Mise à jour du 18 mai — Hawa N’Dongo, auteure de ce témoignage et de ce Slam, est l’une des modèles invitée de l’événement W(e) Talk, samedi 21 mai à La Bellevilloise !
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— Article initialement publié le 11 avril 2014
Ma décision
Il y a maintenant un an que j’ai décidé de porter le voile. J’ai grandi dans une famille pratiquante, mes parents nous ont transmis les valeurs et la pratique de notre religion au quotidien, mais ils ne nous ont jamais imposé quoi que ce soit.
J’ai quatre sœurs et chacune est libre de vivre ses choix. Par exemple, nous sommes deux à avoir choisi de porter le foulard à des moments différents de notre vie, tandis que les trois autres ne le portent pas. On a des débats très constructifs sur cette question ou sur notre manière d’aborder la religion.
Auparavant, je pratiquais quotidiennement avec les cinq prières par jour, le Ramadan et les fêtes religieuses, mais j’avais l’impression de ne pas avoir assez de connaissances sur ma religion.
J’ai donc commencé à m’intéresser au Coran, à lire plus de livres, à regarder des conférences et à m’informer longuement sur l’histoire et les fondements de l’Islam afin de mieux comprendre son message et son application au quotidien.
Bien sûr, l’Islam est une religion mais au-delà des actes cultuels, il donne une part importante au bon comportement et au respect des valeurs comme la solidarité, la paix, le respect envers les parents et l’amour — des valeurs universelles, en somme !
Ainsi, j’ai découvert que la modestie était très importante dans ma religion. Elle concerne le comportement, mais aussi la pudeur. Les hommes aussi bien que les femmes sont amenés à respecter une certaine pudeur vestimentaire que l’on retrouve d’ailleurs dans les deux autres grandes religions monothéistes.
On réduit souvent le voile à sa fonction première, qui est de couvrir, alors que le sens en est bien plus profond. C’est se soumettre à la Volonté Divine. Aucune personne ne devrait forcer une femme à porter le voile, cela doit être un choix personnel ! J’aime bien le voir comme un cheminement spirituel qui permet petit à petit de se rapprocher de Dieu.
Bien sûr c’est une étape ; le chemin est long pour raffermir et renforcer sa foi. Il dépend de tant d’autres critères, comme les combats (appelés « Jihad ») contre ses mauvais penchants, dans son caractère, pour se détacher de la vie d’ici-bas… C’est pour cela qu’en polémiquant autant autour du voile, on dépouille d’une certaine façon l’Islam de son message.
Femme libérée
Ce choix m’a appris à lutter contre mes propres craintes. En portant le voile, on est plus exposée au regard des autres, qu’il faut affronter au quotidien, surtout à notre époque de qu’en-dira-t-on et de préjugés… J’ai appris à m’accepter, à exprimer mes convictions.
Et croyez-moi, il faut parfois du temps et de la patience lorsque vous décidez d’aller à contre-courant des critères et des diktats de beauté que la société et son culte du paraître tentent de nous imposer. Parce que pour moi, le problème se situe plutôt à ce niveau.
On tente de nous faire croire qu’il n’y a qu’un seul modèle de liberté. Pendant mon adolescence et en entrant dans l’âge adulte, entre ce que j’observais dans la société et ce que je lisais dans la presse féminine, voilà ce que j’en tirais : la femme libérée du XXIème siècle est celle qui qui arrive à jongler sur tous les tableaux. En effet…
- Elle a un physique de rêve : voilà pourquoi tous les étés, ou après les fêtes de fin d’année, elle doit faire une cure détox à base de soja et de quinoa pour rentrer de nouveau dans du 38 (grand maximum 40).
- Elle a une carrière au top : il faut forcément qu’elle ait un job de rêve, comme si une femme qui ne plaçait pas sa carrière professionnelle au centre de ses intérêts et de son épanouissement personnel était forcément malheureuse.
- Elle a une vie de couple épanouie pour laquelle elle se donne beaucoup de mal, mais on l’aide un petit peu avec les articles Comment garder son mec ? ou Dois-je demander l’avis de mon conjoint avant de me couper les cheveux ? (je n’invente rien).
