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Source : Unsplash / Nadine Shaabana
Société

Comment j’ai ouvert les yeux sur ma relation abusive et violente

Pendant près de dix ans, Caroline* a vécu avec une femme qui l’a violentée psychologiquement. Aujourd’hui libre, elle revient sur comment elle s’est peu à peu retrouvée sous son emprise.

En 2012, quand je l’ai rencontrée, je venais de me séparer du père de mes deux enfants, car j’avais réalisé que je m’étais égarée en cours de chemin, que la vie que je vivais n’était pas la mienne et que ma vie ne pouvait que continuer avec une femme. Je venais de passer par une année très douloureuse lors de laquelle tout ce que j’avais bâti avait explosé pour me laisser seule face à l’immensité qui m’attendait. Après coup, je pense que c’est pour cela aussi que je me suis lancée à corps perdu dans cette nouvelle aventure, prise dans ce besoin éperdu d’être enfin moi, de vivre ce que « je devais vivre ».

Elle était tout l’opposé de moi : extravertie, à l’aise en société, pleine de certitudes, elle représentait tout ce que je n’étais pas, elle m’impressionnait par sa liberté et toutes les aventures qu’elle racontait avoir vécues. J’étais grisée de vivre ce que je découvrais et tout s’est enchaîné très vite. Peu de temps après, elle a emménagé chez moi.

À lire aussi : Comment reconnaître et combattre une relation abusive ?

L’instauration progressive d’une relation toxique

Rapidement, elle a instauré entre les personnes que je fréquentais et moi une distance, et est allée jusqu’à imposer de façon insidieuse un choix à faire… Puis sont arrivées des crises de jalousie, puis des colères, toujours démesurées, mais dont rapidement, je suis devenue « la cause ». Lors d’un week-end où elle était partie avec des amies, elle a beaucoup bu, m’a insulté pour la première fois au téléphone et m’a reproché un comportement que j’aurais eu quelques jours avant. Maintenant, je sais que je n’aurais jamais dû accepter cette première fois. 

Peu à peu, ce qui va devenir notre relation s’est installé : elle réagissait violemment pour des broutilles, toujours de façon extrême, quand les choses ne se passaient pas comme elle voulait, quand je ne lui disais pas ce qu’elle voulait entendre. J’ai donc commencé à faire attention à ce que je lui disais, à la façon dont je le formulais. J’évitais, je contournais, je craignais ses réactions, et vivais dans la peur d’une nouvelle crise. Toute mimique, réponse, regard pouvant être interprété à sa façon et déclencher une réaction virulente. Plus rien n’a été léger entre nous et au sein de notre famille. Je me suis façonnée à ce qu’elle attendait, il n’y avait qu’une façon de faire et penser : la sienne. Sous des allures d’ouverture, elle était extrêmement intolérante et avait une pensée unique et des avis tranchés sur tout et ne souffrait aucun avis qui divergeait du sien, qu’il s’agisse de l’habillement, des repas, de l’éducation des enfants, des goûts musicaux, des façons de vivre : je finissais par lui dire qu’elle avait raison, je ne cherchais plus à discuter, et quand elle me reprochait quelque chose, je finissais par céder et aller dans son sens, sinon elle ne me lâchait pas et cela pouvait durer des heures. Le nombre de lettres d’excuses « de l’avoir mise dans un état pareil » que j’ai pu écrire… Je pensais qu’elle allait changer, j’essayais de faire au mieux, de me conformer à ce qu’elle attendait. Elle ne changeait pas. La situation empirait quand elle buvait, ce qui devenait de plus en plus régulier. J’ai fini par ne plus savoir ce que j’aimais et ni qui j’étais, je n’avais plus aucun libre arbitre, mon cerveau ne pensait plus par lui-même. J’avais la sensation qu’il était devenu « un organe mou qui prenait l’allure qu’elle lui donnait »

Tout était devenu enjeu, tout ce qui pouvait être un plaisir était systématiquement gâché par une crise, par la menace de ne pas sortir avec moi, de ne pas partir avec nous, par les reproches sur ma façon d’être, de lui exprimer les choses. Tout cela toujours quand nous nous retrouvions seules, jamais devant les autres. Les autres, pour qui nous étions « le couple idéal »

Une relation très difficile avec mon fils

Rapidement, mon fils aîné est devenu une obsession : elle se sentait perpétuellement agressée par lui et l’agressait verbalement, pour rien, pour tout. Elle répétait qu’elle ne le comprenait pas. Qu’elle ne me comprenait pas. Elle nous accablait, car nous étions devenus la raison de son stress constant, de son surpoids, de son agressivité, de ses insomnies, de sa fatigue, de son manque d’envie de bouger, de son manque de libido… Je ne suis pas parvenue à protéger mon fils de ses assauts de colère, allant même souvent sans même savoir pourquoi dans son sens…

Au décès de ma mère, les choses se sont aggravées. Si elle a été un vrai soutien pour gérer le deuil sur un plan pratique, je pense que l’étau s’est encore resserré alors que j’étais fragilisée. Je croyais n’être plus rien sans elle, je ne savais plus vivre seule, je m’en remettais à elle pour tout, je ne faisais rien sans elle, je ne voyais plus personne à l’extérieur et alors qu’elle me le reprochait, les rares fois où je suis sortie sans elle se sont transformées en crises de jalousie terribles et appels insistants.

