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Société

Et si on sortait enfin des polémiques sur les crop tops dans les écoles ?

Un an après la polémique sur la fameuse tenue correcte exigée dans les lycées et la mobilisation des jeunes pour le droit à s’habiller comme elles le souhaitent, où en est-on ? Et surtout, comment sortir de l’impasse ?

Il y a un an, le 14 septembre 2020, des lycéennes se mobilisaient à travers toute la France. Le but de leurs actions ? Défendre leur droit à s’habiller comme elles le souhaitent, leur droit de mettre un crop top ou une jupe au-dessus du genou si elles le veulent, mais surtout leur droit ne plus subir remarques et remontrances leur intimant de cacher leurs corps sous prétexte qu’elles risqueraient de déconcentrer les garçons dans leur classes.

Un an plus tard, la polémique sur les tenues vestimentaires semble éteinte et remplacée par une autre, cette fois sur les écrans plats que s’achèteraient les familles moins fortunées avec les allocations de rentrée.

Pourtant la question des tenues des jeunes filles à l’école est loin d’être récente, comme le souligne Laure Bié, autrice d’un mémoire intitulé Tenue correcte exigée : la tenue vestimentaire des collégien.ne.s à l’épreuve de l’égalité filles-garçons :

« Il y a eu quelques précédents, peut-être pas sous cette forme-là, mais les réseaux sociaux sont clairement un amplificateur, ça donne une visibilité et ça peut même être un déformateur, parfois. »

C’est aussi une question qui traverse le temps, estime-t-elle. De fait, la tenue des adolescentes est scrutée, critiquée, et déclenche l’inquiétude des adultes depuis longtemps, comme le montre ce montage de Brut :

Fin de l’année scolaire, en juin 2021, Emmanuel Macron réitérait dans ELLE son opposition au crop top, ce t-shirt court qui concentre toutes les attentions :

« Je suis plutôt « tenue décente exigée ». La volonté de choquer n’a pas sa place à l’école. On peut tenir compte de la part de fantaisie d’un ado et tenir bon sur certains principes. »

Avant d’ajouter plus loin : « L’école n’est pas un lieu comme les autres ». Comme un écho à la « tenue républicaine » prônée par son ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer en début d’année scolaire.

L’expression peinait et peine toujours à convaincre. « La fameuse tenue républicaine, elle n’évoque rien à personne », estime Colin Champion, secrétaire national de l’Union nationale lycéenne (UNL), qui y voit davantage un moyen de contrôle sur les lycéens.

Au sein du syndicat lycéen, engagé sur le sujet l’an dernier, l’enjeu des tenues vestimentaires revient souvent sur la table au niveau national et dans les congrès locaux. Il n’y a pas de ligne arrêtée, mais des débats et surtout un constat, celui que l’Éducation nationale aurait plutôt intérêt à écouter les élèves sur ce sujet — et sur bien d’autres —, et que seul un dialogue entre les élèves et la communauté pédagogique permettrait de sortir de cette impasse perpétuelle où les uns et les autres restent campés sur leur position.

En cette rentrée scolaire 2021, le débat sur le crop top et la longueur de certaines jupes est loin d’être clos, et n’aurait besoin que d’une étincelle pour repartir de plus belle.

Réguler ou ne pas réguler ?

Dans le cadre de son enquête, Laure Bié s’est intéressée à cette question sur le plan éducatif. Que font les chefs d’établissement pour réguler ou non les tenues des adolescentes ? Quels sont leurs moyens et leurs points de blocage ? Malgré un échantillon réduit de six collèges, elle a pu faire plusieurs observations sur ces tenues qui poseraient problème :

« Ça ne concerne pas que les crop tops, ça ne concerne pas que les minijupes, pas que les décolletés, même si clairement c’est majoritairement des vêtements féminins qui sont ciblés. Ça peut concerner les tongs, formellement interdites pour filles et garçons à cause du côté plage mais aussi pour la sécurité, et pour éviter les accidents quand on court. »

Sont aussi concernés dans certains établissements les jeans déchirés.

Sans cadrage national sur cet enjeu, chaque établissement énonce ses propres règles. Les règlements intérieurs n’en sont pas moins très flous : « l’élève doit porter une tenue décente ou adaptée au cadre scolaire », sans plus de précision.

Ainsi, lorsqu’aucune réflexion n’est engagée sur ce sujet au sein de l’établissement, les professionnels d’éducation sont « laissés à leur libre interprétation », souligne Laure Bié. C’est donc leur subjectivité qui guide leur décision d’indiquer à un ou une élève qu’ils estiment qu’une tenue est inadéquate et d’interdire telle ou telle tenue dans l’enceinte de l’école, influencée par leur propres représentations.

« J’ai eu des CPE qui disaient que ces sujets les mettaient mal à l’aise »

Les chefs d’établissements auraient-ils besoin que l’Éducation nationale écrivent noir sur blanc quelles règles vestimentaires appliquer ? Un cadre, des directives émanant d’en haut à appliquer dans les collèges, les lycées ? « Ce sont des questions que j’ai posé de façon explicite », souligne Lauré Bié.

