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Mar_Lard et A-C Husson, deux féministes de la nouvelle génération

Rencontre avec Mar_Lard et Anne-Charlotte Husson, deux féministes de la nouvelle génération de militantes extrêmement présente sur Internet.

Le 16 mars dernier paraissait un article de Mar_Lard concernant le sexisme chez les geeks sur le très bon blog Ça fait genre ! tenu et créé par Anne-Charlotte Husson. Depuis, une prise de conscience s’opère et les idées se confrontent sur Internet. Nous les avons toutes deux rencontrées pour parler de leur rapport au féminisme et de leur façon de vivre au quotidien avec leur militantisme.

Comment en êtes-vous venues au féminisme ?

Anne-Charlotte : Je ne sais pas vraiment depuis combien de temps je m’identifie comme féministe, mais depuis longtemps. Seulement, je n’avais pas vraiment lu de choses sur la question, c’était plutôt des convictions. Je savais que j’étais féministe, mais je n’avais pas trop creusé. J’ai eu un déclic en 2010 : une amie m’a envoyé un lien vers une vidéo de Feminist Frequency et ça a lancé le truc. À partir de là, j’ai regardé plein de vidéos, j’ai lu plein de choses, et c’est là que le militantisme a commencé. Mais du coup, mon militantisme a complètement évolué. Je ne serais pas du tout d’accord avec la moi d’il y a 3 ans et heureusement.

Mar_Lard : Mon parcours est assez similaire en fait : j’ai toujours eu des convictions assez fortes. C’était surtout une fascination pour ce qui avait trait au genre, pour tout ce qui brouillait le genre, pour tout ce qui allait dépasser cette binarité (l’androgynie, les modèles alternatifs…) et une conviction assez forte que j’étais aussi bien que les mecs, que je pouvais faire aussi bien qu’eux. Mais voilà, j’étais clairement dans le modèle « je suis pas féministe, mais… ». Et puis, comme Anne-Charlotte, il y a eu un déclic. Je m’intéressais beaucoup à toutes ces questions-là mais c’était plutôt un égalitarisme gentil. Je lisais par exemple le blog de Maïa Mazaurette, et puis petit à petit j’en suis venue à lire les articles de Gaëlle-Marie Zimmermann qui ont beaucoup participé à mon éveil et ont élargi mes horizons. C’est quelqu’un qui explose les diktats, les règles.

Mais le vrai déclic, c’était en cours : on a eu une liste de lecture qui comprenait de très bons bouquins et j’avais hésité entre Middle Sex, sur l’intersexualité et King Kong Théorie de Virginie Despentes. Sur la quatrième de couverture il y avait le résumé dans lequel elle écrit « j’écris de chez les moches, les mal baisés etc. ». Ça m’avait intriguée et j’étais allée vers ce bouquin-là. Et donc je suis arrivée, petite moi de 16 ans, devant Virginie Despentes et je me suis pris une claque absolument monumentale. Ça a vraiment été le déclic et à partir de là j’ai creusé, creusé, creusé. C’est là que mon militantisme commence. Ça correspond à l’instant où tu commences à creuser, à t’y intéresser, à te renseigner et au bout d’un moment, tu commences à comprendre, à relayer et à faire de la pédagogie, à passer la bonne parole en gros.

Et depuis que vous êtes féministes, est-ce que votre rapport à la pop culture a changé ? Je veux dire, est-ce qu’il vous arrive encore d’apprécier un film ? (Rires)

AC : C’est notre gros problème ! Pour ce qui est de la pop culture, c’est compliqué effectivement. Parce que j’adore ça, mais souvent je voudrais pouvoir mettre mon cerveau sur off complètement », renchérit Mar_Lard), sauf que c’est impossible. Mais c’est une bonne chose, ça veut dire que tu gardes ton esprit critique en permanence, mais ça doit pas t’empêcher d’apprécier ces choses-là. Bon, il y a des choses que je ne pourrais plus apprécier cela dit, par exemple j’aimais beaucoup James Bond quand j’étais ado et maintenant c’est plus possible. Sinon dans la vie de tous les jours… Désolée Mar, je te pique la métaphore que tu as utilisé chez Usul : celle de la matrice. Une fois que tu as avalé la pilule rouge, c’est impossible de faire marche arrière.

