« Une priorité absolue pour la rentrée 2023 ». Ce sont ces mots que la première Ministre, Élisabeth Borne, a employé le 6 juin devant l’Assemblée, à propos du harcèlement scolaire. Ces derniers mois, l’actualité française a été marquée par les histoires terribles de Lucas, Thibault et plus récemment Lindsay, trois collégiens s’étant donné la mort après avoir été harcelé pendant plusieurs mois.
Alors qu’il avait rencontré les parents de Lindsay la semaine précédente, qui ont déposé plusieurs plaintes pour non–assistance à personne en péril, le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, a renchéri dimanche 11 juin, en annonçant la mise en place d’une « heure de sensibilisation » obligatoire contre le harcèlement scolaire dans les 7000 collèges de France. Au total, ce sont 3,4 millions de collégiens qui doivent y être soumis dans le courant de la semaine. Une initiative jugée inadéquate face à l’urgence.
Un fléau systémique
Cette nouvelle mesure a provoqué un tollé, notamment du côté des enseignants et des principaux, dénonçant là « un effet d’annonce qui donne l’impression d’une improvisation ». Les professeurs s’inquiètent, entre autres, de ne pas avoir le temps de préparer correctement cette intervention, et déplorent un mauvais timing, en plein brevet et période de conseil des classes :
Il faut l’adapter à l’âge des élèves, on ne s’adresse pas de la même manière à un élève de 11 ans qu’à un élève de 14 ans. Il faut aussi prendre en compte le contexte du collège : y a-t-il déjà eu ou non des cas de harcèlement ? Y en a-t-il actuellement ? Enfin, pour animer cette heure de sensibilisation au harcèlement scolaire et sur les réseaux sociaux, il faut être formé, il faut connaître les pratiques des jeunes.
FranceInfo, « Ça donne l’impression d’une improvisation » : pourquoi « l’heure de sensibilisation » au harcèlement scolaire laisse sceptiques les enseignants et les parents. 12 juin 2023.
Même son de cloche du côté de La Fédération des conseils de parents d’élèves (Fcpe) et de la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (Peep). Toutes deux estiment que la lutte contre le harcèlement scolaire doit s’inscrire dans la durée et ne peut consister en une intervention bâclée. Cette démarche est-elle simplement à l’image de l’inaction gouvernementale en la matière ?
Le nombre d’affaires de harcèlement scolaire a triplé en 5 ans
Si depuis 2022, la loi Balanant a fait du harcèlement scolaire un délit, les chiffres en la matière ne diminuent pas. On estime aujourd’hui que 6 à 10 % des enfants en sont victimes. Depuis 2019, le dispositif pHARe est progressivement déployé à travers les écoles primaires et les collèges du pays. Mais ce programme, qui vise à former au moins 5 personnes-ressources par établissement, désigner 10 enfants ambassadeurs par collège et dispenser 10 heures d’apprentissage annuelles aux élèves du CP à la troisième, reste insuffisant. Les collèges de Lucas et Lindsay en étaient d’ailleurs dotés, ce qui n’a pas permis de prévenir leur calvaire.
Le premier baromètre de la parentalité OpinionWay réalisé pour la MAE et relayé par le JDD le 10 juin 2023, est catégorique : le nombre d’affaires de harcèlement rapportées a même triplé en 5 ans. Côté parents, l’inquiétude grimpe : plus d’un parent sur deux (56%) redoute les moqueries en classe ou sur les réseaux sociaux. Car le harcèlement ne se cantonne pas à l’école, il se poursuit le soir et le week-end sur les plateformes, face à des parents souvent impuissants.
Quelles solutions ?
Comme le rappelait Agathe Lemaître dans une vidéo pour Madmoizelle, « le harcèlement scolaire, c’est un système, c’est une spirale qui se met en place dans un groupe ». Ce genre d’annonce gouvernementale ne s’attaque pas au fond du problème car elle ne suffit pas à déconstruire un problème systémique ancré. Pour l’autrice, « La seule manière d‘arrêter un harcèlement scolaire, c’est que des personnes externes au harcèlement, donc ni le harcelé, ni le harceleur réagissent ». Il faut aussi ouvrir le dialogue pour permettre aux victimes d’en parler en confiance et d’être écoutée. Trop souvent, comme dans le cas de Lindsay, l’enfant a alerté, en vain. L’autrice insiste enfin sur la saisonnalité du phénomène, qui prouve son aspect répétitif, et l’importance d’un travail de fond pour déconstruire les mécanismes à l’œuvre :
Il ne se passe pas forcément de choses en septembre. Les gens ne se connaissent pas encore trop. Tu n’as pas de victimes identifiées, de harceleurs identifiés. Ça se met en place petit à petit, souvent en octobre, novembre, quand là, le groupe se consolide. Il y a des « alliances ». En décembre, comme il y a Noël, en général, les choses se calment un petit peu et après, ça reprend. Janvier, février, mars, c’est crescendo. Et en avril, c’est là en général que les enfants craquent. Et s’ils arrivent à passer le mois d’avril et bien mai, juin, tu te rapproches des vacances. Tu sais que tu vas changer de classe, que ça va être deux mois de vacances, que tu as un objectif en fait. Et donc c’est assez rare que les personnes qui sont harcelées craquent à ce moment-là (…) Quand tu vois que c’est systémique, que c’est quelque chose qui se répète indéfiniment, tu comprends que ce n’est pas le problème du harceleur de cette école-là à cette époque-là. C’est vraiment un problème de société.
Agathe Lemaître, Vidéo « S’il y avait eu des personnes qui avait réagi, elle serait encore là »
Raconter les vécus et accompagner tous les partis concernés
Pour Agathe Lemaître, partager l’histoire et la réalité de celles et ceux qui ont subi du harcèlement scolaire a forcément plus d’impact que de se contenter d’expliquer ce qu’est le harcèlement scolaire. C’est pour cette raison qu’elle a publié un ouvrage et partagé des extraits de son journal intime, qui retracent avec force le vécu de sa sœur.
Dans le JDD, le président général délégué de la MAE revient par ailleurs sur les résultats de l’étude Opinionway : « Ce baromètre montre que les parents ont, eux aussi, besoin d’être accompagnés ». À quand un travail de fond, global et inclusif, pour lutter collectivement contre ce fléau qui touche chaque année 700 000 enfants ?
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Les Commentaires
Et j'ajouterai que les lycées ont fini les cours, que les collèges c'est pas bien mieux ( les conseils de classe ont eu lieu ou vont bientôt avoir lieu pour être au point avec les dates de commissions, les centres d'examen et de correction vont interrompre les cours) donc faire une pauvre heure de prévention maintenant...