« La position des enquêtés a évolué au fil de l’entretien, d’abord oui, puis après réflexion non. Ils ont exprimé le besoin de quelque chose d’assez souple, qui ne soit pas trop rigide et qui se construise localement en fonctions de l’établissement et du public. »

Ce qui est certain, c’est que les professionnels de l’éducation ont besoin d’aide. « J’ai eu des CPE qui disaient que ces sujets les mettaient mal à l’aise car elles étaient confrontées à leur propre schéma de pensée », note la chercheuse.

Elle recommande un document de l’Éducation nationale édité à la rentrée scolaire de 2019, le plus souvent méconnu des établissements, qui permet d’identifier les stéréotypes et invite à la réflexion collective avec les élèves autour de ces questions :

« Ce n’est pas un guide de bonnes pratiques, mais il explique dans quelle démarche on peut venir questionner ce sujet au sein des établissements et créer des règles qui soient acceptées, comprises et éducatives. C’est essentiel d’inclure les élèves pour que la règle établie ait une visée éducative. »

L’école, ce sanctuaire à double-tranchant

« L’école n’est pas un lieu comme les autres », déclarait donc Emmanuel Macron en juin dernier. Sur ce point, beaucoup sont plutôt d’accord. Mais sur le terrain des tenues vestimentaires, la sanctuarisation de l’école n’est pas perçue de la même façon.

L’UNL va dans le sens d’une école comme un lieu qui reflèterait la diversité du monde dans lequel les élèves évoluent et de toutes les personnes qui le composent.

« Ce qu’on dit, c’est que le lycée est un moment important où les lycéennes et les lycéens deviennent autonomes, indépendants », rappelle Colin Champion.

« Ce moment, on doit l’utiliser pour montrer ce qu’est la société. On ne voit pas pourquoi on ne pourrait pas s’habiller au lycée comme dans la rue. »

Avec ce constat, le syndicat ouvre par exemple la discussion sur le port du voile.

« Qu’est-ce qu’apportent des normes vestimentaires au travail scolaire ? » interroge Marie-Pierre Julien, anthropologue à l’université de Lorraine, travaillant depuis plus de dix ans sur la question des passages d’âges, l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte.

« Est-ce que l’école n’est pas là pour apprendre la vie en société, et à ne pas se fier aux apparences ? »

S’affrontent alors deux visions : l’école devrait-elle être un lieu préservé hors de la société, où d’autres normes s’appliqueraient ? Ou au contraire une bulle protectrice, mais où chacun pourrait exprimer son individualité, expérimenter sans craindre d’être réprimandé, et où les élèves ne seraient jugés que sur leur travail scolaire ? Vous avez quatre heures.

« À la cantine scolaire, il y a cette idée qu’on veut éduquer les enfants au goût, or on s’aperçoit que ce qu’ils veulent, c’est surtout expérimenter des choses. Est-ce que ça ne pourrait pas être la même chose avec le vêtement, en permettant à chacun de le faire dans un cadre non violent, démocratique ? » questionne Marie-Pierre Julien.

« Si on laissait un peu plus les lycéens donner leur avis, on pourrait aussi aborder d’autres sujets que les tenues vestimentaires, comme l’écologie, l’alimentation dans les cantines. »

L’UNL ne se positionne pas contre des règles sur les tenues vestimentaires en tant que telles : « On ne demande pas un texte précis où il serait question de mesurer la taille d’un vêtement, de dire de combien de centimètres il doit être pour être autorisé… ce serait absurde ! »

C’est davantage la verticalité et l’opacité des règles qui sont un problème. Colin Champion veut croire en la possibilité d’une meilleure concertation entre les élèves et les équipes pédagogiques :

« La démocratie, c’est une solution. Si on laissait un peu plus les lycéens donner leur avis, on pourrait aussi aborder d’autres sujets que les tenues vestimentaires, comme l’écologie, l’alimentation dans les cantines. On pourrait renforcer la place des CVL (conseil des délégués pour la vie lycéenne, ndlr), par exemple.»

Le secrétaire national de l’UNL estime qu’il faut favoriser la création de vrais moments démocratiques dans les établissements scolaires, aller plus loin que de simples réunions accessibles à tous.

L’hypersexualisation perpétuelle des adolescentes

Républicaine, décente ou correcte, les qualificatifs pour parler des tenues prohibées de certaines adolescentes ne manquent pas. Autant de circonvolutions qui évitent de nommer les vêtements ou ce qu’on leur reproche.

Malgré ce flou, « on reste sur une hypersexualisation du corps des femmes », admet Laure Bié, qui prend pour exemple la mode des jeans baggy portés sous la taille pour faire apparaître le caleçon, tendance très populaire dans les cours des lycées et des collèges pendant les années 2000.

