Septembre 2021. Fraîchement diplômée d‘une licence, je me donne un an pour peaufiner mon niveau d‘espagnol avant d‘entrer en master. Je cherche un emploi depuis la France et je me rends vite compte de la difficulté de trouver un premier job, à temps plein, à l‘étranger en moins de quelques mois. J’y pensais depuis un moment, et l’occasion était parfaite : je décide de partir en tant qu‘au pair.
Un séjour au pair est considéré comme un échange culturel dans lequel une personne de moins de 30 ans vient s’occuper des enfants et participer aux tâches ménagères dans une famille de son pays d’accueil. En général elle vit avec eux, suit des cours de la langue du pays, travaille entre 25 et 30 heures par semaine, souvent hors week-end, le tout pour être nourrie, logée, et rémunérée d’un peu d’argent de poche (en Espagne, environ 300 euros par mois).
J’avais déjà entendu des retours d’expériences compliquées en tant qu’au pair, mais ayant aussi des proches pour qui tout s’était bien passé, j’ai choisi de prendre leurs conseils et de me lancer.
Comment j’ai trouvé mon séjour au pair
En deux-trois clics, je trouve un site de mise en relation de familles et d’au-pair, dont j’ai beaucoup entendu parler. Je le compare avec d’autres plateformes, me dit qu’il me paraît sérieux, et c’est parti : mon annonce postée, les prises de contact commencent.
J‘ai un super bon feeling avec la première maman avec qui je discute, qui a elle-même été au-pair par le passé. Elle me propose de téléphoner à mes parents pour échanger, ce qui me donne aussi l’occasion de parler avec un de ses deux enfants. Je tente quand même de parler avec d’autres familles avant de faire mon choix, et tombe sur des profils plus ou moins honnêtes : un père de famille me décrit par exemple des conditions de travail et de logement incroyables, mais il devient très flou quand j’aborde l’argent de poche. Il voulait en fait que je travaille gratuitement.
Après quelques contacts, je reviens donc vers la première qui me semble idéale (même ma mère est conquise !), et j’accepte de travailler avec sa famille. Par précaution, j‘exige un contrat. Ce n’est pas obligatoire, puisqu’il n’y a pas de programme officiel d’au-pair en Espagne, mais ils acceptent.
Je me base sur un contrat type de l’Union Européenne et c’est là que je fais la première erreur : par peur qu’il perde sa validité, je ne souhaite pas le modifier, même s’il ne contient aucune mention de jours de vacances. On se met donc d’accord là-dessus oralement, et nous accordons sur le fait que j’ai le droit de partir à chaque fois que les enfants sont en vacances scolaires (4 semaines), plutôt avantageux me dis-je, par rapport à la norme.
Mon arrivée en Espagne en tant qu’au pair
J’arrive en Espagne début novembre et le marathon commence. Ma mère d’accueil (host-mum) m’a recrutée pour que j’enseigne le français à son enfant le plus jeune (une dizaine d’années), et que j’aide la plus âgée, qui souhaite faire des études semblables aux miennes, à se préparer pour l’université.
Elle est candidate à de multiples bourses pour passer les dernières années de sa scolarité à l’étranger. Entourée de professeurs particuliers, d’une coach, de sa mère et de moi, nous passons des heures à préparer des définitions, écrire des dossiers de candidature, lui faire des oraux blancs etc. Je suis motivée et gentille, ils apprécient ma cuisine. Je me dis que ça se passe plutôt bien.
Je ne compte pas mes heures, et j’en fais beaucoup
En décembre, le père part pendant trois semaines et les grands-parents débarquent pour six semaines. Ma host-mum est bien occupée, et comme elle ne cuisine jamais et que le père est parti c’est moi qui me retrouve à cuisiner 5 jours par semaine au lieu des 2 ou 3 prévus. Je fais aussi tout le débarrassage et la vaisselle, et personne ne m’aide.
