Dimanche 25 mai, les citoyen-ne-s français-es étaient appelé-e-s aux urnes pour élire leurs représentant-e-s au Parlement européen. À l’issue du dépouillement, le Front National est arrivé en tête avec près de 26% des suffrages exprimés. L’UMP arrive deuxième (21%), devant le PS (14%), le Centre (UDI-Modem 10%) et EELV (9%).
Au bal des absent-e-s, la médiocrité règne
La soirée électorale aura été à l’image de la couverture médiatique de cette campagne européenne : médiocre. Les politiques qui intervenaient sur les différents plateaux ont été constants dans leur égocentrisme, chacun voyant dans les résultats de l’élection la preuve que son analyse et son discours étaient les bons, quand bien même son score misérable et l’abstention importante constituaient des indices autrement plus équivoques.
Et en prime, un concentré de testostérone. Bonne soirée.
J’ai déserté cette soirée électorale, comme des millions de Français-es ont déserté les urnes. Bien sûr que je comprends le désintérêt et l’agacement profonds de ces abstentionnistes, puisque je les partage : voilà des mois que ces politiques de carrière s’insultent à coups de petites phrases par médias interposés.
Ces mêmes médias, ce sont ceux toujours prompts à nous servir des « offs » aux petits oignons, mais qui rechignent à retransmettre les débats de fond ou à faire oeuvre de pédagogie envers les citoyens. « Pas vendeur » ! Vraiment ? Ou est-ce plutôt l’offre d’information qui n’est pas adaptée à la demande ?
73% d’abstention chez les moins de 35 ans, 30% pour le FN
Mais il serait trop facile de se dédouaner ainsi : c’est parmi les jeunes que le taux d’abstention a été le plus fort, selon IPSOS.
- 57% parmi tou-te-s les inscrit-e-s
- 73% chez les moins de 35 ans
Nous ne sommes que 27% : moins d’un-e jeune sur trois est allé-e voter dimanche, rendez-vous compte ! Et parmi ceux et celles qui se sont déplacé-e-s, 30% ont glissé une liste Bleu Marine dans l’urne.
Quel paradoxe ! Nous, les jeunes, les mal-aimés de la politique, nous, qu’élus et médias caricaturent régulièrement en feignasses, je-m’en-foutistes, rebelles, nous nous comportons exactement comme ce cliché, en adoptant une approche très clientéliste du vote, en poussant un coup de gueule à moindre frais.
« L’offre électorale » ne rencontre pas nos demandes, nos attentes. Ne pas voter parce qu’on ne « se reconnaît pas » dans les candidat-e-s, soit. Mais j’ai compté plus de vingt listes dans ma circonscription. Avec le mode de scrutin proportionnel, une liste pouvait espérer élire sa tête dès 5% des suffrages.
On est loin du carcan d’un deuxième tour d’une élection à scrutin majoritaire, où l’électeur se retrouve parfois face au dilemme Peste ou Choléra :
Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans devraient pourtant connaître.
Paresse intellectuelle ?
J’ai eu beau m’intéresser à ces élections, j’ai découvert le jour J qu’il y avait plus d’une vingtaine de listes déposées dans mon bureau de vote. J’en déduis que si je l’avais voulu, j’aurais pu me renseigner en amont, j’aurais pu en savoir plus sur ces listes et ces candidat-e-s dont je n’ai pas entendu parler dans les médias de grande écoute.
Désintérêt peut-être… mais notre génération connectée peut-elle prétendre à la désinformation ? Les réseaux sociaux ont fourmillé d’infographies, de débats retransmis en live sur le Web, les liens des sites militants et institutionnels ont circulé dans les sources des papiers d’actualités.
L’information était là. Certes, elle n’était pas en prime time, pré-digérée par une mise en scène à mi-chemin entre le talk show et le divertissement. Mais depuis quand nous, les moins de 35 ans, nous reposons-nous massivement sur la télévision pour nous informer ? Ce n’est plus le cas depuis qu’on a le haut-débit, non ?
Il va falloir arrêter de se voiler la face, et d’accuser « les autres », « les vieux », « les politiques », « les médias » de favoriser la montée du FN : le parti d’extrême-droite réalise son meilleur score parmi les jeunes et les ouvrier-e-s.
Ceux et celles qui « favorisent la montée du FN », ce sont nous, les jeunes. Par notre vote, et par notre abstention.
Les limites de « l’abstention militante »
Sur les réseaux sociaux, certain-e-s abstentionnistes refusent d’être les boucs émissaires de ces résultats accablants. Pour eux, ne pas voter est un choix assumé. L’offre électorale ne leur convient pas, ils et elles ne se retrouvent dans aucun des partis en lice (à supposer qu’ils ont pris connaissance de toute la diversité de l’offre électorale).
Leur non-vote est protestataire et militant
Un exemple parmi tant d’autres.
Cependant, le vote n’est pas un sondage d’opinion : on ne nous demande pas d’exprimer une préférence intellectuelle, mais bien de porter des hommes et des femmes aux responsabilités politiques. Si c’est contre ce principe même que certain•e•s s’abstiennent, alors adieu la république démocratique !
