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Parentalité

J’ai peur que tous les hommes qui gravitent autour de ma fille soient des pédocriminels

Manon est la mère d’une petite fille de quatre ans, et elle ne sait plus trop comment gérer ses peurs et ses angoisses face à la pédocriminalité qui semble être présente à tous les coins de rue. Comment calmer une peur irraisonnable ?

Tout au long de ce témoignage, vous pourrez retrouver les conseils de la docteure Marie Touati-Pellegrin, pédopsychiatre à Paris, qui y aborde le sujet de la pédocriminalité avec les enfants. Elle a gentiment accepté de relire cet article avant la publication, pour y apporter son regard d’experte et nous donner des pistes permettant d’anticiper certaines situations dangereuses.

Depuis que je suis en âge de comprendre ce qu’est un danger, et même avant cela si je m’en souviens bien, ma mère a toujours tout fait pour que je sois consciente des menaces qui m’entourent. Peut-être l’a-t-elle fait avec trop de véhémence, peut-être y est-elle allée trop fort, peut-être qu’en voulant tout faire pour me protéger autant que possible… toujours est-il qu’elle est à l’origine de cette peur. Je ne la blâme pas, je la comprends.

Je suis née à la fin des années 1980, et j’ai des souvenirs très clairs et bien traumatisants de certains évènements qui ont pu se passer à l’échelle nationale quand j’étais encore une enfant.

Ma mère et ses peurs, un drôle d’héritage

Par exemple, lorsque la petite Marion Wagon a été kidnappée en 1996 sans jamais être retrouvée, je me souviens de ce que ça a provoqué chez ma mère, qui était déjà tout le temps sur ses gardes vis-à-vis de ma sécurité.

Les discussions qui ont suivi, les rappels sur le fait de ne jamais monter dans une voiture que je ne connaissais pas, de ne jamais laisser un adulte me toucher, de ne jamais avoir de secret avec une grande personne sans que ma mère ne le sache… Je m’en souviens comme si c’était hier.

Même si les années 1990 pouvaient sembler plus douces et moins violentes que les décennies suivantes, du moins sous mon prisme d’enfant, la pédocriminalité était partout, et ça, ma mère le savait très bien.

Pourtant, j’ai l’impression qu’on parlait moins des drames, on cachait davantage les secrets inavouables, la parole ne se libérait pas comme aujourd’hui, mais c’était quand même bien là. Quand une petite fille était enlevée sur le chemin de l’école, ça faisait la Une des journaux. Lorsque Marion Wagon a disparu, on a pu voir son visage partout, des briques de lait aux affichettes dans chaque magasin.

De mon côté, ces disparitions et les discours de ma mère ont déclenché quelque chose chez moi, une angoisse que je n’arrive, encore aujourd’hui, absolument pas à calmer, encore moins depuis que je suis mère à mon tour.

« Les avertissements donnés dans ce passage à l’enfant, à savoir de ne pas monter dans une voiture inconnue, de ne pas laisser un adulte la toucher, ne pas avoir de secrets, etc., sont des bons conseils à donner à tous les plus petits, garçons comme filles.

Les jeunes personnes des deux genres ont les mêmes risques, et il est important de tenir le même discours avec une petite fille ou un petit garçon, sans distinction. Il est essentiel de transmettre à ses enfants ses techniques personnelles pour écouter ce qui nous met en alerte et s’épargner du danger. »

J’ai peur des hommes, et ça m’a protégée

J’ai eu longtemps peur des hommes. Ma mère m’a appris à me méfier, et elle a eu raison, car par deux fois au moins, ça m’a sauvée.

La première, ce fut lorsqu’un ami de mon père, de passage dans notre maison de vacances, me demanda de l’embrasser sur la bouche alors que nous étions seuls dans une pièce à l’étage, un court instant. J’avais peut-être sept ou huit ans, et j’ai su immédiatement qu’il n’avait pas le droit de me demander ça. J’ai couru, le cœur essayant de sortir de ma poitrine, voir ma mère au rez-de-chaussée, complètement paniquée.