Lorsque la mère me dit que le plan pour que sa fille puisse finir son année scolaire en France est tombé à l‘eau, je fais mon possible pour lui trouver une solution, et après une quinzaine d’appels, de tentatives de négociations et de rendez-vous avec le rectorat, le lycée, l’académie etc., toujours en dehors de mes horaires de travail, j’arrange la situation : elle et sa meilleure amie, iront finalement finir leur année dans mon ancien lycée.
Je me donne à fond, je ne compte pas trop mes heures.
Pendant mes vacances, on me demande de travailler
Alors que me réjouis de rentrer en France pendant 2 semaines et demi à Noël, patatras. Cinq jours avant de partir, une amie m‘annonce qu’elle est positive au Covid. Ma famille d’accueil ne réagit pas très bien, me reprochant d’avoir été imprudente alors que j’ai à peine sept ou huit connaissances dans la ville, tandis qu‘eux vont à des dîners toutes les semaines — finalement, ils l’ont attrapé en mon absence.
Je choisis de rentrer m’isoler en France pour pouvoir retrouver mon copain après ma quarantaine. La première semaine, ma host-mum m’a demandé de faire des réunions vidéo tous les matins pendant une semaine avec les enfants pour travailler avec eux. J’accepte, en m’estimant chanceuse d’avoir pu partir aussi longtemps. C’est au cours d’un de ces appels que j’apprends que la fille, qui est la seule à ne pas avoir été infectée, a été isolée dans ma chambre, sans qu‘on me demande la permission. En revenant de mes vacances, les parents n’ont pas dit aux enfants quels étaient les cadeaux de Noël qu‘ils avaient reçu de ma part, je suis un peu déçue.
Des week-ends de travail de plus en plus fréquents
En janvier, c’est le rush. L’oral de candidature pour la prochaine bourse de l’aînée est dans deux semaines, et ma mère d’accueil me demande de travailler les dimanches. J’avais obtenu trois jours de libres pour un voyage en décembre, je n’en avais rattrapé qu’un, cela me semblait normal de le faire. En février ça se calme, mais les parents commencent à me demander de babysitter le week-end sans proposer de contrepartie (ni financière, ni en récupération de mes heures de travail), et j’accepte deux fois pour rendre service.
Cela devient de plus en plus fréquent et ils me mettent devant le fait accompli en me disant qu’ils sortent et que je dois garder le petit. Sachant que mon copain a prévu de me rendre visite bientôt, je m’exécute en espérant qu’ils soient souples quand il sera là.
Son séjour se passe bien, ils nous prêtent la voiture et nous babysittons ensemble. Mais les semaines suivantes, mes host-parents me demandent sans cesse si je suis là le vendredi soir et le samedi. Comme mes journées pour eux se terminent à 22 heures et qu’il n’est pas possible de sortir tard dans la petite ville où nous vivons, évidemment, je suis là. C’est comme ça que je me retrouve à faire du baby-sitting gratuitement, en dehors de mes heures de travail chaque semaine.
Ayant donné beaucoup de mon temps, il me semble approprié de demander si je peux avoir un samedi — jour où je n’étais sensée travailler que le matin — pour passer du temps avec mon frère. Ma host-mum me fait culpabiliser et me dit d’abord que ce ne sera pas possible. Elle finit par accepter mais je dois travailler un dimanche en contrepartie.
Je commence à me sentir sérieusement utilisée, et à développer de la rancoeur. Mais mon copain m’encourage à tenir bon : j’ai beaucoup à gagner de cette expérience sur le plan professionnel, et je refuse d’arrêter d’apprendre l’Espagnol. Et puis, je suis attachée aux enfants, mes proches prévoient de venir me voir dans plusieurs mois, il m’est impensable de partir avant la fin de mon contrat.
Je suis de plus en plus désabusée
Lorsque je veux rentrer à Pâques, j’en parle à ma famille d’accueil qui tarde trois semaines à confirmer, change de dates, change d’avis, et m’impose finalement de payer des billets d’avion plus chers pour partir moins longtemps.
