la rédaction du Zeugma. Florine se souvient des commentaires sur les réseaux sociaux lorsqu’elle et ses camarades sont passés au Petit Journal :
« Tout le monde disait que parce qu’on est jeunes, c’est pas nos convictions, qu’on était forcément manipulés, pour donner un aspect pathétique à la chose. Beaucoup de gens pensent que les jeunes ne peuvent pas avoir une conscience politique marquée. Alors que c’est faux. Il y a beaucoup d’engagements, sous plein de formes différentes, qui ne sont pas forcément pris au sérieux. Ça peut décourager, je pense. À la télé, dès qu’on tombe sur un reportage sur les jeunes, on interroge toujours des gens qui sont des stéréotypes. »
Pauline renchérit et s’enflamme même :
« Ils disent qu’on est endoctrinés par nos parents, mais pas du tout. Ils oublient qu’on est en conflit avec nos parents sur ces sujets. On parlait de la crise des réfugié•e•s avec mon père samedi dernier, il n’a pas du tout les mêmes opinions politiques que moi. Ils oublient qu’on peut penser par nous-mêmes, on a un cerveau qui sert ! »
Pour Juliette, discréditer la parole des jeunes, parce qu’ils sont jeunes, n’a aucun sens :
« Je pense qu’il ne faut pas faire de différence entre les jeunes de 25 ans et de 16 ans, juste parce qu’on a huit ans de moins. On est des individus à part entière, on peut avoir des opinions. Je suis majeure dans six mois, ça ne veut pas dire que dans six mois j’aurais une meilleure conscience politique que maintenant. »
Florine souligne à quel point il est intéressant d’entendre la voix de toutes les générations, et notamment de la jeunesse, qui fait partie intégrante de la population française :
« On peut avoir une vision différente aussi sur les choses, parce qu’on a pas le même vécu, parce qu’on vit pas dans la même réalité. C’est dommage que les gens crachent sur la jeunesse en disant qu’elle est désengagée : d’un autre côté, on ne vient pas voir ce que font les jeunes, et on ne met pas en valeur l’engagement qui existe. »
Naomi voit vers l’avenir :
« On est tellement pointés du doigt sur les mauvaises actions faites par les jeunes, qu’on n’a pas de voix quand il s’agit de bonnes actions. On se sent pas du tout soutenus. Alors qu’on est le futur en vrai ! (ses potes rient, elle reprend) On est la génération future, à la prochaine crise dans vingt ans, c’est sur nous qu’il faudra compter. Si on est toujours mis à l’écart, on pourra pas prendre de bonnes décisions. On a besoin de voir qu’on peut compter sur nous et nous demander notre avis. »
Juliette, elle aussi, se projette déjà :
« On va tous voter aux prochaines élections présidentielles, on a besoin d’avoir l’impression que notre avis est pris en compte, parce que ce sera le cas en 2017. »
Sonnerie. La table se vide, une partie du groupe part en cours, un peu à la hâte.
Engagez-vous, pour eux, c’est déjà fait
On bouge au bureau de la vie scolaire, pour jeter un oeil au reste de la collecte, stockée dans le bureau de la conseillère principale d’éducation, qui était fermé à clé à notre arrivée. Une de ses collègues insiste avec fierté sur le fait que l’initiative vient des élèves, et raconte même qu’elle diffuse leur séquence au Petit Journal en guise de conclusion de ses interventions dans les classes pour la Semaine de l’engagement, qui a lieu au moment où nous sommes dans les locaux.
D’ailleurs, l’engagement des membres de Zeugma, il vient d’où, au fond ? C’est presque naturel, dit par Juliette :
« C’est un mélange de plusieurs choses. Moi je sais que mes parents m’ont inculqué des valeurs depuis que je suis toute jeune, m’en parlent. Mais c’est aussi l’école qui nous en parle, on s’intéresse de plus en plus aux journaux et à l’actualité. »
Pauline aussi a construit sa réflexion entre la famille et l’école :
« Quand j’étais petite, que je ne comprenais pas les choses et que j’avais des questions, mes parents m’ont toujours tout expliqué. Personnellement, j’ai évolué dans un environnement où on ne me poussait jamais à dire des gens qu’ils sont mieux que d’autres. Mon intérêt pour l’actualité et les relations internationales est plutôt né du fait que mes parents ne m’ont jamais menti. Et surtout, on évolue dans un lycée avec des bons profs, qui évoquent l’actualité et les crises humanitaires avec beaucoup d’honnêteté. »
Avant de nous rejoindre, les élèves sortaient d’ailleurs d’une conférence sur le djihadisme organisée pour les L et les ES, un projet à l’initiative d’une ancienne élève. Quant à Florine, dans sa famille aussi, on décrypte beaucoup l’actualité :
« Ma famille est assez engagée politiquement. L’engagement au journal du lycée nous lie aussi avec Jets d’Encre, une association qui lutte beaucoup contre les stéréotypes sur les jeunes, qui nous fait pas mal réfléchir. Personnellement, mon engagement vient beaucoup de là. Jets d’Encre lutte pour que les jeunes aient une parole et qu’on la considère légitime, qu’il y ait cette reconnaissance de leur conscience politique. On se bat là-dessus et ça nous pousse à nous engager, à remettre en question ce qu’on sait. »
La collecte s’est achevée ce lundi 28 septembre. Les denrées et vêtements récoltés par les lycéen•e•s de Vanves devaient être distribués au camp de réfugié d’Austerlitz, nous informe Florine. Mais celui-ci a été démantelé entre-temps, et les migrant•e•s ont été relogé•e•s :
« On est en train de voir où on pourrait donner, on essaye de faire ça en mains propres avec les réfugié•e•s. On cherche des centres sur Paris, auxquels on pourrait donner directement, surtout là où les besoins sont le plus urgent. Le lycée va mettre à notre disposition une camionnette, les parents et le CPE nous proposent de nous aider pour conduire. »
Après la collecte ? La plupart des participants de Zeugma sont déjà engagés au sein du lycée : CVL, conseil d’administration… Un projet de parrainage pour accueillir les migrants est en cours avec SOS Racisme, et implique plusieurs membres de la rédaction, rapporte Sandrine. Sandrine qui rappelle d’ailleurs à Florine qu’il faut qu’ils en parlent pour le lendemain. Pas de temps à perdre. Quelques photos plus tard, les membres du Zeugma se dispersent, pour aller en cours ou manger. Jusqu’à la prochaine fois ?
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En espérant tout comme eux, que l'avis des jeunes pourra valoir quelque chose aux yeux de la société