- Prénom : Lucie
- Âge : 28 ans
Une deuxième grossesse
On a eu une petite fille et nous n’avons pas vraiment eu le temps de réfléchir au deuxième, que j’étais déjà enceinte. Nous étions très heureux.
La grossesse a été sportive car ma fille avait un an quand j’ai appris que j’étais enceinte. Je m’en occupais à plein temps.
Mon conjoint est chauffeur poids lourds en national donc il ne rentre pas de la semaine. Il arrêtait quand même de temps en temps quelques semaines quand je n’en pouvais plus et il repartait travailler ensuite.
Ça n’a pas été facile de trouver ses marques. Ma fille commençait à comprendre quand son père partait, ce qui générait pas mal d’angoisses. Ça a été une grossesse un peu compliquée quand même.
Je n’aime pas être enceinte. J’ai eu mal au dos tout le temps, des suspicions de diabète, un milliard de rendez-vous, des prises de sang. Je ne l’ai pas super bien vécue mais je savais que c’était pour quelque chose de beau, donc je serrais les dents.
Un projet d’accouchement à la maison
Pour comprendre ma volonté, il faut remonter à l’accouchement de ma première fille. Jusqu’à l’année dernière, avec mon conjoint, on vivait en poids lourd aménagé. J’ai accouché dans mon poids lourd pour mon premier bébé. C’était voulu. On avait trouvé une sage-femme qui nous accompagnait, on avait dû aller en région parisienne pour ça.
L’année dernière, on est allés s’installer dans le Vaucluse, là où mon conjoint a sa grand-mère qui est en fin de vie et qui a besoin de son soutien. Je voulais avoir un deuxième accouchement à la maison car le premier s’était vraiment trop bien déroulé. J’avais vraiment adoré accoucher la première fois.
Il y avait une seule sage-femme qui faisait des accouchements à domicile dans le secteur, mais à 5 mois de grossesse, ce plan est tombé à l’eau. Il a fallu changer de projet, ce qui a été assez compliqué car je suis phobique des aiguilles.
J’ai été voir une psy et l’hôpital où je devais accoucher pour préparer un projet de naissance hyper carré. Je redoutais cet accouchement, et j’avais peur de quelque chose d’impersonnel, peur de ne pas pouvoir être avec ma fille et mon conjoint.
Mais il était hors de question que j’accouche à la maison sans personnel médical. Ça aurait été à mon mec de gérer s’il y avait le moindre problème. Il est routier, il n’est pas médecin !
Le coeur du bébé a cessé de battre
J’ai trouvé une autre sage-femme pour suivre la fin de ma grossesse en vue d’accoucher à l’hôpital.
De toute façon, on accouche pas d’un bébé décédé chez soi.
J’ai été voir ma sage-femme pour le contrôle des 8 mois, à presque 37 semaines. C’était un rendez-vous de contrôle classique où on écoute par exemple le cœur du bébé. On n’a rien entendu. Sur le moment, je me dis naïvement que ce n’est pas un souci, que le coquin s’est mis dans une position où on ne l’entend pas.
Le sage-femme me dit sans vraiment me dire (c’était la première fois qu’elle se trouvait à devoir annoncer ce genre de choses et elle n’était pas préparée) :
« Allez aux urgences, on ne sait jamais. »
Aux urgences, ils ont branché l’appareil pour faire une échographie, et j’ai tout vu. C’était encore pire. J’aurais aimé me passer de cette image. Le médecin, quand il a compris, a tout de suite tourné l’écran pour ne pas que je ne vois mais c’était trop tard.
Ça me fait du bien d’en parler maintenant, je lutte pour que ça ne devienne pas un tabou. Ça fait partie de la thérapie.
Il n’y a pas d’explication, je n’y suis pour rien
Il y a eu une autopsie mais de tout ce que j’ai pu entendre c’est que la plupart du temps, on ne sait pas d’où ça vient. Le cœur s’arrête, et on ne sait pas pourquoi. Ils m’ont pris énormément de sang. Les médecins m’ont dit :
« Ne vous attendez pas à avoir une explication un jour. »
D’un côté, c’est difficile de pas savoir, et d’un autre côté, s’il n’y a pas d’explication, je n’y suis pour rien. En tant que mère qui porte l’enfant, on culpabilise énormément. On se dit : « si ça se trouve, j’ai mal fait quelque chose. Si ça se trouve j’en ai trop fait… » Alors que c’est la nature, c’est comme ça, ça arrive. Savoir ça m’aide.
Ça a été très, très violent
Le personnel de l’hôpital a été très bienveillant dans l’ensemble. Il y a tout de même eu quelque chose de dur et de pas normal : mon conjoint n’était pas là au moment où ils ont fait l’échographie. Donc c’est moi qui ai dû lui annoncer. C’est le genre d’informations qu’on a envie d’apprendre à deux.
