Je ne sais pas comment commencer car depuis le début, le stigmate « victime » est celui que je veux éviter. En général, dès que nous parlons, nous avons peur d’en faire trop, d’être égocentrées, de nous tromper, de ne pas être suffisamment reconnaissantes, d’être encore ingrates, de répéter les mêmes erreurs.
Et pourtant, j’ai l’impression, après toutes ces années, après être carrément passée « pour une perverse », que c’est lui qui se justifie, lui qui donne des excuses pour avoir été « poussé à bout ».
De l’autre côté, il paraît que nous n’avons pas droit aux mêmes excuses. Si nous réagissons mal, nous sommes « folles », « perdues », des « menteuses ». Notre parole est remise facilement en doute. Qui peut penser que nous pouvons être « excédées », « anxieuses », « flippées » ou « poussées à bout » ? Seuls les hommes sont poussés à bout, c’est bien connu. Les femmes doivent rester soumises, ne jamais s’énerver et ne jamais se défendre pour rester crédibles.
Dès le début, la jalousie
C’est ce que j’ai vécu pendant cinq ans. En 2016, j’ai atterri sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, construite pour empêcher l’implantation de l’aéroport dans la périphérie de Nantes. On était des centaines de militant.es à vivre sur place, dans de petites cabanes que nous avions aménagées, et où nous inventions toustes ensemble un idéal anti-raciste, anti-sexiste, et centré sur la lutte écologique.
Après deux années passées sur place, j’ai dû, comme d’autres militant·es, quitter la ZAD quand nos cabanes ont été détruites. C’est là qu’on m’a proposé de venir visiter une communauté dans un département du centre de la France. J’y suis allée, et c’est là que je l’ai rencontré.
Nous nous sommes mis en couple très vite, au bout de trois mois. Comme j’étais très amoureuse, j’ai accepté cette relation selon ses conditions. Moi qui étais plutôt portée sur l’amour libre, j’ai dit oui à ce qu’il exigeait : la fidélité, l’exclusivité. Ça n’a pas empêché notre relation de s’envenimer très vite.
Dès le début, il s’est révélé jaloux, toujours à poser des questions : « Tu vas où ? », « Tu es avec qui ? » et à limiter les interactions avec les ami·es, surtout les mecs cis hétéros : ne pas dormir avec d’autres potes, dans le même lit, en tente, dans la même pièce et même dans un sleeping, à faire des crises de parano tout le temps. Une entorse aux règles (par exemple, dormir avec un pote un soir de pluie dans la même tente) et c’était des hurlements intenses.
La jalousie, décuplée, s’est installée, les dents acérées et j’en ai eu assez de me faire mordre. Les paranos se sont intensifiées. Mes mails, mon compte Facebook et mes messages sur mon téléphone étaient constamment fouillés, dans mon dos. Dès que je sortais, les appels étaient nombreux, voire pléthoriques, de 40 à 80 appels en une journée, chaque jour. Il fallait répondre immédiatement. Que je sois aux toilettes ou en train de manger, il fallait tout arrêter pour répondre au téléphone, ne plus parler aux potes pour répondre au téléphone, se mettre à l’écart pour répondre au téléphone, et le téléphone sonnait tout le temps, sans cesse, qu’il soit six heures du matin (25 appels) ou minuit (78 appels).
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Puis les insultes, les menaces, la violence
La première fois que je l’ai quitté, il m’a fait du chantage au suicide et a menacé de venir brûler le squat où je m’étais réfugiée. J’ai donc appelé la communauté pour qu’il ne puisse pas mettre ses menaces à exécution. À ce moment-là, vous étiez encore prêts à m’aider et à l’arrêter. Ensuite, la situation s’est calmée quand j’ai appelé son meilleur ami et qu’il l’a calmé un temps. Mais même si vous avez été prêts à me soutenir, vous n’avez pas remis en cause son comportement, vous ne lui avez pas signifié que ce n’était pas normal, et vous avez oublié cette histoire très grave. Deux années plus tard, ses deux meilleurs amis ont été témoins directement de son comportement agressif envers moi, de ces accès de violence, quand il cassait tout, qu’il m’insultait, et bien qu’ils aient convenu que c’était « casse-couille », ils n’ont jamais pris position sur son comportement.
D’autres de ses amis, hors de cette communauté anarchiste, ont été témoins de violences physiques mais ne m’ont jamais défendue et n’ont rien fait pour l’arrêter. Je ne me suis jamais sentie soutenue à aucun moment, au contraire, je me sentais seule. Il a même réussi à se faire passer pour la victime, et à me faire passer pour la méchante de l’histoire.
Il y a aussi eu cet épisode quand, pris dans une énième crise de jalousie, il a une nouvelle fois lu mes messages, sans mon autorisation. Et quand j’ai refusé de répondre à ses questions, il a cassé mon portable, m’a demandé de sortir. Quand j’ai dit non, il m’a traînée dans les escaliers. J’ai essayé de me défendre, sonnée. Il a appelé la police pour me mettre dehors. Les policier.es sont venu·es , il s’est disputé avec elleux, et iels sont parti·es sans me demander si j’allais bien.
