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Actualités mondiales

Ce que mon avortement m’a appris — Témoignage

C’est la journée mondiale du droit à l’avortement, l’occasion de (re-)lire l’histoire de « A793 ». Il y a 2 ans, elle est tombée enceinte, et a choisi d’avorter.

Journée mondiale du droit à l’IVG

C’est la journée mondiale du droit à l’avortement. Alors que de nombreuses idées reçues circulent au sujet de cet acte médical, qu’un très grand nombre de pays continuent de l’interdire, poussant les femmes qui veulent y avoir recours à entrée dans l’illégalité, une mobilisation globale est prévue.

En Europe, une coalition de mouvements pro-choix s’est réunie autour du mot d’ordre « Avortement, les femmes décident » et de nombreuses manifestations sont prévues.

Deux ans après avoir témoigné, « 1793 » est revenue vous donner de ses nouvelles ! Rendez-vous en fin d’article.

— Article initialement publié le 26 novembre 2014.

En tant que militante féministe, je pensais tout connaître de l’avortement/l’IVG. Son histoire, les chiffres, l’importance de défendre ce droit, les arguments des anti-choix… jusqu’à ce que j’y sois confrontée il y a deux ans.

À lire aussi : Tu vois des pubs anti-IVG sur Facebook ? Ce n’est pas un hasard

L’avortement, cela n’arrive pas qu’aux autres

La première chose que j’ai apprise, c’est que je pouvais tomber enceinte. À cette période, je discutais beaucoup avec un ami qui accompagnait sa meilleure amie dans une démarche d’IVG.

De mon côté, je commençais à avoir des symptômes prémenstruels : légères douleurs dans le bas-ventre et boutons d’acné. Mes règles n’arrivant pas, j’en plaisantais avec cet ami « Et si ça se trouve, moi aussi je suis enceinte, ahahah ! ». Ah ah.

Je pensais que je ne pouvais pas être enceinte.

C’est quand j’ai commencé à avoir mal aux seins que je me suis posé des questions. Ce symptôme-là, je ne le connaissais pas. Mais je n’ai pas réagi immédiatement : mes règles allaient arriver. Et puis, de toute façon, il n’y avait aucune raison que je sois enceinte, puisqu’avec mon compagnon, nous utilisions des préservatifs….

Oh, mais je me rappelais maintenant (oui je sais, ça semble fou d’oublier ça, mais c’est la réalité) ; quelques semaines (un mois ?) avant, le préservatif avait craqué, et j’avais pris la pilule du lendemain… La grossesse me semblait à présent être une possibilité.

Pourtant, j’avais cette croyance irrationnelle que c’était « impossible », que je ne pouvais pas être enceinte. Comme beaucoup de jeunes femmes, j’avais déjà connu des « accidents » de préservatifs, voire des rapports sans protection. Pas souvent, mais deux-trois fois.

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J’avais déjà connu la pilule du lendemain, et même le test de grossesse quand une fois, tu flippes sans trop savoir pourquoi. Et ces quelques fois, ça avait toujours été négatif. Ça prouvait bien que je ne pouvais pas être enceinte. Non ? Non.

C’est drôle comme parfois, même en étant hyper informée, militante, même en étant hyper cartésienne comme je le suis, on garde des pensées totalement irrationnelles…

Même en étant très informée, je gardais des pensées irrationnelles.

En réalité, avant d’avoir fait l’expérience de sa fertilité, on ne peut pas savoir si on peut tomber enceinte. À moins de dysfonctionnement, toute femme peut potentiellement tomber enceinte, même si elle prend une contraception.

D’ailleurs, parlons-en, de la contraception. Dans ma tête, le profil-type de la femme qui subissait une grossesse non désirée, c’était celle qui avait oublié sa pilule. Ça tombait bien, je ne la prenais pas.

Je ne suis pas capable de prendre un cachet tous les jours (encore moins à heures fixes), je ne n’avais donc jamais pris la pilule, mis à part un essai de trois jours, entre plusieurs tests de contraceptifs.

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En tant que féministe-très-informée, j’avais tenu à trouver la contraception qu’il me fallait, en faisant plusieurs essais : implant (bons et loyaux services durant trois ans), anneau, DIU (retiré au bout de quatre mois car douloureux)…

Nous étions finalement retournés au préservatif avec la logique suivante : ce n’est pas parfait, mais si ça craque, je m’en rends compte tout de suite, et je peux prendre la pilule du lendemain. Infaillible…

En réalité, le taux d’échec du préservatif en emploi typique est de 15%… ce qui est bien mais pas top. Et ça, je ne le savais pas, malgré toutes les informations que j’avais pu avoir. Déjà avant, quand j’entendais des personnes dire « Oh mais avec toutes les méthodes de contraception qui existent, je ne comprends pas pourquoi des femmes avortent encore et gnagnagna », ça m’agaçait.

Mais depuis que j’ai vécu la grossesse non désirée alors que j’étais sous contraception et malgré la pilule du lendemain, j’ai encore plus envie de leur dire de fermer leur gueule.