Je n’ai pas eu le courage de lui dire ce qui venait de se passer et elle ne l’a jamais su (puisqu’il n’a évidemment rien dit non plus, vous vous en doutez), mais j’ai compris à ce moment-là ce qu’elle avait voulu me dire depuis tout ce temps : les hommes peuvent être dangereux.

La deuxième fois, c’était en rentrant du collège à pied — j’étais en sixième. Une voiture s’est arrêtée près de moi, et un homme d’une cinquantaine d’années m’a demandé de monter. Je n’ai jamais couru aussi vite de toute ma vie. Encore une fois, grâce aux discours de prévention de ma mère, j’avais pu comprendre tout de suite le danger et fuir avant qu’il ne se passe quelque chose de grave.

Plus je grandissais, plus j’avais affaire à différents types d’hommes : les harceleurs de rue, les vieux pervers, les toxiques, les lâches, les déséquilibrés. Mais plus je grandissais aussi, moins j’intéressais certains types, les pédocriminels, devenant trop vieille pour eux. Tant mieux.

Plus je vieillissais, plus j’oubliais aussi. Je me disais que ma mère avait peut-être un peu exagéré en me surprotégeant, qu’elle avait surtout contribué à faire de moi une grande flippée, et que c’était un peu abusé. Malheureusement, elle n’était plus là pour m’expliquer qu’elle avait tout à fait raison d’avoir agi de la sorte, puisqu’elle est décédée brutalement lorsque j’avais seulement 13 ans.

Je pensais être débarrassée de cette peur en ayant atteint la fin de ma vingtaine et puis je suis tombée enceinte d’une petite fille. Soudainement, tout m’est revenu en pleine poire.

Je transmets mes peurs à ma fille, pour la protéger

Je vous avais un peu parlé de cette rage qui avait débarqué de nulle part, lorsque j’avais été harcelée sexuellement en compagnie ma fille de quatre ans, il y a quelques mois. Je vous avais raconté comment j’avais compris qu’elle était malheureusement tout autant en danger que toutes les autres filles, quel que soit leur âge, et qu’il allait falloir que je lui explique que parfois, certains hommes étaient méchants.

En fait, je me suis surtout rendu compte que depuis qu’elle est bébé, j’étais déjà sur mes gardes en permanence, à la limite de la paranoïa. À l’époque, lorsque je me baladais en poussette avec elle et qu’elle était toute petite, j’avais envie de bondir au visage des hommes qui osait la regarder en souriant. Alors que si ça se trouve, ils souriaient juste parce qu’elle était une petite fille mignonne avec ses couettes blondes, parce qu’elle était rigolote avec ses babillages, pas parce qu’ils avaient envie de la violer.

Mais je me souviens également d’une fois où, elle devait avoir un an environ, nous étions assises sur l’herbe, dans un parc. Au loin, un homme sur un banc ne faisait que la fixer. Il ne faisait rien de mal, officiellement, mais le regard qu’il posait sur elle — et seulement sur elle — me glaçait le sang. J’étais en alerte, alors j’ai préféré partir et quitter le regard de cet inconnu.

Oui, c’est un fait : je ne laisse aucun bénéfice du doute en ce qui concerne ma fille.

« On a tous des “warnings”, des alertes personnelles qui nous mettent en garde, quand une personne croisée peut être perverse ou que ses intentions sont potentiellement mauvaises.

Dans ces moments-là, il faut avoir le courage de prêter attention à nos “warnings”, de s’écouter, et se faire confiance.

C’est valable quand on est enfant et qu’on se sent en danger, et c’est aussi valable quand on est adulte et que nos enfants sont confrontés à ce qu’on sait être des risques.

Ces “warnings” permettent d’éviter des situations dangereuses, et même si parfois, ça peut paraître un peu extrême (parce que finalement, la personne dont vous doutiez n’était peut-être pas “mauvaise”), ça peut aussi sauver. »

Aujourd’hui, je maintiens ma vigilance. Quand ma fille a eu quatre ans, je lui ai dit, par exemple, qu’elle ne devait pas laisser les hommes animateurs à l’école l’aider à s’essuyer quand elle était aux toilettes, ou qu’elle ne devait pas leur demander de l’aide pour remonter sa culotte ou ses collants. Si elle devait demander de l’aide, elle devait le faire auprès d’une femme.