S’abstenir ne conduit pas à réformer nos institutions ni à faire évoluer les règles du jeu. S’abstenir revient à laisser la parole à ceux et celles qui jouent, et à être confiné-e dans une posture de « mauvais joueur ».
L’attentisme citoyen
Les moyens de mobilisation existent. Déjà, les appels à manifester contre le FN fleurissent sur les réseaux sociaux. C’est donc que nous sommes capables d’agir, d’utiliser les réseaux sociaux pour mobiliser autour de nous. Mais où était notre ferveur citoyenne avant le 25 mai ?
« Nous dénonçons le racisme » dans la rue, mais pas dans les urnes ?
Ces manifestations n’ont-elles pas une bonne semaine de retard ? Aller glisser un bulletin dans l’urne est peut-être un acte trop aliénant pour le citoyen forcé à voter « par défaut », mais c’est un geste qui produit des effets concrets, immédiats.
Battre le pavé « contre le F-Haine » est sans doute intellectuellement plus confortable, mais ça ne fait pas bouger les lignes.
Les moyens d’agir pour faire évoluer le paysage politique existent, ils sont à notre disposition. À nous de le recomposer si celui-ci ne nous représente pas. La jeunesse aussi a ses lobbies et ses associations : on vous parlait récemment de l’Appel de la Jeunesse avec Générations Cobayes par exemple, mais aussi des Zèbres :
Le vote blanc comptabilisé
C’était la grande nouveauté de ce scrutin : la loi étant entrée en application, les bulletins blancs ont été décomptés à part des bulletins nuls. Attention, ils ne comptent pas pour autant dans les suffrages exprimés. Ils ne comptent pas, en fait, pas plus qu’avant, mais au lieu d’annoncer « x bulletins blancs et nuls », on annonce désormais « x bulletins blancs ».
540 000 bulletins blancs ont donc été comptabilisés dimanche.
Humour de Droite propose une autre analyse du « vote blanc » :
Certes, le score du Front National est inférieur à son niveau de 2002 : le vote FN est finalement en baisse, le succès d’hier ayant été boosté par l’abstention. Et donc ?
On peut retourner le problème dans tous les sens, multiplier les analyses, diversifier les explications et diviser les responsabilités, mais le fait est là.
La France enverra 24 députés Front National au Parlement européen. Dont Jean-Marie Le Pen, qui disait 3 jours avant l’élection que « le virus Ebola pourrait résoudre les problèmes d’immigration en trois mois ». Un bien bel ambassadeur du Pays des Droits de l’Homme.
Marine Le Pen fait la Une des quotidiens européens, et toutes les analyses n’y changeront rien : ce lundi 26 mai 2014, le Front National est le premier parti de France.
Gueule de bois électorale, encre sur papier journal, 26 mai 2014.
Alors, fièr•e•s d’être Français•e•s ?
Tous les résultats des élections en France et en Europe :
- Elections européennes : les résultats dans chaque pays, Le Monde
- Les résultats par circonscription sur le ministère de l’Intérieur
- FN, Euro,… Qui a voté quoi et pourquoi aux européennes ? sur Slate
- Le reportage de la rédac du Mouv’
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Je serais bien abstentionniste si c'était légal en Belgique. Parce que notre système politique souffre de graves lacunes démocratiques qui ne pourront pas se résoudre par les urnes:
-On ne vote que sur base de promesses sans aucune garantie qu'elles seront tenues.
-Les lobbys du haut-patronat ont une grande influence sur la politique nationale.
-Les médias sont dirigés par des politiciens et des grands patrons, on peut légitimement se demander si ils ne vont pas tordre les faits favorablement à leur bord politique.
Quant au vote utile, c'est du total bullshit. Le seul enjeu électoral devient faire perdre un parti. Résultat: les élus remportent la victoire uniquement parce qu'on a dit aux électeurs qu'ils pouvaient faire perdre le fn, et cela même si son projet politique est une catastrophe. Qui s'étonnera après ça que les choses ne changent pas ? Surtout qu'à long terme, c'est contreproductif, puisque voyant les conséquences catastrophiques du vote utile, les électeurs finiront par se dire que le fn est peut-être la sodution. Ce dernier l'a très bien compris, la preuve étant qu'un de ses slogans est «le vrai vote utile». Surtout que ça fait oublier que le fn est loin d'être le seul parti à entretenir aetivement des oppressions, il y a plein de politiciens non-fn qui sont racistes, classistes, lgbtphobes et sexistes, donc c'est en plus un raisonnement erroné que de croire que n'importe qui est mieux que le fn. Un exemple: le gouvernement a récemment autorisé les contrôles au faciès. Le fn n'aurait pas fait pire.
Chez moi, un parti de droite a succédé à un parti de gauche, et leur politique a été EXACTEMENT LA MÊME. Comment croire après ça que ton vote sert à quelque chose ?
Si malgré ça vois y croyez encore, regardez les sketches de Coluche sur la politique, et vous verrez qu'ils n'ont pas pris une ride.