Le mythe de la vieille fille est le symbole absolu de l’échec, agitée comme la plus grande des menaces devant les yeux des petites filles. En effet, alors que toute femme qui se respecte se doit de trouver un homme avec lequel se marier et fonder une famille sous peine de devenir une ratée, la vieille fille a indéniablement échoué dans sa quête ultime de la validation masculine.
Mais la vieille fille n’est pas uniquement un parasite sur le plan amoureux. Effectivement, elle l’est également sur le plan financier. Dans son essai intitulé Vieille Fille Marie Kock déconstruit à travers des anecdotes personnelles, des références de pop culture et des réflexions sociologiques et historiques les clichés associés à la femme quadra, quinqua ou plus qui n’est pas en couple. Tous les domaines y sont passés en revue, de sa vie amoureuse, à ses relations amicales, en passant par sa situation professionnelle… Même son portefeuille est passé au peigne fin. Et pour cause : la vieille fille se différencie de ce qu’on attend traditionnellement d’une femme jusque sur son compte en banque, explique Marie Kock :
« Financièrement parlant, la vieille fille est généralement décrite comme un parasite. Elle est le plus souvent une figure bourgeoise, qui, bien qu’ayant grandi dans un milieu aisé, se retrouve à devoir vivre aux crochets de sa famille, faute d’avoir pu trouver un mari. Elle est entretenue par une mère, une sœur, parfois leurs familles respectives, qui ne manquent pas de lui rappeler régulièrement qu’elle est un boulet. Et qu’elle le sera jusqu’à sa mort. »
Un destin financier forcément misérable ?
Pour comprendre d’où vient cette croyance, il faut dans un premier temps remonter quelques siècles en arrière. Car si la vieille fille est considérée comme un boulet par sa famille, les raisons sont davantage historiques que purement factuelles. Avec l’instauration en 1804 du code civil napoléonien, la femme mariée était soumise à une interdiction d’avoir accès aux lycées et aux universités, de signer un contrat, de gérer ses biens, de travailler sans l’autorisation de son père puis de son mari, ou encore de toucher elle-même son salaire. Elle n’avait évidemment aucun droit politique non plus. Les femmes étaient tout simplement soumises à l’autorité de leur époux après avoir été des mineures sous l’autorité de leur père. Alors, autant dire que la femme seule, en plus d’être une pure aberration sociétale, n’était pas près d’acquérir son indépendance financière, et qu’il y avait de fortes chances qu’elle reste vivre aux crochets des hommes de sa famille.
Si les temps ont changé et qu’une femme peut désormais vivre sans aucun homme pour subvenir à ses besoins, il n’en reste pas moins que la célibataire ne représente pas grand intérêt pour sa famille d’un point de vue économique. C’était vrai à l’époque, mais c’est aussi vrai aujourd’hui : sans homme avec qui former un couple puis fonder une famille, il y a de fortes chances qu’une femme ne puisse pas autant alimenter le patrimoine familial que si elle se marie :
« Sa tâche, en plus de gérer la domesticité, est bien de se marier : trouver un mari, le supporter sur la longueur, quoi qu’il arrive, pour le bien de la famille et du patrimoine. La vieille fille, elle, s’abstient de cette corvée. Elle ne fait pas sa part. Elle ne produit rien, n’apporte rien. […] C’est ce qu’on appellerait aujourd’hui dans les dîners avec des gens que l’on n’a pas envie de connaître une « assistée ». »
Si la vieille fille est destinée à une certaine stérilité financière, là encore, il y a de fortes chances pour qu’elle soit évincée des testaments et de la succession de la famille, ou alors moins bien considérée que les autres membres de sa famille qui seraient dans une situation plus avantageuse. Car dans un monde capitaliste où un des moyens les plus accessibles d’augmenter significativement son patrimoine pour les femmes en raison du plafond de verre qui se présente à elles, dans leur évolution de carrière notamment, est de se marier, la vieille fille est souvent déconsidérée dans la question du patrimoine, bien qu’elle soit fragilisée financièrement par sa condition, note également Marie Kock :
« J’ai vu des successions lors desquelles la sœur sans enfants récupérait moins que ses frères et sœurs mariés et/ou avec enfants, des partages présentés malgré tout comme parfaitement logiques et justes. À la vieille fille, on donne moins, quand il y a quelque chose à donner, qu’à une mère. On considère qu’un parent a plus de besoins, d’assumer plus de dépenses, de charges qu’une femme célibataire, qui finalement a choisi sa condition misérable et/ou la vie facile. Jamais il n’est pris en compte que la vieille fille pourrait aussi transmettre autrement, à d’autres personnes. »
N’ayant pas de descendance à assurer à sa famille, quel intérêt de lui transmettre le patrimoine familial s’il n’est pas voué à être retransmis ?
Le couple, lieu d’enrichissement ou prison dorée ?