- C’est une maman formidable : en plus d’être une épouse et une collègue parfaite, elle est exemplaire avec ses enfants qui jonglent entre les cours de solfège, de piano, de natation et équitation.
- Elle a une vie sociale palpitante : son prof de yoga bikram ne peut plus se passer d’elle, elle ne chôme jamais le vendredi soir entre apéros et sorties entre amis, et le dimanche c’est brunch et galerie arty.
Cette pression sociale est infernale à la longue, et peut provoquer des dégâts considérables. Pour moi, c’est l’image de la femme idéale, libérée et indépendante que l’on tente inlassablement de nous faire incarner…
Mais où est la liberté lorsqu’une femme se sent obligée de porter des talons, de perdre du poids, ou encore de s’épiler afin de ressembler à un idéal de beauté ? Où est la liberté lorsqu’une femme se sent obligée d’assurer à la fois au travail, en tant qu’épouse et en tant que mère, en mode Wonder Woman avant de comprendre que cette pression infligée n’est nullement justifiée ?
Une femme, c’est avant tout un être humain qui a ses forces et ses faiblesses, qui a le droit de craquer, qui fait des sacrifices mais qui ne doit pas s’oublier.
Il n’y a pas qu’une forme de liberté. On a tous des définitions différentes de ce concept. Se donner le droit de vivre ses choix, c’est déjà une forme de liberté ; accepter ou non l’autre, c’est une liberté, tout comme défendre ses convictions. C’est un terme beaucoup trop large pour que l’on puisse le définir sans ses nuances.
L’Islam et la liberté
L’Occident croit depuis toujours que la femme musulmane est soumise et malheureuse. Mais je ne me reconnais pas dans ce portrait, et je sais que des millions de femmes sont dans ce cas ! Je ne porte pas mon voile pour les hommes, je le porte pour Dieu. Je ne le porte pas contre l’Occident, je le porte au nom de mes convictions religieuses.
En Islam, la notion de modestie englobe d’autres comportements à adopter au quotidien que la pudeur vestimentaire. Elle désigne également la modestie dans le comportement (l’arrogance, l’orgueil et la colère sont fortement réprouvés), dans la façon de marcher et de s’exprimer — par exemple, il ne faut pas dire du mal des autres, et faire attention aux dégâts que les mots peuvent provoquer.
On ne peut pas parler du voile sans évoquer cela. Tout comme on ne peut pas réduire une femme à son voile. On ne réduit pas une personne à ses piercings, à ses vêtements ou à une coupe de cheveux ! Nous sommes avant tout des êtres à part entière, avec un esprit critique, un cœur et des sentiments.
N’est-ce pas contradictoire de vouloir « libérer » la femme musulmane qui serait forcément sous l’emprise d’une autorité patriarcale alors que d’un autre côté, l’Occident ne cesse de l’infantiliser en ne voulant pas accepter de la reconnaître comme un être doué d’intelligence, capable de faire ses propres choix et d’exprimer ses convictions ?
Pourquoi toujours opposer Islam et modernité, féminisme et femme voilée, liberté et femmes musulmanes comme si ces termes étaient forcément antinomiques? Être croyant ne signifie pas être prisonnier et rétrograde. On peut partager les mêmes idées tout en étant différents. On peut être différents mais nous sommes égaux.
Ce sont ces idées qui m’ont incitée à écrire ce slam :
On ne cesse de parler des musulmanes à tort et à travers sans chercher à leur donner la parole. Je suis pour une France unie, elle qui est si riche dans sa diversité. Ne laissons pas les clichés et les amalgames lui nuire et la diviser.
Selon Abu Hurayra (compagnon de Mahomet), le Prophète a dit : « Certes, Dieu ne regarde pas vos corps ni vos visages, mais il regarde vos cœurs et vos actes ». Il serait bon de s’en souvenir au quotidien !
– Retrouvez les autres slam d’Hawa sur son blog.