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Culture

Gertrude Stein et Pablo Picasso : une amitié qui changea le cours de l’histoire de l’art

L’exposition “Gertrude Stein et Pablo Picasso”, qui se tient au Musée du Luxembourg depuis le 13 septembre, explore le lien qui unissait ces deux figures majeures du monde de l’art au début du 20e siècle.

Cette année plus qu’une autre, impossible de passer à côté de Picasso : les musées du monde entier fêtent les 50 ans de sa mort. Signe des temps, la perspective a changé : exit l’image d’Épinal du génie solitaire. Des expositions adoptent une perspective féministe ou s’intéressent de près aux influences du peintre, à ceux et celles dans l’ombre, qui ont nourri son art.

Parmi ses proches, Gertrude Stein. Née en 1874 en Pennsylvanie dans une famille juive aisée, émigrée d’Allemagne, elle grandit entre l’Europe et les États-Unis. A l’université de Radcliffe, elle étudie la psychologie, la philosophie et s’intéresse à l’automatisme normal de la motilité (les automatismes de notre activité mentale). En 1904, elle rejoint son frère, Leo, à Paris. Les deux partagent un goût pour l’art et collectionnent des œuvres modernes pour Gertrude, plus classiques pour Leo.

Émulation artistique 

Gertrude Stein rencontre Pablo Picasso en 1905. Elle se porte acquéreuse de plusieurs de ses tableaux, à un moment où le peintre en a bien besoin. Mécène mais aussi modèle. Avant d’inventer le cubisme, l’Espagnol se lance dans un portrait de Gertrude Stein, qui lui prend plusieurs mois et restera à la postérité. Elle lui présente Matisse, avec lequel Picasso entretiendra une amitié complexe. 

Source : capture d'écran YouTube
Source : capture d’écran YouTube

Tous les samedis soir, les Stein reçoivent au 27 rue Fleurus, dans le 6e arrondissement, le tout Paris du monde de l’art et autres visiteur·ses curieux·se de découvrir leur collection. Leur salon est émaillé de peintures de Cézanne, Renoir, Degas, Manet, Picasso, Matisse, Bonnard… Certains tableaux de cette collection sont à admirer durant l’exposition. Esthète, collectionneuse mais aussi écrivaine, Gertrude Stein écrit “Three Lives” (1909) en observant les tableaux de Cézanne. 

Au-delà de la stabilité financière qu’apporte les Stein à Picasso, une amitié sincère et une émulation intellectuelle naissent entre les deux artistes (en témoignent leurs échanges épistolaires), étrangers en terres françaises, qui s’épanouissent au cœur de la bohème parisienne. Ce que le grand public sait moins, et dont on prend la mesure durant l’exposition, c’est que le travail littéraire de Gertrude Stein est comparable à ce que Picasso a réalisé avec le cubisme. Dans les deux cas, il s’agit de déconstruire les dogmes de la littérature et de la peinture classiques. L’écriture de Stein s’appuie sur un effet de répétition et une déstructuration des phrases. 

Avec son recueil de poésie, “Tender Buttons” (1914), l’écrivaine expérimente l’utilisation du langage pour évoquer des objets du quotidien. Elle souhaite « créer une relation verbale entre la parole et les choses vues ». Sa poésie est accueillie de façon contrastée : tantôt incomprise, tantôt qualifiée de « chef-d’œuvre du cubisme verbal ». Le titre “Tender Buttons” (“Boutons Tendres”) a aussi été interprété comme une référence aux tétons féminins et au fait que Gertrude Stein était ouvertement lesbienne. En 1906, elle rencontre son grand amour, Alice B. Toklas, la secrétaire de son frère, avec laquelle elle passera le restant de sa vie. 