Je reviens de ces vacances désabusée, avec des conseils me disant de ne pas me laisser faire et de tenir bon. J’essaie, et à partir de ce moment-là, il m’arrive de dire non au babysitting gratuit. Mais les demandes continuent, tout comme les demandes de travailler le dimanche. Je n’arrive pas à dire non à chaque fois. Lorsque c‘est le cas, il y a deux types de réaction, soit très froide, soit bienveillante mais toujours suivie d‘une demande d’autre chose.
Mon contrat prévoyait une date de fin initiale le 31 juillet, avec deux semaines de préavis si je veux partir avant. En mai, je préviens que j’aimerais bien partir autour du 10 juillet pour voyager un peu. Aucune discussion possible, ils me disent non tout en me culpabilisant, arguant qu‘ils ont fait tellement pour moi, puis passent à autre chose.
Malgré tout, j’ai tenu 8 mois.
Je décide de trouver un emploi au mois de juillet pour pouvoir partir et les mettre devant le fait accompli. Quand je leur annonce avoir trouvé un emploi qui me contraindra à rentrer fin juin, ils n’ont pas d’autre choix que d’accepter. J’essaye de négocier et d’avoir leur aval pour partir un peu plus tôt, mais je me retrouve à nouveau face à un mur. Ils me font culpabiliser de les abandonner.
Pour me remonter le moral, je décide de voyager pendant l’un de mes derniers week-ends.
Sauf qu’une semaine plus tard, après le repas ils m’annoncent qu’ils partent à Ibiza ce weekend-là, et que je devrais m’occuper des enfants. Me voyant bouche-bée, ils me disent « Mais tu étais au courant. » Je suis complètement choquée, effectivement, j’avais entendu une vague conversation il y a des mois, mais ils ne m’avaient rien dit directement. Je balbutie un :
« Oui, j’en avais vaguement entendu parler »
Ils se lèvent et s’en vont.
Dans ma chambre je me mets à pleurer et à me détester de ne pas avoir protesté. Évidemment, cela tombe pendant mon weekend de voyage. Je n’aurais donc ni l’Andalousie ni la mer et mes billets de train ne sont pas remboursables.
Si je devais conseiller une future au pair
Je ne suis pas partie en Andalousie, et je n’ai pas réussi à dire stop. Je n‘ai pas eu le courage d‘une énième confrontation et je comprendrais que vous vous demandiez pourquoi je suis encore ici. Peut-être que le cheminement insidieux jusqu’ici aidera à comprendre le rapport de force qui s’est imposé entre nous…
Il me reste 10 jours, et j’ai hâte de partir.
Je sais aujourd’hui que je ferais tout pour qu‘une telle situation ne m’arrive plus jamais. J‘espère aussi pouvoir sensibiliser d‘autres personnes avant qu‘elles se lancent dans cette aventure !
Au cours de cette année, j’ai quand même eu la chance de faire de super rencontres et de lier des amitiés. Être au pair, c’est aussi faire des rencontres inoubliables, créer un lien avec les enfants, un échange culturel intéressant… Mais si je pouvais vous donner un conseil pour éviter de vivre des situations comme la mienne, ce serait d’avoir un contrat très clair. Horaires précis, tâches, contrepartie en cas d’heures supplémentaires, nombre de jours de vacances, statut des jours fériés (beaucoup d’au-pair travaillent durant les jours fériés parce qu’elles n’ont pas pensé à en parler avec les familles avant), assurances, démission etc…
Essayez de négocier la prise en charge par la famille de l’abonnement aux transports en commun et/ou le cours de langue, et n’hésitez pas à parler avec plusieurs anciennes au-pair de la famille pour leur demander quelles ont été leurs difficultés !
De manière générale, je dirais qu’il n’y a pas grand chose à gagner à se faire toute petite à l’arrivée, et à essayer d’être parfaite. Il vaut mieux être considérée comme un membre de la famille ! Par ailleurs, le fait d’être dans une situation précaire face à une famille souvent aisée qui vous loge peut rendre vulnérable aux abus. Il peut être bon d’avoir un peu d’économies pour faire face à une éventuelle situation difficile, car la paie d’au-pair ne permettra pas d’économiser assez. En faisant attention à ces points, l’expérience n’en sera que plus enrichissante !
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Crédit photo : Pexels / cotton bro
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