ML : C’est vraiment ça : t’avales la pilule et tu ne peux plus fermer les yeux. Quand Anne-Charlotte parle de mettre son cerveau sur off, c’est ça. Il y a des trucs que tu ne peux plus voir de la même façon. T’es sans arrêt là « Ah tiens, là c’est un gros stéréotype, là c’est misogyne ». Et ça ne marche pas qu’avec la misogynie : quand tu es féministe, tu mets le doigt dans l’engrenage et tu repères aussi les clichés homophobes, la transphobie, la grossophobie qui est très présente ou encore le racisme. Et puis, ça se traduit aussi au niveau de la vie sociale…

AC : Oui effectivement, parce qu’on se rend compte qu’en étant féministe, il faut expliquer. Être pédagogue tout le temps. Et tout le monde ne le fait pas très bien. Moi je sais que je le fais mieux sur Internet qu’en vrai Moi c’est l’inverse », dit Mar_Lard), parce que je déteste la confrontation. Du coup soit je suis sur la défensive, soit j’y vais trop doucement et n’affirme pas suffisamment mes idées, soit je clashe (mais ça c’est plutôt avec des personnes qui me sont proches). Du coup il faut tout le temps faire cet effort-là. Et puis il faut toujours se justifier – comme s’il fallait se justifier de vouloir l’égalité des sexes.

ML : Parfois j’ai l’impression – c’est un peu présomptueux de dire ça mais bon – d’être face à une masse d’ignorance hostile. C’est un peu gros de dire ça comme ça, mais voilà. Le féminisme c’est un mouvement qui est très mal connu, qui est diabolisé, et du coup on doit se justifier et souvent faire face à des questions inquisitrices. Elles sont parfois posées en toute bonne foi, hein, mais c’est par exemple le fameux coup du « les féministes sont toutes extrêmes ». On entend sans arrêt les mêmes gros clichés et il faudrait toujours avoir une patience infinie (personnellement je sais que je ne l’ai pas (rires))

Ça se ressent parfois sur Twitter…

ML : Oui mais le truc qu’il faut bien comprendre c’est qu’on est dans un environnement hostile, que c’est écrasant et que même si c’est de bonne foi, ce sont des questions ou des remarques du style « je sais mieux que toi » comme « moi je sais que les féministes sont extrêmes » ou « on nous emmerde avec le Mademoiselle ». Ce ne sont pas des questions, mais des jugements de valeur qui sont lourds.

AC : J’y vois aussi un avantage, c’est que je trouve que ça me fait beaucoup progresser parce que t’es forcée de réfléchir en permanence, de te forger une opinion sur des sujets pour lesquels tu n’en as pas (sur la prostitution, sur le « mademoiselle »…). Et du coup oui, tu progresses en permanence ! Il y a des gens qui croient que le militantisme c’est un ensemble d’idées complètement arrêté pour la vie et qu’on s’enferme là-dedans alors que non, ça évolue en permanence, parce qu’on y réfléchit, on en parle, on discute, on lit plein de choses dessus.

ML : Et puis on doute en permanence, faut pas croire. Quand on est sans arrêt face à l’adversité, forcément on se dit « est-ce que j’exagère pas, est-ce qu’il y a pas du vrai dans ce qu’ils disent ? » Il faut sans arrêt se dire qu’on va dans la bonne direction, même si, comme tout le monde, on n’est pas à l’abri de faire des erreurs. Se rappeler que le combat est légitime, qu’on va trouver la force de continuer.

Bon, on présente un peu ça comme un film d’horreur mais c’est intéressant de se revendiquer féministe, parce que ça a un effet sur les gens autour. Parce qu’ils se disent qu’ils n’ont jamais rencontré quelqu’un qui se dit féministe alors ça les intéresse, il y a de la curiosité (souvent de la curiosité saine). Ils commencent à tilter, naturellement, sur des choses qu’ils n’auraient pas vu avant. Par exemple à mon travail, j’ai des collègues qui commencent à me dire « tiens, j’ai vu ceci, j’ai vu cela ». Ils relèvent.

AC : Oui et alors je ne compte plus le nombre d’amis qui me disent « j’ai pensé à toi ». J’ai une amie à qui j’avais pas parlé depuis 3/4 ans qui m’a envoyé un texto pour me dire « tiens j’ai vu ça j’ai pensé à toi ». Maintenant les gens commencent à y réfléchir.

Ils avalent la pilule rouge en fait…

AC : Exactement !

ML : C’est pour ça que c’est important de se revendiquer féministe parce que le simple fait de montrer qu’on est des vraies personnes, qu’il y a un vrai engagement derrière, qu’on n’est pas juste ces bêtes mythologiques, ces chiennes enragées, ça plante des graines dans l’esprit des gens. Et c’est aussi le cas si les gens ont des a priori négatifs : il y a plein de gens qui me détestent, d’autant plus maintenant, mais qui du coup vont se dire devant des situations qu’ils n’auraient pas remarquées avant « tiens, ça plairait pas à l’autre conne

 ». Mais vraiment ! Et ça c’est positif quelque part. C’est le fait de leur faire voir la matrice. De hacker les cerveaux, de hacker le patriarcat. Le patriarcat est invisible alors on le hacke et on le rend visible.