Du cubisme à la génération perdue 

Avec sa compagne, elle traverse deux guerres : lors de la première, les deux femmes sillonnent la France (Stein a passé son permis) en voiture pour approvisionner les hôpitaux de campagne. Entre les deux guerres, Gertrude Stein reprend sa collection, accueille dans son salon les peintres Juan Gris, Masson ou Picabia. Elle connaît un premier vrai succès en 1933 avec son livre Autobiographie d’Alice Toklas, dans lequel elle se substitue à sa compagne et se raconte, à travers elle. Elle y parle de cubisme :

« Le seul vrai cubisme est celui de Picasso et de Juan Gris. Picasso le créa et Juan Gris lui donna son caractère de clarté et d’exaltation. » 

 Gertrude Stein et Alice B. Toklas // Source : Centre international de la photographie
Source : Source : Centre international de la photographie

En dépit de son titre, “Gertrude Stein et Pablo Picasso”, l’exposition s’intéresse davantage à la première qu’au deuxième, et on ne va pas s’en plaindre ! La suite de l’exposition, composée de peintures, sculptures et de textes de Gertrude Stein affichés sur des pans de murs, témoigne de l’influence qu’a eu l’écrivaine les décennies suivantes sur d’autres mouvements artistiques, comme celui de la “Lost Generation”. Pendant l’Entre-Deux-Guerre, elle fréquente la nouvelle génération d’écrivains américains expatriés à Paris, dont Francis Scott Fitzgerald, James Joyce ou Ernest Hemingway. Dans “Paris est une fête”, ce dernier rapporte les propos de Stein : « Vous autres, jeunes gens qui avez fait la guerre, vous êtes tous une génération perdue ». Cette clique d’artistes se côtoie à la librairie Shakespeare and Company, fondée en 1919 par Sylvia Beach. 

L’héritage moderniste de Gertrude Stein 

Gertrude Stein poursuit son œuvre : elle écrit “Matisse Picasso and Gertrude Stein with Two Shorter Pieces” (1933) ainsi qu’un opéra, “Four Saints in Three Acts, an Opera to Be Sung” (1934). Dans “Three Songs”,  John Cage met en musique ses poèmes. Ses écrits possèdent une dimension performative et sonore, avec des procédés de répétition de mots ou de phrases, qui auront un très fort impact les décennies suivantes sur des artistes contemporains comme Jasper Johns, Joseph Kosuth ou Marthe Wéry

Picasso et Gertrude Stein sont les deux tout à gauche // Source : URL
Picasso et Gertrude Stein sont les deux tout à gauche

Gertrude Stein fonde une maison d’édition avec sa compagne (Plain Edition) puis voyage aux États-Unis, où elle donne des conférences à travers tout le pays. C’est l’heure de la reconnaissance sur ses terres natales. À peine revenue à Paris, la Seconde Guerre Mondiale éclate : en tant que juives et lesbiennes, Gertrude Stein et Alice B. Toklas sont en danger. Elles se réfugient dans des villages en zone libre. Relativement protégées par leur statut social et leurs relations haut-placées, notamment avec Bernard Faÿ (un homme de lettres qui a côtoyé le tout Paris artistique avant de devenir collaborationniste), elles reviennent dans leur appartement parisien fin 1944. Il a été préservé in extremis de tout pillage. Comme Picasso, Gertrude Stein a fait profil bas pendant la guerre, cultivant des amitiés dans les deux camps. A la Libération, ses écrits se font le reflet du patriotisme américain ambiant. Elle publie en 1945 “Wars I Have Seen”, dénonce l’injustice et l’intolérance dans Ida ou Mrs. Reynolds et écrit un nouvel opéra, “The Mother of Us All” ; avant de s’éteindre, en 1946, des suites d’un cancer. 

Entre son rôle de mécène et de lien entre les plus grand·e·s artistes du 20e siècle et son œuvre pionnière de la littérature moderniste américaine, plus récemment étudiée avec une perspective queer, on comprend en sortant de l’exposition pourquoi Gertrude Stein a marqué l’histoire de l’art, au moins autant que Picasso.   


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Les Commentaires

5
Avatar de Attie
15 octobre 2023 à 16h10
Attie
Je suis très surprise qu'on fasse un article évoquant leur amitié étant donné l'attitude de Picasso envers les femmes;
une véritable ordure dont ses compagnes font encore l'objet de "victim blaming".
9
Voir les 5 commentaires

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