« Le problème était qu’il s’agissait d’une tenue trop décontractée. On n’a jamais dit aux garçons qui s’habillaient comme ça “vous allez inciter les filles à regarder vos fesses.” »

On reste donc sur un deux-poids deux mesures, avec en lame de fond, toujours cette idée que le corps des jeunes filles est source de distraction pour leurs camarades. Mais jamais celui des garçons.

« Posons la question : en quoi ça gêne de voir le nombril ?… à part si l’on sexualise le corps des jeunes filles. »

Marie-Pierre Julien évoque une étude qui démontrait comment au début des années 2010 les équipes pédagogiques identifiaient les adolescents dans les collèges des banlieues comme principaux auteurs de comportements sexistes. « Même si c’était le cas, le rôle de l’équipe éducative était justement de leur dire que les filles ont le droit de s’habiller comme elles le souhaitent sans avoir à subir des remarques sexistes de la part des garçons », souligne-t-elle.

Alimenté par des clichés racistes et classistes —  en identifiant des jeunes garçons racisés et issus de milieux populaires comme sexistes de fait —  ce postulat permettait de ne rien dire du regard que posent les enseignants sur le corps des adolescentes.

Pour Marie-Pierre Julien, il s’agit bien de savoir qui dicte les règles et qui pose le regard.

« Posons la question : en quoi ça gêne de voir le nombril ?… à part si l’on sexualise le corps des jeunes filles. »

Or aujourd’hui, Colin Champion constate que les garçons s’intéressent davantage à la question des stéréotypes de genre, et sont capables de montrer leur solidarité quand leurs camarades dénoncent des comportements sexistes. Une génération plus sensible aux enjeux féministes, face à des professeurs qui peinent à identifier et à déconstruire certains biais sexistes ?

C’est justement là que les mobilisations de la rentrée de 2020 prennent tout leur sens et montre une véritable évolution.

Les lycéennes ont désormais des ressources féministes, se sont nourries de discours autour du harcèlement, de la liberté à disposer de leur corps, du female gaze. Elles ont été en capacité de renvoyer un miroir en direction des adultes, analyse Marie-Pierre Julien :

« Ce qui s’est passé l’an dernier, c’est que les filles ont dit aux profs, aux CPE, “c’est vous, vous qui projetez vos propres préjugés en disant que nos vêtements étaient une distraction pour les garçons.” »

La balle est désormais dans le camp de l’Éducation nationale.

À lire aussi : Religion, uniforme, et envies d’ailleurs : des lycéennes irlandaises racontent leur enfance à la campagne

Crédit photo : Skam France – France Télévisions

 


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Les Commentaires

21
Avatar de Mayushi
25 septembre 2021 à 04h09
Mayushi
Bonjour!
Je souhaiterais apporter une petite nuance à toutes ces accusations.
Il y a, certes, hélas, des établissements qui voient dans certaines tenues une sexualisation du corps des adolescents. Nous sommes tous d'accord, je pense, pour dire que ce raisonnement est particulièrement dangereux et insupportable.
En revanche, il y a aussi des établissements qui imposent un code vestimentaire parce que cela fait partie du projet scolaire: la préparation à l'entrée dans la vie active. Le but est d'entraîner les élèves à adopter une tenue professionnelle ou, du moins, passe-partout dans les entreprises.
On ne dit pas aux élèves que tel vêtement est vulgaire ou grotesque mais, qu'il n'est pas adapté à tel contexte et, à mon sens, il s'agit d'un apprentissage important et nécessaire que, malheureusement, tous les parents ne sont pas en mesure d'assurer.

C'est vraiment un truc qui disparaît dans les boîtes "jeunes" et internationales les codes vestimentaires et cela n'a jamais été une bonne chose de surcroît, je ne vois pas vraiment l'intérêt de continuer à perpétuer ce système qui au final ne sert qu'à discriminer (le plus souvent les femmes et les personnes des milieux les moins favorisés).
Autant je peux comprendre qu'il faille avoir une tenue correcte si l'on fait face à des clients dans certains secteurs très précis. Avoir un uniforme ou tenue spéciale pour certains métiers aussi (un bleu de travail en mécanique, une blouse à l'hôpital etc.), mais sinon pour une grosse majorité des boulots en bureaux ces codes vestimentaires sont complètement désuets.
Dans mon entreprise actuelle (nouvelles technologies) tous ces codes sont abolis et ce dès l'entretien d'embauche. En tant que recruteur on reçoit aussi des formations pour nous apprendre à nous délaisser de nos biais pour justement ne pas juger une personne sur son apparence, sa tenue etc. on demande aux candidat.e.s de venir "comme iels sont". Un simple Jean + T-shirt quelconque suffit, même un short ne pose pas de problème. Une femme qui veut venir en crop-top ne sera pas jugée pour sa tenue. Il est temps que les entreprises perdent moins de temps à se préoccuper des tenues vestimentaires et de l'apparence physique de leurs collaborateurs pour se focaliser sur les choses importantes.
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