Est-ce que vous travaillez, ou voudrez travailler dans le domaine du féminisme ?

AC : J’ai fait un master de littérature, mais pas du tout sur ces sujets-là et je suis arrivée au féminisme en parallèle. Maintenant j’ai décidé de faire une thèse en étude de genre donc oui, je veux en faire mon métier. Mais ce serait donc lié à mon militantisme parce que c’est par le militantisme que j’y suis arrivée.

ML : Moi c’est pas du tout mon cas. En fait je suis pas féministe par plaisir mais plus par sentiment de nécessité. Moi mon but c’est de faire carrière dans les jeux vidéo, c’est ma grande passion, et du coup si je pouvais, je serais dans ma grotte à faire mes jeux tranquillement. Mais il y a ce sexisme dans la société qui est cristallisé au sein de ma passion et ça a précipité mon engagement féministe. Parce que le fait que je sois passionnée par les jeux vidéo et donc que je côtoie au quotidien un sexisme assez massif, ça a accéléré les choses. Et puis, avec ce qu’il s’est passé sur mes deux articles, celui sur Joystick et puis surtout le dernier qui ont explosé à un point absolument inattendu et inimaginable, ça va forcément impacter ma carrière d’une manière ou d’une autre. On va voir ce que ça donne mais forcément on va me voir comme la fille qui travaille dans les jeux vidéo et qui est féministe. En plus en France c’est un peu la première fois qu’on parle de ces sujets. Mais non j’ai pas envie d’en faire mon métier, je veux juste faire des jeux vidéo et pas forcément sur le féminisme. Y aura forcément le thème féministe dedans, parce que ça fait partie de ma personne, mais c’est pas le but.

Qu’est-ce que vous répondez quand on vous dit que le féminisme entretient une guerre des sexes ?

ML : On explique que c’est faux, et on explique pourquoi. On explique que le féminisme c’est libérateur pour tout le monde. Le principe c’est de faire exploser les rôles de genre. Et ces rôles de genre, ils sont limitatifs pour les hommes comme pour les femmes. D’ailleurs on a plein d’hommes féministes qui sont très bien ! C’est un mouvement qui n’a rien à voir avec les féministes contre les hommes.

AC : C’est ça le problème avec l’expression « guerre des sexes » – en plus de donner une fausse image – c’est que ce serait la guerre des féministes contre les hommes. Non pas des femmes contre les hommes. Une espèce de croisade vengeresse et castratrice, comme s’il fallait inverser les rôles alors que ce n’est vraiment pas le but. Il s’agit de remettre en question cet ordre-là.

ML : Le truc c’est que oui, ça implique des pertes de privilèges pour les hommes, comme par exemple que les hommes n’auront pas un accès plus facile que les femmes aux postes de dirigeant, comme c’est le cas actuellement. Si on enlève ce privilège oui, il y aura moins d’hommes occupant des postes de dirigeants de facto parce qu’il y aura plus de femmes. Donc l’égalité ça implique la perte de certains privilèges, et y en a que ça défrise. Donc non, ce n’est pas une guerre des sexes, et ce n’est pas par méchanceté qu’on fait ça.

ML : Ce qu’il faut bien comprendre c’est qu’on pointe du doigt le fait que les hommes en tant que groupe exercent une domination sur le groupe social des femmes. Ce qui ne veut pas dire que tous les hommes, individuellement, sont des pourris, des connards, qu’il faut tous les tuer, pas du tout ! Il s’agit d’avoir conscience de cette domination, de ces privilèges, et de les déconstruire ensemble.

Et qu’est-ce que vous avez envie de dire à ceux qui prétendent que le féminisme n’a plus vraiment lieu d’être ?

AC : C’est incroyable qu’on ait toujours à ressortir les chiffres et de leur dire « qu’est-ce que vous faites de ça ? ». Oui effectivement, les femmes ont acquis le droit de vote, les femmes ont le droit d’avoir un compte bancaire sans l’accord de leur mari, les femmes ont le droit à l’avortement (et encore l’accès à l’IVG est compromis de nos jours). Dans les réactions sur l’article de Mar, il y a des gens qui osent nier qu’il s’agit de sexisme. Des gens qui vont venir t’expliquer que l’expression « Tits or get the fuck out » (Montre tes seins ou dégage) qu’on voit énormément dans le milieu des jeux vidéo n’est pas sexiste. Tant que les femmes diront qu’elles se sentent discriminées, qu’il y a des choses qu’elles n’acceptent pas, que le sexisme existe et que des hommes viendront leur dire « non, tu as tort, ce n’est pas sexiste », alors il y aura un problème.