Je lui ai expliqué que si un jour elle se perdait, si un jour elle lâchait ma main dans un hall de gare par exemple, et qu’on était séparées, elle ne devait pas demander de l’aide à un homme, mais à une femme, et que c’était encore mieux si cette dernière avait un uniforme de la SNCF si possible.

Pourquoi ? Parce que je n’ai pas confiance, et que je ne laisse pas la moindre chance à des hommes que je ne connais pas, qui pourraient graviter autour de ma fille et lui faire un mal qu’il m’est impossible à imaginer.

À lire aussi : Pédophiles : est-ce vraiment le bon mot à utiliser ?

C’est dur, de lui dire ce genre de choses. C’est un sentiment complexe, puisque dans la vie de tous les jours, je souhaite que les hommes soient tout autant impliqués que les femmes dans les métiers de la petite enfance. Mais malgré mes convictions féministes et même si je sais que cette demande faite à ma fille n’est pas juste pour tous les hommes qui ne sont pas des pédocriminels, je suis incapable de contrôler ma peur.

Cette vigilance accrue concerne aussi les hommes que je connais, ceux de notre famille. On sait que les agressions commises par des proches sont plus fréquentes que celles commises par des inconnus, et, à part avec son père, je n’ai confiance en personne.

Je ne le montre pas, bien sûr, c’est délicat. Mais je fais toujours en sorte que ma fille ne se retrouve pas gardée par un homme uniquement, et que plusieurs autres personnes soient là. Quand elle était plus petite, seules la mère de mon mari ou ma sœur pouvaient la changer.

C’est un fait : j’ai peur tout le temps. J’ai peur qu’on lui fasse du mal, j’ai peur qu’on la kidnappe, j’ai peur d’un Nordahl Lelandais ou d’un Fourniret, j’ai peur pour elle, tout le temps.

Et le seul moyen que j’ai trouvé jusqu’à présent de contrôler cette peur, c’est de faire exactement la même chose que ce que faisait ma mère avec moi : la préparer, avec le plus de douceur, mais aussi d’impact que possible, au monde qui l’entoure, et à ses dangers.

Plus tard, quand elle sera plus grande, je pourrai lui apprendre aussi à se défendre, à connaître les gestes et les réflexes qui sauvent.

Je ne sais pas si ça sera suffisant, je ne sais pas si elle pourra éviter des drames, mais je croise très fort les doigts pour que ça soit le cas. Quitte à, malheureusement, la traumatiser autant que j’ai pu l’être par les paroles de ma mère. Si c’est ce qu’il faut pour qu’elle soit protégée, j’en assume l’entière responsabilité.

« Avec les enfants, le discours sur la pédocriminalité doit s’adapter en fonction de l’âge. Il est important de les informer, de les protéger du danger, de transmettre ces “warnings” pour qu’ils puissent savoir quand une situation est dangereuse.

Mais il est aussi important de leur transmettre qu’on peut faire confiance aux autres, que c’est aussi essentiel. Il ne faut pas tomber dans l’idée que tout le monde est dangereux, et il est souhaitable qu’ils puissent apprendre à faire confiance pour ne pas vivre dans la peur de l’autre.  C’est une nuance et un équilibre à trouver, pour ne pas être que dans une angoisse perpétuelle face au monde extérieur.

Et bien sûr, il faut apprendre aux enfants la notion d’intimité et de consentement, c’est primordial. On respecte l’autre, et l’on se respecte soi-même, on fait attention aux autres, mais aussi à soi, aux relations qu’on tisse avec les autres. »

Si vous vous trouvez dans la même situation que dans ce témoignage et que vous avez des angoisses incontrôlables face à votre peur de la pédocriminalité, il peut être important de comprendre d’où elle vient pour ne pas la transmettre de manière trop brute, grâce à l’aide d’un ou d’une thérapeute.


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Les Commentaires

53
Avatar de LovelyLexy
23 août 2023 à 17h08
LovelyLexy
Les remarque sur la tenue c'est à la fois le sexisme intégré, la croyance que le viol serait juste lié à un mec qui désire sa victime, et de la croyance en un monde juste ( les mauvaises choses arriveraient si tu fais une mauvaise action/ ne prends pas tes précautions)
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