Elle accaparait mon temps, m’appelant de très nombreuses fois par jour, je ne parvenais pas à lui dire que ça me dérangeait parfois et quand je ne répondais pas, cela la mettait en colère. Les injonctions paradoxales pleuvaient, ce que j’appelle les « chauds/froids » aussi, qui plongent dans une insécurité profonde : elle était odieuse, puis gentille, et je laissais passer. Jamais elle ne s’est vraiment excusée.

Un des combles peut-être est que nous étions engagées dans des groupes de lutte féministe. Un jour, je réalise que je coche plusieurs cases du violentomètre mais mon cerveau ne tilte pas, à plusieurs reprises d’ailleurs au plus profond de moi, je sais pertinemment que rien ne va et j’en ai si honte que ma pensée fuit. 

Comment reconnaître une relation abusive ?

Conçu en 2018 par les Observatoires des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis et de Paris, l’association En Avant Toute(s) et la Mairie de Paris, le violentomètre est un outil qui permet de repérer les comportements violents et de mesurer si la relation de couple est saine ou violente.

Le violentimètre est disponible en PDF, gratuitement, sur le site du Centre Hubertine Auclert.

Le déclic après dix ans de relation

Un jour, au bout de presque dix ans de vie commune, d’agressivité et violence sourde, elle m’a, à nouveau, insultée très violemment, ce qu’elle avait un jour fixé comme sa limite et m’avait promis que cela ne se reproduirait pas. Quelques jours après, elle a hurlé sur mon fils qui avait grandi et qui ne répondait pas, et je l’ai imaginé se relever et la frapper comme seule réponse. L’intrusion de cette image violente m’a secouée et je lui ai dit que je n’acceptais plus tout ça, que c’était impossible, insupportable. Mais je n’ai pas été capable de faire davantage, de lui dire de partir. Elle s’est calmée comme chaque fois avant mais pour la première fois, j’ai réalisé qu’elle ne changerait pas et je l’ai formulé devant elle. Est-ce cela qui a fait sens chez elle ? Car un soir après le dîner, elle est partie.

Je me suis effondrée. Je l’ai suppliée de revenir : sans elle, j’étais persuadée de ne plus rien être, de ne pas savoir vivre seule. Je suis retournée voir un psychologue à qui j’ai mis plus d’un an à parvenir à évoquer ce que j’avais vécu, arrêtant ainsi de la protéger. J’avais tellement honte. Elle a continué de longs mois, même en m’ayant quittée, à tenter d’orchestrer ma vie, à m’humilier, à me donner des leçons, à m’expliquer ce que je devais faire, ou ne pas faire, qui voir ou ne plus voir…  

Reprendre ma liberté, enfin

Cela a pris du temps… Mais, un jour, j’ai compris. J’ai réalisé que ce que j’avais vécu m’avait ôté toute capacité de réaction, que j’avais passé toutes ces années à masquer ses crises, absorber ses angoisses, avaler sa haine, sans jamais parler de rien à personne, car j’avais terriblement honte de ce que vivais et laissais faire. J’ai réalisé à quel point j’avais été dans le déni, à quel point je n’étais pas heureuse et combien elle a retourné ma vie et fait du mal à mes enfants, ce qui m’était le plus cher.

Je suis LIBRE maintenant, je revis, je profite avec le bonheur de celles qui connaissent le prix de l’indépendance. Je pense comme je le veux, ce que je veux, je suis mon chemin, je décide. Ma liberté et le respect de ce que je suis est devenu essentiel. Et supporte difficilement que l’on m’impose quoi que ce soit, dans ces moments-là mes réactions peuvent être un peu exacerbées. 

J’ai rencontré une femme avec laquelle je vis une relation d’amour sereine et respectueuse, caractérisée par le partage et la confiance. Nous ne vivons pas ensemble.

J’ai retrouvé celles·ux que je ne voyais plus, et nous avons beaucoup parlé, tous très surpris de découvrir la réalité de ma relation avec elle. 

Et j’essaie de rattraper ce que je peux avec mes enfants, même si je ne rattraperai jamais le temps perdu et la souffrance traversée. J’essaie de profiter d’eux et avec eux, de partager des moments seulement nous trois, de leur répéter encore et encore à quel point je les aime et combien je regrette de n’être pas parvenue à faire autrement. Leurs réactions ont été différentes, tourmentées, et s’il leur a fallu également du temps, ils semblent dorénavant poursuivre le cours de leurs vies d’adolescents plus sereinement, et forts de ce qu’ils ont traversé avec moi. Ils grandissent bien et font preuve d’une très grande résilience. Je suis très fière d’eux.

J’aimerais que ce témoignage résonne, que si quelqu’une se reconnaît à travers mes mots, elle soit persuadée que ce n’est pas normal, que ce n’est pas sa faute, que personne n’a le droit de lui voler ce qu’elle est. J’aimerais que mes mots fassent réagir. J’avais tout pour ne pas vivre cette emprise : j’ai un travail, je suis indépendante financièrement, je suis sensibilisée et engagée contre la violence envers les femmes, je possède mon appartement, les enfants sont les miens… Et pourtant. Ce qui montre bien à quel point il est difficile d’en sortir quand l’étau s’est resserré. Il ne faut plus avoir honte, il faut parvenir à en parler.

* Le prénom a été modifié.

Violences conjugales : les ressources

Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :


Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.

Les Commentaires

3
Avatar de monkey_mask
12 octobre 2023 à 18h10
monkey_mask
Merci pour ce témoignage
0
Voir les 3 commentaires

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