Tout ceci n’est encore que la partie immergée de l’iceberg, car en plus des fameuses crises de rage, j’ai dû subir sa dévalorisation perpétuelle, son dénigrement, ses insultes répétées. Il m’a traitée de « pute », de « salope », « de pute narcissique » car j’ai des amis mecs, il m’a dit qu’il allait me « jeter à la poubelle », il m’a crié dessus intensément. Et cette violence verbale s’est ensuite transformée en menaces de me frapper, en menaces sur les ami.es et en insultes envers la famille.
La dernière fois qu’on s’est vu·es, j’ai vécu une semaine de violences verbales et physiques, où j’ai été insultée, frappée, dénigrée, mise plus bas que terre parce qu’un an auparavant, j’avais dormi à côté d’un pote.
J’ai eu droit à des remarques psychophobes et validistes parce que j’ai un handicap invisible (une dyspraxie visuo-spatiale). Ainsi qu’à des insultes racistes comme « négresse ». Il m’a aussi envoyé un mail où il me dit clairement : « sale noire, sale noire de merde, sale grosse pute, le Blanc il vous méprise. »
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Une inversion de la culpabilité
J’ai fini par porter plainte à la police pour injure raciste en août 2023. L’accueil ne fut pas agréable : les policiers ont pris la plainte non sans me dire que mon ex semblait « effondré » et « harcelé », que ses paroles ressemblaient à du dépit amoureux, que ce genre d’histoire n’est pas vraiment de leur ressort, et que je devrais appeler « mes frères » pour régler le problème. J’ai aussi porté plainte pour violences conjugales en mai 2023, mais l’enquête n’a à ce jour toujours pas été ouverte. Pendant ce temps, il continuait à me contacter, en m’envoyant régulièrement des vidéos d’extrême droite.
Je suis restée cinq ans avec lui. Cinq années de contrôle coercitif, de harcèlement, de menaces, de violences. Et vous, ses ami·es, les témoins de tout ça, pendant toutes ces années, où étiez-vous ? Pourquoi ne m’avoir jamais défendue, ne m’avoir jamais crue ? D’après vous, c’est moi qui « le poussais à bout », moi qui provoquais ses crises et ses colères, que tout était de ma faute, que c’était moi la femme violente. Vous avez su qu’il avait appelé la police, et vous anarcho punks, vous l’avez soutenu dans cette démarche agressive. Vous m’avez traînée dans la boue, vous m’avez accusée de faits que je n’ai jamais commis comme « épier des personnes chez elleux », vous avez nié mon handicap, vous avez minimisé ses propos racistes, vous avez dit des choses fausses sur moi, vous m’avez prise en photo, traitée de « sociopathe », et virée de plusieurs lieux anarchistes. Vous avez ignoré les preuves que j’avais accumulées.
On devrait accepter cette justification à la con de « tu le pousses à bout », qui justifie n’importe quel comportement violent ? Accepter qu’un homme menace de vous mettre dehors constamment, de vous « jeter à la poubelle », menace vos amis de mort parce que vous avez dormi à côté d’eux ? Les convictions anarchistes, ce serait accepter qu’un mec contrôle sa copine ? NON. Il est terminé de se laisser faire et d’accepter de la violence verbale et de la violence physique.
En vrai, c’est une histoire très ordinaire. Je suis tombée sur le livre La Version qui n’intéresse personne d’Emmanuelle Pierrot que je vous conseille vivement. Dans ce livre, l’héroïne Sacha a vécu les mêmes événements que moi. Après avoir rejeté les avances de son ami Tom, elle est victime des fausses rumeurs de ce dernier, et subit du slutshaming jusqu’à l’ostracisation de sa commu’ anarchiste. Jusqu’au jour où, victime de harcèlement sexuel, elle tente de donner sa version des faits mais personne ne l’écoute en raison de sa réputation. Elle est réduite au silence et traitée de menteuse. Il y aussi l’essai fondamental sur les pratiques et luttes contre les violences en milieu militant/anar/queer/anticapitaliste Faire Justice d’Elsa Deck Marsaut, qui éclaire sur les dérives sexistes et punitives en milieu militant.
Quant à moi, je ne cherche pas de compassion. Je remets juste « l’église au milieu du village ». On ne va pas se laisser dénigrer, insulter, supporter ce genre de comportements et en plus accepter des leçons de maturité. Vous demandez aux autres de changer ? Commencez par affronter ce qu’il y a de pire en vous. Ce qu’il y a de pire en vous est dangereux, et on en a assez de subir ce danger.
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
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Les Commentaires
Le pire c'est qu'ils vont jouer les cow boys pour d'autres femmes parce que les violenteurs sont pas leurs amis. Toujours pour les autres. Insupportable d'égoisme.