En restant célibataire et sans enfants, la vieille fille casse donc la lignée. Elle représente une véritable impasse sur tous les plans. Pourtant, Marie Kock prouve également dans sa réflexion qu’une femme célibataire aura moins de chances de dilapider l’argent familial que pourraient le faire les personnes avec enfants. Paradoxalement, être en couple représente un coût élevé selon la journaliste :
« Lorsqu’on rentre dans une union, il y a un train de vie à maintenir – ce même train de vie dont il faudra faire le deuil ou qui rentrera dans des négociations juridiques en cas de divorce ou de séparation. C’est vrai notamment en début de relation ou même en période de dating. On multiplie les sorties pour accroître les occasions de rencontres, on part en week-end avec son nouvel amoureux ou sa nouvelle amoureuse, on ne regarde plus à la dépense pour s’apprêter et être au meilleur de soi-même. […] Ces dépenses sont celles dont on a conscience, qu’on accepte comme exceptionnelles et éventuellement superflues. Mais il y a toutes les autres, celles qui interviennent une fois que le couple ou la famille sont constitués »
Être en couple aurait donc un coût, mais pas uniquement pécuniaire. Car se mettre en couple, c’est aussi payer le prix de la liberté, poursuit l’autrice dans cette réflexion. Dans un couple traditionnel comme on l’imagine et comme on le voit partout, pas question de réclamer ce que Marie Kock appelle l’intimité financière. Un luxe que peut se payer uniquement une personne célibataire, puisqu’elle est la seule à avoir à gérer ses finances au quotidien :
« Nous sommes complètement pétris de l’idée que l’union doit aussi être financière. Que dans les malheurs et les peines que l’on s’engage à partager, il faut payer les factures, réparer les chaudières qui tombent en panne, remplacer les canapés dont on ne saura plus vraiment à qui ils appartiennent en cas de séparation. Ne pas vivre ensemble, c’est aussi avoir ou garder son indépendance mais aussi son intimité financière. Ne pas faire forcément compte commun. Ne pas être surveillée et éventuellement jugée pour ses dépenses, accepter de ne pas surveiller non plus. Remplacer le partage machinal des ressources par des logiques de solidarités mouvantes selon les situations et les besoins et des logiques dont on pourra se sortir plus facilement en cas de désamour et de chemins qui ne vont plus au même endroit. Ne pas voir l’amour comme un placement financier plus ou moins conscient dont on ressortira forcément avec le sentiment d’avoir été plumée, mais seulement comme de l’amour. »
On comprend alors d’autant plus les situations où, à cause de ce contrat financier implicite, les unions sont si difficiles à défaire qu’elles engendrent un déclassement social. Combien de personnes malheureuses en couples connait-on qui, par peur de risque financier, se persuadent qu’ils ne sont pas si malheureux en couple ?
Remettre l’argent à sa juste place
En soulignant les avantages financiers et les obligations qu’engendre le couple, Marie Kock a également eu l’occasion d’analyser dans son essai nos façons de dépenser lorsqu’on est en couple versus célibataire. Si, comme on l’a vu, le couple est un lieu propice à réaliser toujours plus de dépenses, la vieille fille, quant à elle, n’a aucune excuse qu’elle-même pour justifier ses dépenses. Une façon pour elle de développer un rapport plus assumé et donc plus sain à l’argent, et ainsi de le remettre à sa place, sans qu’il soit le centre de ses relations avec les autres :
« Privée de récit normalisé sur les obligations liées à la vie de couple et à la vie de famille, sur la capitalisation et la préservation des richesses, elle est la seule à oser remettre l’argent à la place où il doit être et à ne pas invoquer sans arrêt les contingences de la vie à plusieurs pour justifier la manière dont elle s’en sert. À accepter que l’argent, quelle que soit sa valeur objective, est fait pour être dépensé et que si l’on a décidé de le dépenser, autant que ce soit dans des activités agréables »
À travers son lifestyle de célibataire, en cassant la chaîne de la succession des patrimoines familiaux et en vivant en dehors des accords nuptiaux implicites, la vieille fille fait donc un pas de côté par rapport aux attentes de la société quant à la question du couple et de la famille. Et si la vieille fille représentait donc pour nous l’occasion également de nous émanciper des injonctions liées au couple pour plus de liberté, d’égalité et de justice sociale ?
Vieille fille, de Marie Kock — 19 € les 220 pages.
À lire aussi : Vers la création d’un certificat européen de filiation, pour protéger les familles homoparentales
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Dans mon entourage proche, j'ai vu pas mal de "veilles filles" qui ont utilisé ce statut de manière émancipatrice : études, voyages, travail, indépendance...
Mais je ne suis pas d'accord sur le côté "aucun intérêt économique pour sa famille" : souvent c'est elle qui sera la plus à même de s'occuper des parents vieillissant (c'est pas un statut enviable mais c'est souvent celui de la vieille fille), de faire office de "tata gâteau" auprès de ses neveux et nièces, de transmettre une histoire familiale différente de celle que transmettent des parents...
Je pense que l'image de la vieille fille décrite par l'autrice est plutôt marquée par le 19eme siècle/début 20eme. Depuis qu'une femme peut travailler et subvenir à ses besoins sans tutelle masculine, le statut de femme célibataire n'est plus aussi marqué par la pauvreté et la dépendance familiale.