À lire aussi : La contraception 1/2 (pilule, capote et stérilets) – Marion & Sophie

Ma décision de me faire avorter : c’est mon corps, point

J’ai aussi découvert l’expérience de la grossesse, ce qui fut assez perturbant.

Au-delà des symptômes un peu pénibles (une énorme fatigue qui m’accompagnait du lever jusqu’au coucher — à 21 heures, un odorat sur-développé qui entraînait des nausées dès que je cuisinais de la viande, et une perte de motivation, de désir et d’envie pour la vie en général), j’étais prise entre plusieurs sentiments.

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D’abord, il y a quelque chose d’incroyable dans le fait d’être enceinte. Se dire qu’à deux, avec son amoureux, on est « capables » de « créer » quelque chose, qui, si on le laisse se développer, pourra devenir un individu. Un être humain qui vivra sa vie, qui aura des idées, qui aimera, qui sera unique. C’est quand même un truc de fou !

En vrai, ce n’est pas un truc de fou. Mon compagnon et moi ne sommes pas « talentueux » ou avec des capacités particulières, pas plus que les personnes infertiles seraient dépourvues de ce « talent ». C’est un hasard de la nature, un réflexe contre lequel on ne lutte pas, un peu comme le réflexe de la jambe qui se dresse quand le genou est frappé par le petit marteau du médecin.

Ce n’est pas quelque chose dont on est responsables, il n’y a pas de quoi en tirer une quelconque fierté. Mais savoir qu’on a cette possibilité, bah… ça fait bizarre.

Et cette possibilité, je ne l’ai pas ressenti comme une malédiction car je vis en France au XXIème siècle et que j’ai le choix, mais à ce moment-là, j’ai pensé très fort à toutes les femmes du monde, qui elles aussi ont cette « capacité » de tomber enceinte, parfois sans le vouloir.

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J’ai pensé à toutes celles du passé qui n’ont jamais eu le choix, celles du présent, dans d’autres lieux, qui n’ont toujours pas le choix, et celles qui se sont battues et se battent encore pour que l’on puisse toutes décider de la vie que l’on veut mener.

Cette sororité, je ne l’ai jamais ressentie autant qu’à cet instant. J’ai expérimenté à quel point, lorsqu’on parle d’IVG, on ne parle de rien d’autre que de notre corps, que de nous. Non, mon corps n’était pas colonisé par une puissance étrangère qui vivait sa vie dans mon utérus comme si j’étais seulement un récipient.

Tout était mon corps, tout était moi. C’est bien de moi dont je disposais en décidant de bénéficier d’une IVG, pas d’un autre être humain.

J’ai pensé à toutes celles qui n’ont jamais eu le choix.

De la même manière, l’expérience de la grossesse n’a pas modifié mon non-désir d’enfant. Non, je n’ai pas senti « cette vie grandir en moi et blablabla ». Non, je n’ai pas soudainement eu envie d’avoir des enfants.

Et le fait que je sois en couple depuis très longtemps, que nous avons, mon conjoint et moi, une situation professionnelle stable, n’a rien changé non plus… contrairement à ce que pensera mon nouveau gynéco qui s’exclamera quelques mois plus tard « mais pourquoi vous ne l’avez pas gardé ?! » quand il apprendra ma situation.

Non, je n’ai pas avorté parce que j’avais été violée, parce que l’embryon était malformé, parce que je comptais me séparer de mon copain, parce que c’était un coup d’un soir, parce que j’étais au chômageJ’ai avorté parce que je ne voulais pas d’enfant. Point.

À lire aussi : Mon gynéco anti-IVG m’a fait croire que je n’étais pas enceinte

L’avortement en lui-même

Alors, comment ça s’est passé ? Je me suis rendue dans un centre de planification sur les conseils d’une amie. Lors du premier rendez-vous, la gynécologue a contrôlé ma grossesse par le biais d’une échographie, m’a fait signer la demande d’IVG, et m’a donné toutes les informations sur la suite de la prise en charge.

Comme j’étais dans les délais (cinq semaines de grossesse), j’ai pu bénéficier d’un IVG médicamenteuse. La loi impose un délai de « réflexion » de sept jours dont je me serais bien passée, mais la gynécologue a refusé de passer outre (certains acceptent).

À aucun moment on ne m’a demandé de me justifier ou « si j’avais bien réfléchi », ce que j’ai particulièrement apprécié.

Une semaine plus tard, je suis retournée au centre où l’on m’a donné deux cachets : un premier à prendre immédiatement pour interrompre la grossesse, et un deuxième que je pouvais prendre chez moi, deux jours plus tard, pour l’expulsion de l’embryon. A partir de là, j’ai commencé à me sentir nauséeuse.

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Le jour de l’expulsion, je me suis rendue chez ma mère, qui ne travaillait pas ce jour-là. J’aurais préféré être accompagnée de mon compagnon, mais il ne pouvait absolument pas prendre de jour de congé à ce moment.

