Cet article est le troisième épisode de la série « Yes She Can : Les ignorées de la campagne présidentielle US » signé par la journaliste Hélène Coutard. Vous pouvez lire les épisodes précédents ici :
Jill Stein a encore un peu de temps devant elle. L’historique du Green Party américain n’a pas à s’inquiéter de ses concurrents à la nomination et sera certainement officialisée candidate des Verts pour la course présidentielle lors de la convention du parti en juin. En attendant, Stein a tout le loisir de regarder se déchirer les Républicains de Trump, devant qui Nikki Haley refuse de céder, et les Démocrates de Biden, qui a désormais un boulevard devant lui après l’abandon de Marianne Williamson mais qui demeure son propre pire ennemi. Mais ce qui attend Jill Stein après l’été n’a rien de reposant : une campagne présidentielle en forme de sprint face à deux mastodontes qui ne manqueront pas d’essayer de l’écraser.
L’année des indés ?
Pourtant, 2024 pourrait bien être l’année des outsiders. En octobre 2023, 63 % des Américains affirmaient déjà qu’un troisième grand parti était nécessaire, face à l’hégémonie des Républicains et des Démocrates. Ils n’avaient jamais été aussi nombreux à le penser, depuis que Gallop a commencé à les sonder sur le sujet en 2003. « Cela fait déjà deux ou trois ans que les Américains ne veulent pas de ce nouveau duel Trump-Biden », affirme Marie-Christine Bonzom, politologue spécialiste des États-Unis et ancienne correspondante à Washington pendant trente ans. « 2024 est l’année la plus propice pour élire un candidat indépendant ou d’un petit parti, le terrain n’a jamais été aussi fertile que depuis le dernier score historique d’un candidat indépendant, en 1992 avec Ross Perot. »
Ce désintérêt pour les deux « gros candidats » a déjà nourri les campagnes du professeur Cornel West, qui a déserté les Verts pour se présenter en solo, et de Robert F. Kennedy Junior, le neveu de JFK qui surfe sur la vague complotiste. Mais il sert aussi la discrète Jill Stein et son parti écolo. Bien décidée à jouer cette carte maîtresse, la candidate déclarait en décembre à Politico : « Les deux partis sont à la botte de Wall Street, ce sont leurs contributeurs qui décident ; des banquiers, des millionnaires, des barons des énergies fossiles… Ils sont déconnectés. Ce sont des zombies qui ne répondent pas à l’urgence dans laquelle nous sommes. »
Le Green New Deal ou rien
Contrairement aux « zombies », Jill Stein n’a pas toujours été une professionnelle de la politique. Originaire de Chicago et diplômée d’Harvard, elle a exercé en tant que médecin pendant plus de vingt-cinq ans dans la région de Boston. Mais en 1998, elle commence à s’inquiéter des conséquences de la pollution sur la santé de ses patients et manifeste contre les usines polluantes du Massachussetts. Elle rejoint alors le jeune Green Party en 2002, qui vient d’être crée l’année précédente.
« Le parti des Verts est le quatrième parti américain », note Bonzom. « Bien qu’il soit le plus récent, il a une véritable influence sur le débat politique national et sur l’évolution du parti démocrate, qui lui emprunte certaines idées (dans une version édulcorée), comme celle d’un système universel et public de santé, ou celle du Green New Deal. » Le Green New Deal, un nom qui revient souvent depuis près de quinze ans. Introduit par les Verts en 2010, il vise une neutralité carbone d’ici 2030, une réduction du chômage à travers la création de vingt millions d’emplois, et la fin de l’exploitation de matières polluantes. Il est aussi au cœur du programme de Stein.
« Jill Stein et les Verts font valoir que le Green New Deal à la Biden n’est pas à la hauteur des enjeux. Ils lui reprochent notamment d’avoir renié sa promesse électorale d’interdire la fracturation hydraulique et de tromper les Américains en affirmant que le nucléaire et le gaz naturel liquéfié sont des énergies propres », analyse Marie-Christine Bonzom. Mais ce programme suffira-t-il à convaincre les électeurs américains, dont seulement 37 %, l’année dernière, pensaient que le changement climatique devait être une priorité ? « Il se peut qu’il attire des électeurs qui sont déçus de Biden sur l’environnement, mais ce dossier ne suffira pas à emporter l’adhésion. À ce stade, c’est aussi l’appel du Green Party à un cessez-le-feu immédiat entre Israël et le Hamas qui peut séduire des électeurs jeunes ou arabo-musulmans, notamment parmi ceux qui avaient voté Biden en 2020. » En janvier 2024, un nouveau sondage YouGov démontrait qu’un Américain sur trois considère qu’Israël commet un génocide à Gaza.
Jill Stein, trouble-fête ?
Cette année, Jill Stein entame sa troisième élection présidentielle. En 2016, elle avait remporté 1 % des voix du vote national – soit 1,6 million de votes. Suffisant pour que le parti démocrate l’accuse d’avoir fait gagner Donald Trump, car dans certains États clés comme le Michigan, le Wisconsin ou la Pennsylvanie, Hillary Clinton aurait pu l’emporter si les voix de Stein lui étaient revenues. Une menace, celle dite du « trouble-fête », spoiler en anglais, que les Démocrates agitent encore aujourd’hui, et à laquelle Jill Stein répond : « La notion même de trouble-fête est anti-démocratique car elle implique que l’électeur n’a pas le droit de choisir pour qui il vote. »
« Le camp Biden ressort la sempiternelle accusation de trouble-fête contre Stein et les autres candidats alternatifs, mais elle est infondée historiquement : Ross Perot, le candidat indépendant le plus performant de l’histoire, avait puisé l’essentiel de ses voix chez les indépendants, les abstentionnistes et les électeurs qui avaient déjà renoncé à soutenir un grand parti », précise Marie-Christine Bonzom. Un dernier sondage de Quinnipiac University, daté du 21 février, attribue à Jill Stein 3 % des votes – soit trois fois plus qu’en 2016.
Mais qui pourra réellement voter Stein le 5 novembre prochain ? Si pour les deux grands partis, l’accession au ballot dans tous les États est automatique, ce n’est pas le cas pour les petits partis. Comme à leur habitude, les partis démocrate et républicain ont forgé un système électoral qui les avantage. « Pour les candidats situés hors des partis qui contrôlent la vie politique, accéder au bulletin dans tel ou tel État est une tâche monumentale qui mobilise une part considérable des bénévoles et des fonds », explique Bonzom. Actuellement, le Green Party a gagné l’accès au vote dans vingt États sur cinquante : suffisamment pour théoriquement l’emporter. Jill Stein, de son côté, se prépare à enfiler ses gants. « On voit apparaître un vote de rébellion, et cela fait bien longtemps que ça couve », disait-elle dès l’automne 2023. « Le peuple américain réclame des options, alors soyez prêts ! »
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