Tout part d’un tweet qui met peu à peu le feu au poudre sur la Toile… Le 6 juin 2022, une jeune femme partage sur son compte Twitter la capture d’écran d’un message reçu par le policier qui a réalisé sa procuration en vue du première tour des élections législatives. Ce dernier a récupéré les informations personnelles de la jeune femme dans le seul but… de la draguer !
Les dépôts de plainte : des stratégies de rencontre pour les policiers ?
Ce premier tweet a déclenché une vague de dénonciation massive : de nombreuses jeunes femmes osent prendre la parole et dénoncer des faits quasi-similaires. Certaines avaient déposé plainte pour violences conjugales, d’autres pour agression… Et toutes ont vu leurs coordonnées personnelles récupérées par des fonctionnaires de police dans le seul but de leur faire du charme.
Une twittos raconte par exemple, qu’elle s’était rendue au commissariat de sa ville afin de déposer plainte pour violences conjugales contre son ex. Quand elle a donné son numéro de téléphone au policier qui a recueilli sa déposition, ce dernier se serait réjoui en proclamant: « Super, j’ai votre numéro et vous êtes célibataire en plus maintenant ! » Une autre femme assure que le policier qui a pris sa plainte l’a harcelé au téléphone durant plusieurs mois, et qu’elle a essayé de le dénoncer en vain.
Valérie Rey-Robert, que Madmoizelle a reçu dans le cadre de la sortie de l’ouvrage féministe Télé-réalité : la fabrique du sexisme, a elle aussi partagé sa propre expérience sur son compte Twitter. Une nuit de septembre 2019, sa mère atteinte d’un cancer du pancréas et vivant à Lyon, est cambriolée pendant qu’elle dort. L’autrice, qui vit à Paris, a appelé les policiers en leur demandant de prendre en charge le plus rapidement possible sa mère, le temps qu’elle redescende sur la région lyonnaise. Un des policiers en a profité pour récupérer son numéro de téléphone et lui proposer d’aller boire un verre.
Elle affirme n’avoir « jamais raconté ça publiquement avant » mais elle désire montrer aujourd’hui combien les policiers « savent utiliser des situations de fragilité extrême » pour tenter de séduire des femmes…
Plusieurs condamnations de policiers recensées pour des faits similaires
Et ces tentatives de séduction de la part des policiers ne datent pas d’hier… Sans surprise, ces comportements abusifs, déplacés et graves, de la part de ces policiers sont répréhensibles par la loi. D’après l’article R.434-8, sur le secret et la discrétion professionnels du Code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie, disponible sur le site du ministère de l’intérieur, le policier est « Soumis aux obligations du secret professionnel et au devoir de discrétion ». Il doit donc s’abstenir de « divulguer à quiconque n’a ni le droit, ni le besoin d’en connaître, sous quelque forme que ce soit, les informations dont il a connaissance dans l’exercice ou au titre de ses fonctions. »
Et en cherchant sur la Toile, on déniche rapidement des condamnations d’agents de police ayant eu recours à ce vol d’informations personnelles pour approcher des jeunes femmes. En décembre 2018, un agent de police des Mureaux dans les Yvelines a été condamné à cinq mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Versailles, comme l’a relayé Le Parisien. En juin 2017, le policier de 33 ans avait dérobé dans le registre du commissariat le numéro de téléphone d’une femme qui lui plaisait. Cette dernière était au poste de police pour délaissement de mineur.
Le soir même de sa venue au commissariat, elle reçu un message du fonctionnaire de police : « Bonsoir Emelyne. Un message pour revoir ton joli sourire qui m’a tout de suite séduit. » Attristée par la perte de la garde de son enfant, la jeune femme espère que le flic pourra l’aider. Elle accepte un rendez-vous mais décide finalement de ne pas s’y rendre. Toutefois, le soir du fameux date, le policier croise le petite-ami de la jeune femme qui fulmine de colère. Sans lui donner la moindre explication, l’agent de police asperge deux fois de gaz lacrymogène l’amant de la jeune femme. Un tel rififi, que Emelyne décide de déposer plainte contre le policier pour harcèlement. Ce dernier l’aurait bombardé de messages et d’appels téléphoniques avant qu’elle ne cède à sa demande de rendez-vous.
Et ce fait divers est loin d’être isolé… À Rouen, un fonctionnaire de police a écopé de vingt-quatre mois de prison avec sursis probatoire pour des faits de harcèlements sexuels aggravés, le 2 juin dernier, selon Paris Normandie. Entre 2019 et 2020, le quinquagénaire a abusé de sa qualité de policier pour demander à ces plaignantes des photos d’elles en sous-vêtements ou encore de leurs seins… Il les a interrogées pour savoir si leurs poitrines étaient naturelles, qu’elles étaient leurs pratiques sexuelles ou encore leurs mensurations… Il prétextait souvent être membre d’une cause luttant contre le cancer du sein ou encore être un ancien mannequin qui pourrait les aider à percer dans cette profession.
Une autre affaire présentant des similarités est en cours à Angers. Le 28 février dernier, un policier angevin de 52 ans a été renvoyé devant la cour d’assises du Maine-et-Loire pour des faits de harcèlement et agressions sexuelles sur sept plaignantes d’origine étrangère, isolées et en situation de grande précarité, d’après Ouest-France. Toujours le même protocole d’action : le policier mis en cause aurait récupéré les coordonnées de plusieurs plaignantes, qu’il aurait par la suite harcelées avec des coups de fils et des SMS insistants. Il n’aurait pas hésité non plus à se présenter à leur domicile, sans s’annoncer, seul, en civil, et avec son véhicule personnel.
Une nouvelle preuve du sentiment d’impunité et de toute puissance de la police française ?
Mais alors, pourquoi les gardiens de la paix, dont le titre honorifique traduit toute l’ampleur du rôle qu’ils devraient remplir, entretiennent-ils ces comportements sexistes ? De nombreux cas médiatisés ont révélé ces dernières années, la manière dont les policiers s’autorisent à dénigrer la parole de victimes de violences sexistes et sexuelles. Un hashtag #DoublePeine était même né sur les réseaux sociaux, fin septembre 2021, à la suite d’une retentissante vague de témoignages dénonçant le calvaire des victimes pour déposer plainte au commissariat central de Montpellier.
En utilisant les données personnelles des plaignantes dans l’optique de les draguer, une nouvelle fois, les policiers s’autorisent, se sentent légitimes à cause de leur fonction à agir ainsi…. Les policiers se prennent-ils pour des super-héros qui, une fois venus à la rescousse des victimes, pensent qu’ils ont le droit à une « récompense » ?
Finalement, que ce soit en les draguant abusivement ou en ne les écoutant pas, ne s’agit-il pas des deux faces d’une même pièce ? Celle de la manifestation du sentiment d’impunité et de toute puissance de la police française en tant qu’institution ?
Toujours est-il que ces policiers « serial dragueurs » sont donc dans l’illégalité la plus totale : utilisation de données personnelle pour service personnelle, vices de procédure, non respect des conditions de dépôt de plaintes… Sachez que si vous avez vécu cela, vous pouvez faire un signalement à l’IGPN, via un formulaire disponible sur le site du ministère de l’intérieur, ainsi que saisir le procureur de la République de votre département par courrier postal.
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Image en Une : © Madmoizelle
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