Marianne Williamson, 71 ans, parle vite, très vite. Elle parle comme quelqu’un qui a peur qu’on lui coupe la parole – et elle a raison. Car pour une candidate aux primaires d’une élection présidentielle qui se déroulera dans moins de huit mois, Marianne Williamson a eu bien du mal à se faire entendre.
Un comble pour celle qui a écrit quatorze livres de développement personnel, tous des succès, et qui demeure une star de la télévision ayant partagé la scène avec Oprah Winfrey. Ce n’est pas non plus le premier rodéo politique de Williamson : en 2020, elle comptait déjà parmi les candidats à la primaire démocrate, avant de se retirer pour soutenir Bernie Sanders.
Star de la littérature New Age
Mais qui est cette prêtresse du self-help ? Née au Texas, Williamson décrit dans ses livres une vie dépourvue de sens. « J’ai sombré dans mes névroses toujours plus profondément, cherchant du réconfort dans la nourriture, la drogue, les gens, et toutes les choses capables de me distancer de moi-même », écrit-elle dans Un Retour à l’Amour, son premier best-seller, sorti en 1992.
Après un passage dans une fac californienne, elle fuit au Nouveau-Mexique et vit au sein d’une communauté sous un dôme géodésique, puis déménage à New York pour lancer sa carrière de chanteuse de cabaret. À 24 ans, elle découvre le livre Un Cours en Miracles de la psychologue Helen Schucman, un classique de la littérature New Age. Après un bref retour au Texas où elle ouvre une librairie de livres métaphysiques, Williamson s’installe finalement à Los Angeles – elle est alors la colocataire de l’actrice Laura Dern – et devient une spécialiste de l’ouvrage de Schucman. Elle fait le tour du monde pour prêcher la bonne parole lors de conférences. La publication de son premier livre, Un Retour à l’Amour, dont Oprah achète mille exemplaires et fait la promotion dans son émission, fait soudainement d’elle une star.
« Seul l’amour peut chasser la peur »
Aux États-Unis, être célèbre et avoir beaucoup d’argent suffit parfois à se lancer dans la course à la présidence. « Malgré les réseaux sociaux, une campagne présidentielle américaine se fait encore et surtout à la télévision, il faut avoir une présence télévisuelle pour atteindre les gens », explique Marie-Christine Bonzom, politologue spécialiste des États-Unis et ancienne correspondante à Washington pendant 30 ans.
Pour fasciner les gens, Marianne Williamson est restée elle-même : en 2020, alors en plein débat entre candidats aux primaires démocrates, elle plante ses yeux dans la caméra et s’adresse directement au Président Trump. « Vous avez utilisé la peur à des fins politiques, et seul l’amour peut chasser la peur. Je compte bien utiliser l’amour. Et monsieur, l’amour gagnera », lui dit-elle, pendant qu’un ange passe sur le plateau. Malgré quelques idées, ce sera tout ce que les médias retiendront d’elle.
Son programme, peaufiné en 2024, est en réalité assez similaire à celui de Bernie Sanders. « Williamson veut créer un système de santé public pour tous, elle s’oppose aux interventions militaires américaines, elle défend le Green New Deal, le droit à l’avortement, réclame la gratuité des études supérieurs et de la maternelle, l’augmentation du salaire minimum… », liste Marie-Christine Bonzom. Elle est aussi la première candidate à s’exprimer en faveur des réparations aux noirs-américains. « En réalité, son programme parle vraiment aux américains », analyse Bonzom, « dans une société extrêmement fracturée et violente, elle parle de réconciliation, et trouve un certain écho chez les Américains qui aspirent à un renouveau spirituel, dans le sens moral, pas religieux, et qui en ont marre du cynisme des élites politiques de Washington. »
Opération décrédibilisation
Le 8 janvier dernier, dans une petite salle de la ville de Manchester dans le New Hampshire, le débat était censé opposer Williamson et Dean Phillips, l’autre « petit » candidat à la primaire démocrate. Étonnement, les deux opposants avaient pourtant l’air d’accord sur le principal : la responsabilité de Joe Biden dans leurs malheurs et ceux de l’Amérique.
« Il aurait dû être là avec nous, mais il n’est pas là car il considère cette élection comme acquise. Marianne et moi, nous sommes les deux seules personnes en Amérique à vous dire la vérité : il va perdre », clamait Dean Philips. Le président Biden avait en effet choisi de zapper les primaires démocrates du New Hampshire, pour débuter sa campagne sur une touche plus positive en Caroline du Sud. La campagne du président se déroule en réalité comme s’il n’avait aucun adversaire à la nomination : les instances démocrates locales en Floride, au Tennessee et en Caroline du Nord ont d’ailleurs décidé qu’il serait le seul candidat dans leurs États. Aucun bulletin pour Marianne Williamson ou Dean Philips ne sera sorti des cartons.
« Le parti démocrate ostracise les rivaux internes de Biden, tout est verrouillé pour lui dégager une voie royale vers un second mandat. Biden a fait changer le calendrier des primaires à son avantage et refuse tout débat, les apparatchiks du parti veulent l’imposer aux électeurs le plus vite possible », analyse Marie-Christine Bonzom. Pour cela, le parti démocrate n’hésite pas à décrédibiliser Marianne Williamson, la reléguant au rôle de « la Californienne New Age ».
Alors qu’elle venait d’annoncer sa campagne, la porte-parole de la Maison Blanche, à qui un journaliste demandait si Joe Biden était inquiet de cette adversaire, répondait : « On ne s’y intéresse pas. Si j’avais une boule de cristal, je pourrais, je ne sais pas, sentir son aura ? Mais non, on a vraiment rien à dire là-dessus… ».
Optimisme à toute épreuve
« Les médias proches du parti démocrate, comme CNN ou MSNBC, ne l’ont presque jamais invitée, ce qui la prive d’un accès à l’électorat », ajoute Bonzom. Le 19 janvier dernier, Marianne Williamson y faisait référence à l’occasion d’un post sur Instagram : « Au cours de ma carrière, je ne me suis jamais sentie limitée par mon genre… Mais vous ne savez pas ce qu’est la misogynie avant d’avoir été candidate à la présidentielle ! », écrivait-elle. « En Caroline du Sud, elle a fait plus de 2%, c’est pas mal vu le contexte très difficile auquel elle était confrontée », assure de son côté Marie-Christine Bonzom.
Pourtant, le 7 février, après un résultat décevant dans le Nevada, Marianne Williamson annonçait « suspendre » sa campagne. Sur Instagram, elle postait une sobre vidéo dans laquelle elle citait une phrase généralement attribuée aux fortune cookies : « les fins peuvent être belles, aussi. » Dans les commentaires, les réactions étaient unanimes : « fuck le système, vous aviez mon vote », lui ont répondu nombre d’internautes. Pour Marie-Christine Bonzom, cet abandon a quelque chose de logique, sa campagne n’étant plus financièrement viable, mais l’ancienne correspondante affirme que Williamson restera « la personnalité démocrate qui a eu l’audace de se présenter contre Biden et qui, bien avant tout le monde, n’a pas craint de dire tout haut ce que beaucoup de Démocrates pensent tout bas sur la fragilité du président-candidat. » Fidèle à ses principes positifs, Marianne Williamson n’a cependant pas rappelé l’autre vérité : depuis six mois, la majorité des sondages indiquent qu’un nouveau duel Biden-Trump serait favorable à Donald Trump.
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