ML : Et c’est marrant parce qu’on montre les faits et des hommes se sentent stigmatisés. On parle de la culture du viol, on explique que dans le monde 1 femme sur 5 est violée ou vit une tentative de viol, et certains se sentent stigmatisés.

AC : Le féminisme n’est pas une accusation.

ML : En fait il y a cette espèce de grosse culpabilité. Faut arrêter avec la culpabilité parce que ça n’avance à rien.

AC : On ne leur demande pas de se sentir coupable, on ne leur demande pas d’avoir honte d’être des hommes parce que ce serait ridicule, on leur demande une chose très simple c’est d’ouvrir les yeux et de se rendre compte, et de nous écouter quand on dit qu’il y a un problème.

ML : Le privilège n’est pas une insulte. Moi-même j’en ai dans le sens où je viens d’une famille aisée et je suis blanche. Imaginez un peu une personne blanche qui arrive dans une conférence sur le racisme et qui dit « vous nous faites chier avec le racisme, ça n’existe pas » ! C’est ce qu’on voit tous les jours sur le sexisme.

Comment se traduit votre militantisme au quotidien ?

AC : On a peut-être des manières différentes.

ML : Oui enfin j’ai une réputation de mordre mais au quotidien je suis super gentille et c’est ce que les gens ne comprennent pas. (Rires)

AC : À un moment j’ai essayé de me rapprocher d’une association parce que je voulais militer « en vrai » : aller dans la rue, distribuer des tracts. Je me disais qu’Internet ne pourrait pas suffire. Et puis ça n’a pas marché, loin de là, et pour moi c’était surtout l’occasion de m’intégrer à un groupe féministe en vrai. C’est bien parce que ça m’a permis de me retrouver dans une salle avec d’autres personnes qui pensent plus ou moins la même chose que toi, mais moi ça me suffisait pas et ça n’a pas marché pour plusieurs raisons. Et je me suis rendue compte que finalement, je militais beaucoup plus sur Internet. J’ai beaucoup plus l’impression de servir à quelque chose, à mon niveau. Quand j’ai commencé mon blog, l’idée c’était de donner des billes, des outils pour réfléchir à la question et commencer à ouvrir les yeux. Et à ce niveau-là, j’ai l’impression d’être un peu utile.

Après évidemment, on va nous parler de militantisme 2.0 (Anne-Charlotte fait ici référence au post d’Odieux Connard où il explique, entre autres, que débattre sur Internet ne revient pas forcément à agir, NDLR), mais c’est une critique un peu facile. Et puis si je peux être utile à ma façon tant mieux ! Mais évidemment, on ne fait pas que ça. Ça se traduit dans notre vie de tous les jours, dans notre façon d’être, de parler, d’interagir avec les gens.

ML : Ce mépris du militantisme sur Internet de nos jours est stupide quand on sait qu’Internet a une place prépondérante dans la vie des gens. On voit bien que ce qu’on fait a un effet. Je dirai pas que ça remplace les manifestations, mais c’est complètementaire. C’est essentiel. Pour répondre à la question, l’associatif, j’ai donné, ça m’a bien dégoûtée, c’était pas mon truc. Donc j’ai continué à lire dans mon petit coin et à ouvrir ma gueule là où je pouvais – sur Twitter, beaucoup – et finalement je me suis créé mon propre cercle de connaissances féministes. Et sur l’effet de cette mode militantiste, déjà, ce n’est pas tout ce qu’on fait : au quotidien, le simple fait de poser des questions, de remettre en question, c’est important

AC : C’est l’effet poil à gratter.

ML : C’est exactement ça ! Mais le terme a une connotation négative alors que pas du tout. Quand mes collègues reçoivent le magazine Barbie et qu’on s’amuse à le décrypter ensemble, c’est l’occasion de faire de la pédagogie, et c’est marrant en plus. Ensuite en terme de militantisme Internet, c’est quand même un endroit où on peut publier de façon ouverte et on peut échanger. C’est absolument précieux. C’est hallucinant les gens qui viennent dire que la parole n’a pas d’effet, que les idées n’auraient pas d’effet, c’est complètement dingue. Il suffit de voir les réactions à l’article que j’ai publié pour prouver le contraire sans aucune ambiguité. On a des centaines de mails de gens qui disent « je savais pas, et maintenant je vois, et je vais faire ci ou ça pour améliorer les choses ». L’effet sur la pensée, c’est quand même le premier pas. C’est un non-sens de dire qu’échanger, mettre des graines dans les cerveaux et partager serait inutile, alors qu’on est dans un débat d’idées. C’est aberrant.