C’était le 22 décembre, là ils m’on donné un médicament pour déclencher l’accouchement. J’étais en état de choc. Ça s’est passé aux urgences maternité, mais je suis sortie car je ne voulais pas voir de femmes enceintes. C’était trop dur pour moi et pour elles.
Ils m’ont donné ça sur le parking de l’hôpital et m’ont dit de rentrer chez moi. On m’a dit de revenir le lendemain pour rencontrer l’anesthésiste en vue de l’accouchement qui était prévu pour le 25 décembre. Trois jours avec mon bébé dans le ventre et le jour de Noël en plus. C’est la procédure.
Un accouchement rapide
Le médicament a été très efficace sur moi mais je pense que le mental a aussi beaucoup joué. À peine je rentrais chez moi que les contractions commençaient. Je suis retournée le lendemain à l’hôpital, mon col était dilaté à 8 millimètres. J’avais eu largement le temps de souffrir. C’était horrible comme douleur.
Je suis arrivée à 15 heures et à 17 heures, j’avais accouché. Ça a été un accouchement par voie basse, et péridurale. Le mental est très fort dans ces cas-là et ça faisait 24 heures que je me répétais : « je veux qu’il sorte. » Je suis restée à l’hôpital une nuit et je suis rentrée chez moi le 24 décembre.
Le post-partum
Ils m’ont donné un médicament pour éviter les montées de lait.
Je parle de mon cas et ne veux pas faire de généralités, mais j’ai fait en sorte d’oublier, d’avancer très vite. Je ne voulais pas rester là-dessus, c’était tellement douloureux.
Le 24 décembre, j’avais des amis à la maison et on a fêté Noël. Le 27 décembre, je suis allée faire des courses, que j’ai portées, ainsi que ma fille, qui était avec moi. J’ai fait comme si rien ne s’était passé. Je savais que si je restais chez moi à me morfondre, je ne me relèverai jamais.
Je n’ai pas laissé la possibilité à mon corps d’exprimer la moindre souffrance. J’étais tellement dans le mental. J’ai fait des malaises mais je me relevais et je continuais. Ma fille avait besoin de moi. J’ai continué à faire à manger, à jouer avec elle. Mais il y a eu pas mal de séquelles physiques tout de même. Je commence à peine à laisser la possibilité à mon corps de s’exprimer.
Je suis suivie par la psy de l’hôpital qui est assez géniale, mais ça va être très long et compliqué.
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Image en une : © Unsplash/Mustafa Omar
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Les Commentaires
Les séquelles physiques : deux grossesses très rapprochées ont forcément endommagé mon périnée, mon bassin et mon dos mais je ne sais pas encore à quel point. Seul le temps le dira je crois. Mais cela n'a rien à voir avec le décès du bébé, de même que la péridurale aura peut-être des effets néfastes à long terme mais il est trop tôt pour le dire.
Ma fille a un an et demi alors je crois qu'elle a compris les choses à sa manière de bébé. Je lui parle beaucoup pour qu'elle comprenne notre tristesse mais elle ne semble pas affectée par la mort de son petit frère. C'est un bébé très câlin peut-être encore plus aujourd'hui. Mon conjoint en parle beaucoup moins, il ne supportait pas le terme "mort" au début mais j'ai insisté sur l'importance des mots choisis, hors de question de lui cacher la vérité.
Mon fils a été nommé et inscrit dans notre livret de famille. Ça a été une épreuve mais ça me semblait important pour avancer.
Il n'y a pas eu d'enterrement car le lendemain de l'accouchement nous avons eu à choisir entre gérer l'intégralité des démarches ou aucune. Évidemment à ce moment là il était trop dur pour nous d'envisager de s'en occuper. Nous sommes allés le voir à la chambre mortuaire. Il a ensuite été autopsié puis incinéré et déposé dans un jardin du souvenir. Je n'ai pas encore réussi à y aller mais je vais moi-même organiser une cérémonie symbolique avec ma famille pour lui dire au revoir. Je placerai ce lieu sur la tombe du père de mon compagnon, afin qu'il reste au milieu de sa famille.
J'ai eu l'avantage d'avoir un conjoint solide et bienveillant à chaque étape même si ce n'est que le début du deuil, cela nous a rapproché et aujourd'hui nous sommes plus forts ensemble.
Je dirai enfin que la difficulté pour moi réside dans le fait d'être seule à connaître la douleur psychologique et physique de cette épreuve. Il n'existe aucun groupe de parole dans ma région et je sais que ça m'aurait aidé.
Si l'une d'entre vous a d'autres questions, j'y répondrai autant que possible et j'espère pouvoir aider celles qui malheureusement connaîtront cela après moi.