D’ailleurs, j’ai découvert à cette occasion que je n’avais pas le droit à un arrêt de travail ! Hallucinant, alors qu’on ne peut pas travailler et qu’on doit rester toute la journée sous surveillance (en cas de complications).

Bref, j’ai pris le deuxième cachet en le mettant sous la langue, pour que cela passe rapidement dans le sang, et pour éviter de le vomir. Heureusement, puisque j’ai effectivement rapidement vomi, tout comme j’ai rapidement eu des contractions, alors que j’avais encore des résidus du cachet sous la langue.

L’expérience diffère d’une personne à l’autre, mais pour ma part, j’ai eu très mal. J’ai passé environ quinze à vingt minutes dans les toilettes, tremblante, et avec un niveau de douleur que j’ai rarement connu (on m’avait bien prescrit des antidouleurs, mais je les ai probablement pris trop tard).

Cela dit, l’expulsion a eu lieu rapidement, et la douleur s’est dissipée progressivement, diminuant jusqu’à atteindre une douleur de règles « normale ». L’expulsion s’était bien passée, j’étais soulagée. Le lendemain, pour la première fois depuis longtemps, je me suis réveillée en étant en forme, et avec, de nouveau, un niveau de désir et d’envie redevenu normal.

L’avortement, un droit inaliénable

Dans le fond, mon discours sur l’IVG n’a pas vraiment changé depuis. C’est mon ressenti qui a un peu évolué. J’ai avorté et je peux dire, comme des milliers d’autres : « Je vais bien, merci ! ».

Je sais maintenant à quel point l’IVG n’est pas un problème, mais une solution. Ce qui est intolérable, c’est d’imposer une grossesse à une femme qui ne le désire pas, quelles que soient les raisons pour lesquelles elle ne le désire pas. C’est d’une violence inouïe.

Dans les discussions autour de l’IVG, on sent bien qu’il s’agit d’une pratique qui est tout juste « tolérée ». Il est temps qu’elle devienne, dans tous les esprits, un droit inaliénable.

À lire aussi : L’avortement vu par le cinéma et les séries télé

Mise à jour du 21 octobre 2016 —

Ma vie a beaucoup changé depuis ce témoignage, mais ça n’a rien à voir avec mon avortement !

Déjà, je ne suis plus avec le même homme : notre relation a pris fin au bout de dix ans. Je ne vis plus dans la même ville, et je ne fais plus le même métier — pour être précise, je viens de reprendre des études ! Il y a donc beaucoup d’excitation pour moi en ce moment !

En ce qui concerne mon avortement, j’y pense très peu, sauf quand le débat public se penche sur la question, et qu’on entend toujours les mêmes âneries… Pour beaucoup de gens encore, l’avortement doit juste être toléré dans certains cas bien précis, et non pas être un vrai droit dont les femmes peuvent user librement.

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Je me dis de plus que j’ai eu beaucoup de chance que cela se passe bien pour moi, car malheureusement les témoignages de maltraitance médicale abondent.

En tout cas je ne regrette absolument pas d’avoir avorté, je suis persuadée que c’était le meilleur choix pour moi. J’ai notamment fait beaucoup de choses qu’il ne m’aurait pas été possible de faire si j’avais eu un enfant.

D’ailleurs, je n’en veux toujours pas.

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Les Commentaires

57
Avatar de Gazpacho
7 décembre 2016 à 23h12
Gazpacho
Ce qui me frappe dans vos témoignages respectifs, c'est la quantité de personnes travaillant dans le domaine médical qui sont moralisatrices. Entre les infirmier(e)s qui n'ont pas de compassion (alors je peux comprendre le détachement professionnel, tant qu'il est neutre. Mais quand il est teinté de cruauté, euh, non) les spécialistes qui occultent les détails qui n'en sont pas (genre, la douleur) et surtout le sentiment de solitude qu'ils génèrent, comme pour faire "payer" la décision...Si ça m'arrive un jour et qu'on me traite comme ça (avec des douleurs menstruelles over 9000 par dessus le marché) je vais avoir du mal à rester polie.
Ca me rend folle, parce que ça alimente une culpabilité qui est déjà ultra présente PARTOUT, puisque la grossesse, à part à l'école, elle est toujours glorifiée. Dans les oeuvres de fiction, on a plus vite fait de citer les grossesses non désirées mais finalement menées à terme, que les avortements (et quand c'est le cas, c'est rarement traité de façon impartiale). On est en 2016, et on a grandi dans un monde qui fait tout pour nous mettre le doute. Moi la première je suis perdue quelque part entre "c'est un droit fondamental credieu" et "si je veux pas de ce futur enfant, est-ce que je serai capable d'avorter quand même ?" et c'est précisément ce paradoxe qui me fout les boules, d'avoir des convictions parasitées par le discours pro-vie insidieux des médias, du personnel médical, DES HOMMES (messieurs, votre avis sur la question, hem, comment dire) etc.
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