Vous êtes féministes depuis plusieurs années : est-ce qu’avec le recul, vous arrivez à prendre un peu de hauteur quand vous voyez une remarque sexiste, par exemple humoristique ?

ML : En ce qui me concerne, c’est pire en pire. On voit à quel point ce n’est pas un cas isolé. C’est pour ça que parfois, y a des réactions qui peuvent paraître disproportionnées : quand on est féministe, chaque blague ou remarque sexiste et/ou provocatrice qu’on entend nous renvoie à tout ce qu’on sait sur le patriarcat. Tu vois ces blagues pour ce qu’elles sont, un renforcement de cette domination. Alors je dis pas, pour la personne en face, ça peut être de l’humour, et c’est pour ça que ça peut mener à des incompréhensions. Moi je sais que mon père aime bien me titiller et qu’à force il apprendra à ne plus le faire même si je sais qu’il ne le pense pas et qu’il me le répète. Donc non, je ne m’y habitue pas, j’ai même de moins en moins de patience et je pense que c’est pour cette raison qu’il est important d’avoir un renouvellement des générations féministes parce que c’est épuisant, c’est tuant. Et en plus on n’a pas de repos, parce qu’on est sans arrêt agressées dans la vie quotidienne, par les médias par exemple, donc c’est tuant. On nous taxe d’agressives mais il faut comprendre qu’au bout d’un moment on en a jusque-là, quoi.

AC : C’est bizarre parce que j’ai 24 ans, le militantisme c’est encore assez récent et je n’ai pas encore beaucoup de recul. Mais quand même, on a vite l’impression d’être en cycle automatique, de répéter les mêmes choses. Donc non, on ne s’habitue pas. Je ne m’habitue pas et il ne faut pas que je m’habitue, parce qu’il ne faut pas s’endormir – de toute manière, on ne peut plus. Mais je me dis que si moi, avec mon petit bagage de féministe, je suis fatiguée de me répéter, comment je serai à 44 ans ?

ML : Je pense qu’on va grandir, qu’on va apprendre à mieux gérer. Pas changer d’engagement mais réussir à prendre du recul et à nous préserver mieux.

Qu’est-ce que tu penses de l’idée de changer de terme et d’abandonner le mot « féminisme » ?

ML : C’est une question compréhensible et un peu agaçante à force. Pourquoi ? Parce que se revendiquer féministe c’est rendre hommage à des années de lutte pour les droits des femmes, à des femmes qui se sont battues dans des conditions beaucoup plus dures que ce qu’on fait aujourd’hui. C’est un héritage. Se dire féministe, c’est reconnaître l’existence du patriarcat, de la domination masculine. Parce que l’égalitarisme c’est en gros dire « tout le monde est oppressé de façon égale », alors que ce n’est pas le cas. Encore une fois les hommes souffrent du patriarcat et du sexisme, de la limitation des rôles de genre et du virilisme, mais le truc c’est que ça ne conduit pas à une oppression institutionnelle violente qui tue, qui viole, qui s’exprime au quotidien dans une violence véritable réelle, psychologique, symbolique (culture du viol, féminicide dans certains pays…). Parler de féminisme, c’est reconnaître que face au sexisme, on n’est pas tous égaux. Et en gros c’est pointer les problèmes pour les résoudre. Parler d’égalitarisme c’est aussi invisibiliser les femmes.

Si tu veux t’initier à la lecture féministe et te pencher un peu plus sur le sujet, voici quelques conseils lectures d’Anne-Charlotte et Mar_Lard :

  • Beauté Fatale, de Mona Chollet,
  • King Kong Théorie, de Virginie Despentes : « simple et sans concession, tu vois le monde différemment après »,
  • Les vidéos de Feminist Frequency (« toutes traduites en français, j’ai commencé mon militantisme comme ça », précise Anne-Charlotte),
  • Plein de blogs (« Google est ton ami », pour reprendre Mar_Lard), parmi lesquels celui de GM Zimmermann et Les Entrailles de Mademoiselle (et Ça fait genre !, évidemment).

À lire sur le même sujet :


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Les Commentaires

18
Avatar de Erinnern
1 novembre 2014 à 02h11
Erinnern
quand je doute de mes convictions féministes, ou quand je ne sais plus comment les exprimer, je reviens lire cette interview. Elle m'inspire à chaque fois.
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Voir les 18 commentaires

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